JUSTICE- DOCUMENTS ET TEXTES
REGLEMENTAIRES- COUR MILITAIRE
© www.algerie1.com/ ZERROUK Ahmed,
ex-magistrat militaire.Contribution, 21 décembre 2020
Dans un
communiqué daté du 18 novembre 2020, le procureur général près la Cour suprême
informait l’opinion publique qu’ « en date du 18 novembre
2020, la chambre criminelle près la Cour suprême section III, a rendu un arrêt
concernant l’affaire de pourvoi en cassation introduit par le Procureur général
militaire près la Cour d’appel militaire de Blida, Bouteflika Said, Tartag Athmane,
Louiza Hanoune et Mediene Mohamed, portant acceptation, dans le fond et la
forme, de la cassation, l’annulation de la décision en appel et le renvoi de
l’affaire et des parties devant la Cour d’appel militaire de Blida, qui sera
formée d’une autre composante pour y statuer, conformément à la loi ».
Cependant,
il est à relever que l’ordonnance 72-28 du 22 avril 1971 portant code de
justice militaire, modifiée et complétée, par la loi 18-14 du 29 juillet 2018,
prévoit dans son article 5 bis que : « La Cour d’appel
militaire comprend une juridiction de jugement, un parquet général militaire,
une chambre d’accusation et un greffe. La juridiction de jugement de la Cour
d’appel militaire est composée d’un magistrat des Cours en qualité de président
ayant au moins le grade de président de chambre à la cour, et de deux
assesseurs militaires.
En matière
criminelle, cette juridiction comprend, outre le président, deux magistrats
militaires et deux assesseurs militaires. »
Ainsi,
la présidence de la formation de jugement, en matière criminelle, de la
Cour d’appel militaire est assurée par le magistrat civil détaché auprès du
ministère de la défense nationale pour exercer les fonctions de président de la
Cour d’appel militaire. Il lui revient légalement et à lui seul d’exercer cette
fonction de président de la juridiction de jugement de la Cour d’appel
militaire, en matière criminelle.
C’est tout
le contraire du tribunal criminel d’appel de l’ordre judiciaire
ordinaire, qui est composé, conformément aux dispositions de l’article
258/2ème alinéa du code de procédure pénale, d’un magistrat ayant, au
moins, le grade de président de chambre à la Cour, de deux magistrats
assesseurs et de quatre jurés.
De plus, les
magistrats sont désignés par ordonnance du président de la Cour (article
258/5ème alinéa du CPP).
En effet,
outre le procureur général et les procureurs généraux adjoints ainsi que le
greffe, la Cour comprend un président de Cour, un ou plusieurs vice-présidents,
des présidents de chambres et des conseillers.
Aussi, la
question qui se pose est la suivante : comment de hauts magistrats
de la Cour suprême, à la compétence reconnue et établie, qui ont cumulé
et acquis une expérience riche et variée dans le domaine judiciaire
ont-ils pu prévoir dans cet arrêt le renvoi de ladite affaire devant la Cour
d’appel militaire de Blida, autrement composée, alors qu’ils connaissent
parfaitement que la présidence de la juridiction de jugement de la Cour d’appel
militaire, en matière criminelle, est assurée par le président de la Cour
d’appel militaire, lui-même ; tout le contraire de la composition du
tribunal criminel d’appel, qui peut être, facilement, composée autrement ;
s’agissant aussi bien du président que des deux magistrats assesseurs
et sur simple ordonnance du président de la Cour.
En
conséquence, la décision de la chambre criminelle près la Cour suprême a crée
un empêchement du président de la juridiction de jugement la Cour d’appel
militaire de Blida, en matière criminelle. Il ne peut en aucun cas connaitre de
cette affaire sur renvoi de la Cour suprême, car ayant déjà connu et statué sur
celle-ci.
En doctrine,
l’empêchement d’un magistrat doit être lié à des circonstances inhérentes à la
personne du magistrat, nonobstant les cas limitativement énumérés
d’incompatibilité et de récusation par l’article 13 du code de justice
militaire, et non pas crée par une décision de justice, fut-elle de la
Cour suprême.
Cette
décision de la chambre criminelle près la Cour suprême va imposer au
ministre de la défense nationale de suppléer, par arrêté, le
président de la Cour d’appel militaire de Blida par un autre magistrat
civil exerçant les mêmes fonctions auprès d’une autre Cour d’appel militaire
(Oran ou Ouargla), conformément aux dispositions de l’article 5 bis1 du code de
justice militaire : « En cas d’empêchement du président de la
juridiction militaire ou de l’un des magistrats militaires, il est procédé à
leur suppléance, selon le cas, par des magistrats des juridictions d’une autre
région militaire par arrêté du ministre de la défense nationale ».
De même,
cette décision de renvoi par la Cour suprême de cette affaire sur la Cour
d’appel militaire de Blida, autrement composée, appelle les remarques
suivantes :
1-Il est
inconcevable que des magistrats chevronnés et expérimentés puissent méconnaitre
les dispositions du code de justice militaire, notamment la composition de la
formation de jugement de la Cour d’appel militaire, en matière criminelle.
2-cette
décision pourrait avoir été basée sur le maintien des liens familiaux des
détenus concernés. En effet, la ville de Blida est proche d’Alger, le lieu de
résidence de la famille de l’ensemble de ces détenus.
3-le
transfèrement de ces détenus pour être jugé par une autre Cour d’appel
militaire (Oran ou Ouargla) n’aurait pas été envisagé, peut être, du fait
qu’ils pourraient bénéficier d’une décision d’acquittement.
4-cette
éventualité (acquittement) n’est pas à écarter (1). Mais, une condition
s’impose : Bouteflika Said devrait être inculpé
par la juridiction civile compétente et une ordonnance de placement en
détention provisoire rendue à son encontre. Ainsi, il ne sera pas libéré après
le prononcé de l’arrêt d’acquittement, étant donné qu’il serait détenu
pour autre cause (faits de corruption et autres infractions, y compris celles
qui leur sont connexes, prévues par l’article 211 bis 2 de l’ordonnance 20-04
du 30 aout 2020 modifiant et complétant le code de procédure pénale).
(1) Le
retour du Général-Major à la retraite Nezzar Khaled
est un indice.
Enfin, il
appartiendrait, également, au Procureur général près la Cour d’appel militaire
de Blida de saisir la Cour suprême par une requête en rectification d’une
erreur matérielle, à l’effet de renvoi de cette affaire devant une autre Cour
d’appel militaire, ce qui serait une conformité à la loi, notamment aux
disposition de l’article 5 bis du code de justice militaire.
A titre
personnel, je crois que la décision de la Cour suprême serait le prélude
au prononcé d’un éventuel arrêt d’acquittement dans cette affaire.
Ce qui, de mon point de vue, ne serait que justice et équité.