Il y a quelque chose de particulièrement émouvant à lire le dernier
ouvrage de Gisèle
Halimi, « Une farouche liberté », écrit avec Annick Cojean. Ce sont ses derniers mots, ses dernières réflexions
sur un parcours fait d’engagements et aussi ses derniers conseils aux femmes et
aux féministes sur les luttes qu’il reste à mener.
La journaliste du quotidien français Le Monde, Annick Cojean, en a probablement conscience, lorsqu’elle décrit en
introduction de l’ouvrage, la silhouette désormais « frêle » et le
« beau visage émacié » de celle qui va répondre à ses questions avec
lucidité, entrain et passion.
Car, à plus de 90 ans, Gisèle Halimi reste la révoltée qu’elle a été
enfant, elle qui s’est très tôt insurgée face à des parents qui vénéraient les
garçons de la famille et étaient quasi indifférents aux succès scolaires de
Gisèle. Il faut une force, un courage et une lucidité inouïs pour, à l’âge de 10 ans trouver les moyens de financer ses
études, éviter un mariage arrangé à 15 ans et s’envoler pour Paris à 18 ans,
dans la soute désaffectée d’un vieux
chasseur-bombardier anglais !
Cette volonté indéfectible de sortir de sa condition de dominée ne la
quittera jamais. Car Gisèle Halimi a mené deux grands combats
simultanés : celui qu’elle consacre à la défense des dominé.e.s et celui qu’elle mène dans sa vie personnelle, à
chaque nouvelle étape de son parcours.
Après ses parents, il lui a fallu se battre contre le sexisme des
tribunaux et celui de ses collègues qui justifient ses victoires par son charme
et ses défaites par son incompétence, prétendument toute féminine. Elle
tient tête aux présidents René Coty et Charles De Gaule, et même au Général
Massu qui ose essayer de la convaincre de la nécessité de recourir à la
torture. En plein procès, les remarques sexistes la scandalisent. Députée
de 1981 à 1984, elle est ostracisée par Pierre Joxe, alors président du groupe
socialiste, qui souhaite l’isoler car il la juge imprévisible et incontrôlable
et l’accuse de faire « la forte tête ». On appréciera le paternalisme
patenté.
Mais jamais elle ne s’appesantit sur les avanies qu’elle a subies
car sa liberté n’a de sens que pour servir celle des autres. De tous les
combats justes, qu’ils soient sociaux, féministes et anticolonialistes, Gisèle
Halimi défendra au risque de sa vie (les menaces étaient nombreuses et bien
réelles) des militants indépendantistes tunisiens puis algériens, des femmes
violées, des femmes accusées de recourir illégalement à
l’avortement.
Dans cet ouvrage, elle revient avec Annick Cojean
sur l’affaire Djamila Boupacha (1961) et la manière
dont elle décide de dénoncer les sévices subis par sa cliente et porter plainte
en tortures pour que ses bourreaux soient punis. L’affaire obsède l’avocate,
elle ameute l’opinion, trahit le secret professionnel en divulguant des
éléments du dossier. Rien ne l’arrête, comme
rien ne l’arrêtera en 1972, lors du procès de Bobigny où elle oblige la société
française à se regarder en face, quant à la question de l’avortement. Rien ne
l’arrêtera non plus en 1978, lors du procès dit du viol, où elle dénonce ce que
les féministes appellent aujourd’hui une vraie culture du viol à la
française.
Gisèle Halimi a déjà raconté les étapes de ses combats dans ses
ouvrages autobiographiques mais dans Une farouche liberté, il y a comme un
souffle différent qui traverse de part en part chaque chapitre. Peut-être
est-ce en partie la conscience que la fin est
proche, mais les mots sont surtout animés par la fureur d’avoir été témoin de
tant d’injustices. Ses souvenirs sont nourris par la conviction que tous ces
combats n’ont pas été vains et ses conseils brûlent encore de l’espoir, qui n’a
jamais quitté Gisèle Halimi, que les femmes fassent un jour leur révolution.
*Gisèle
Halimi avec Annick Cojean, Une farouche liberté,
Grasset, 2020, 157 p.