JUSTICE- CONDAMNATION- PEINE DE MORT- MORATOIRE/ONU 2020
© Liberté/A.Rafa,
dimanche 20 décembre 2020
Alors que le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, et le président du Conseil national des droits de
l’Homme, Bouzid Lazhari,
ont soutenu récemment que la peine de mort pourrait être réintroduite, l’Algérie
a voté, mercredi 16 décembre 2020, lors de la 75e session plénière de
l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution portant un moratoire
mondial sur l’application de la peine de mort.
Une position qui désavoue clairement les auteurs des appels à l’application
de la peine capitale dans le pays. L’avocat et
militant des droits de l'Homme, Mustapha Farouk Ksentini, que nous avons joint, assure “penser le grand
bien” de cette résolution, en arguant le fait que “l’Algérie l’a signée et
qu’elle a participé à ce moratoire”.
“Ce qui est, selon lui, extrêmement positif.” Son argument : “La peine de
mort est une peine d’un autre âge et
qui a fait son temps. Au siècle de la
modernité, où tous les pays européens sans exception s’en sont débarrassés, je
souhaite que l’Algérie soit l’un des premiers pays arabes à abolir la peine de
mort”, a-t-il affirmé en suggérant d’adopter une démarche de
“petits pas” dont fait partie ce moratoire.
Cependant, Me Ksentini, qui a longuement
travaillé sur ce dossier en tant qu’ancien président de la Commission nationale
consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme, a fait état
d’“une résistance d’inspiration religieuse”.
Explications : “Il y a des gens qui vous disent que le Coran parle de la
peine de mort et d’el Quisas (loi du Talion). Oui, il
parle de la peine de mort dans un seul cas, celui de l’homicide volontaire,
mais le vol et les autres crimes, il n’en parle pas. Et lorsque le Coran parle
de l’homicide volontaire, il évoque également le pardon de la famille de la
victime qui est susceptible d’emporter l’inexécution de la peine lorsqu’elle
sera prononcée.
Mais dans l’opinion publique, si nous sortons dans la rue, sur 10 personnes
que nous allons rencontrer, il y en aura 8 qui vous diront qu’elles sont pour
la peine de mort. J’ai même vu des personnes auxquelles on a volé le téléphone
portable et qui appellent à rétablir la peine de mort. C’est insensé.”
Il a aussi indiqué que “les juges continuent de prononcer la
peine de mort depuis 1993 à ce jour, puisque la législation n’a pas
changé”. Pour l’exemple, il a affirmé “avoir lui-même
plaidé, la semaine dernière, une affaire où la peine
de mort a été prononcée, alors qu’il s’agissait… d’un malade
mental !”.
En l’absence de statistiques que “le ministère de la Justice n’a jamais
publiées”, Me Ksentini soutient qu’“il y a eu au
minimum une centaine d’exécutions, depuis que je suis avocat, il y a 54 ans” et
“les peines de mort prononcées sont, elles, beaucoup plus importantes”.
Et d’exprimer sa conviction : “Ce qui m’a personnellement convaincu de la
nécessité de l’abolition de la peine de mort, je l’ai vécu sur le terrain. En
1973, un Algérien qui travaillait à la SNLB a détourné un million de dinars à
l’époque, et a été condamné à mort et exécuté. Maintenant, nous voyons des gens
qui détournent des milliards et qui sont condamnés à pas plus de 10 ans de
prison.”
Revenant sur l’affaire de la petite Chaïma qui a
relancé les appels à la réintroduction de la peine de mort, Farouk Ksentini a affirmé : “L’enlèvement et l’assassinat
d’enfants sont des choses horribles, mais ce n’est pas parce qu’une
personne n’a pas respecté la vie humaine d’autrui que la justice ou l’État ne
doit pas, à son tour, respecter la vie humaine du criminel. Quelle que soit
l’horreur du crime, l’État n’a pas vocation à tuer. La justice non plus n’a pas
vocation à tuer.” Il préconise, à la place de la peine capitale, l’application
d’une peine de substitution.
“Je ne demande pas à ce que les criminels soient relâchés dans la nature et
renvoyés dans leur foyer. Il y a une peine de substitution qui est la réclusion
à perpétuité, sans qu’il soit possible de laisser le criminel bénéficier d’une
quelconque remise de peine ou de grâce. Autrement dit, la réclusion criminelle
réelle, jusqu’à sa mort. Il y a des ONG qui considèrent que cette peine de
substitution est beaucoup plus dure que la peine de mort.”
Un débat autour de la question s’impose. “Il est temps que nous discutions
de ce problème de manière sérieuse et responsable pour que nous puissions
arriver à convaincre ceux qui continuent à la défendre, parce que ceux qui la
soutiennent considèrent qu’elle est exemplaire et dissuasive, en ce sens
qu’elle pousse le criminel à ne pas passer à l’acte.
Ce qui est totalement inexact, parce que même dans les pays qui continuent
à exécuter, la criminalité n’a pas diminué pour autant.” En définitive, pour
sortir de ce dilemme, “il faut avoir une position à la fois courageuse,
rationnelle et moderne. Parce que la peine de mort a fait son temps. Nous ne
sommes plus au Moyen-Âge”, conclut-il.