JUSTICE-
OPINIONS ET POINTS DE VUE-COMMUNIQUE PRESIDENCE 9/8/2020- OBSERVATIONS ZERROUK AHMED *
De l’art de s’y méprendre (publiée par www.algerie1.com, 14/9/ 2020))
Le dernier communiqué de la Présidence de la
République, diffusé le 09 aout 2020 par l’APS, à l’issue de la réunion du
Conseil des ministres, tenue le même jour, appelle les observations
suivantes :
les rédacteurs de ce
communiqué et concernant « les incidents et dysfonctionnement graves
qui sont survenus ces dernières semaines – incendies de forets, rupture en
électricité et eau potable, indisponibilité brutale de liquidités au niveau des
centres postaux - », ont précisé ce qui suit : «… il (Monsieur
le Président de la République) a enjoint le gouvernement à l’effet de mener à
leur terme les enquêtes diligentées, de porter à la connaissance de la
population ses résultats, preuves à l’appui, et de veiller à la sanction de
leurs auteurs avec la plus grande fermeté ».
Faisons une étude de ces
directives présidentielles, telles que rédigées dans ledit communiqué :
1-« mener à leur terme les enquêtes diligentées »,
à contrario, il est aisé de comprendre que les enquêtes diligentées pourraient
être tronquées ou abandonnées ou faire l’objet d’un « simple oubli ».
Donc, il y a une certaine
appréhension au sommet de l’Etat que ces enquêtes ne soient pas
menées à leur terme, ce pourquoi Monsieur le Président de la
République insiste pour qu’elles aboutissent toutes.
Maintenant, il faut
distinguer entre les enquêtes administratives et les enquêtes
préliminaires. Les enquêtes administratives sont des investigations
qui relèvent de la compétence de l’autorité administrative et peuvent
déboucher, en cas de commission d’une faute, à une procédure disciplinaire.
Quant à l’enquête
préliminaire, elle est du ressort des officiers de la police
judicaire qui agissent, soit sur les instructions du procureur de la
République, soit d’office.
Dans ce dernier cas, il
n’appartient nullement à l’exécutif de s’immiscer dans une pareille enquête
préliminaire, en application du principe de la séparation des pouvoirs.
2-« de porter à la connaissance de la
population ses résultats (de l’enquête), preuves à l’appui ».
Cette phrase est en contradiction
complète avec le code de procédure pénale, notamment son article
11/1eret 2èmealinéas (la procédure au cours de l’enquête et de
l’instruction est secrète, et toute personne qui y concourt est tenue au secret
professionnel».
J’ouvre ici une
parenthèse pour dire que cette façon de procéder qui est également
contraire aux dispositions de l’article 11/3èmealinéa du code de procédure
pénale, vient d’être suivie par « monsieur le Directeur de la Justice
Militaire au Ministère de la Défense Nationale », qui n’est pas le
représentant du ministère public - Procureur Général Militaire et Procureur
Militaire de la République – voir dépêche APS 11/08/2020- ; et je
ferme la parenthèse.
De plus, le juge,
et une fois les débats clos, se prononce selon son intime
conviction, en matière criminelle, conformément aux dispositions de l’article
307 du code de procédure pénale.
Dans ce cadre, il est à
relever que les articles 212, 213 et 215 imposent aux juridictions de jugement,
en matière d’administration de la preuve, ce qui suit :
Article 212 :
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent
être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime
conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur les preuves
qui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant
lui ».
Article 213 :
« L’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation
du juge ».
Article 215 :
« Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et
les rapports constatant les crimes et délits ne valent qu’à titre de simples
renseignements ».
En outre, la formulation
de ladite phrase viole le principe de la présomption d’innocence,
consacré par les dispositions de l’article 56 de la Constitution :
« Toute personne est présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa
culpabilité par une juridiction régulière dans le cadre d’un procès équitable
lui assurant les garanties nécessaires à sa défense ».
Le principe essentiel du
procès équitable réside dans le fait que la cause de toute personne inculpée
aux formes de droit doit être entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable par un juridiction indépendante et impartiale établie par
loi.
3-« veiller à la sanction de leurs auteurs avec
la plus grande fermeté ».
Cette phrase est antinomique
du principe de l’indépendance de l’autorité judicaire, d‘autant plus que
Monsieur le Président de la République est garant de cette indépendance.
Les dispositions de
l’article 156 de la Constitution sont sans équivoque : « le
pouvoir judicaire est indépendant. Il s’exerce dans le cadre de la loi. Le
Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir
judicaire ».
Le juge du siège comme
celui de l’instruction n’obéissent qu’à la loi (article 165 de la Constitution)
et non aux injonctions et autres instructions du pouvoir exécutif, qui
s’assimilent à une immixtion dans le cours de la justice, qui est
proscrite par l’article 166/1eret 2èmealinéas de la Constitution.
La sanction, lorsqu’il
s’agit d’infractions qualifiées crimes, délits ou contraventions est de la
compétence exclusive du pouvoir judiciaire. Et, le juge est indépendant et
n’obéit qu’à la loi.
Par ailleurs, et dans un
autre paragraphe, ledit communiqué donne cette information : « le
Président de la République a tenu… à porter à la connaissance des ministres que
des arrestations viennent d’être opérées en ce qui concerne des actes de
destruction de poteaux électriques dans la wilaya de Bouira,
ainsi que celle d’un pyromane qui a avoué avoir mis le feu volontairement
à la forêt de Ait-Laaziz dans la même
wilaya ».
Ici, il y a lieu
de souligner que seuls le représentant du ministère public (Procureur Général
ou Procureur de la République) ou l’officier de police judicaire sur
autorisation écrite du procureur de la République, peut rendre publics des
éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur
le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause –
Article 11/3èmealinéa du code de procédure pénale -.
De même, il existe une
différence entre le pyromane et l’incendiaire. Le premier relève de la
psychiatrie puisqu’il répond à une pulsion d’allumer des incendies, c’est un
« maniaque du feu » ; et l’incendiaire, c’est-à-dire une
personne qui allume volontairement un incendie.
D’ailleurs, le code pénal ne
consacre aucunement le terme de « pyromane », dans ses articles 396
et 396 bis, mais fait état de : « quiconque – autrement dit
toute personne -,….met volontairement le feu… ».
Je ne veux pas entrer dans
un autre aspect, celui lié à la haute charge dévolue par la Constitution au
Président de la République, qui ne sied nullement, à mon humble avis, à ce qui
est rapporté dans ce paragraphe.
D’autre part, il
y a lieu de signaler une question, qui a un lien avec l’Etat de droit et le
principe de la primauté de la loi, objectifs de l’Algérie nouvelle, de la
République nouvelle, voulue par Monsieur le Président de la République. Il
s’agit des déclarations « politiques » faites le 10
aout 2020 par le Premier Président de la Cour Suprême.
En effet, et lors de la
cérémonie d’installation du nouveau président de la Cour de Médea
et du nouveau Procureur Général auprès de ladite juridiction, ce haut magistrat
a appelé, selon le journal électronique Ennaharonline :
« à faire preuve de vigilance et de prendre conscience des
enjeux difficiles de cette étape et de la contre révolution dont l’Algérie fait
l’objet ».
Au cas où ces paroles ont
été réellement prononcées par le Premier Président de la Cour Suprême, le
Peuple, source de tout pouvoir, aimerait bien connaitre ces
révolutionnaires qui ont pris le pouvoir dans notre pays. Je crois qu’aucune
personnalité politique ou militaire qui exerce actuellement des
responsabilités n’est membre du Conseil de la révolution.
De plus, ces paroles sont
contraires au devoir de réserve auquel est tenu tout magistrat et aux principes
d’indépendance du pouvoir judiciaire et de séparation des pouvoirs.
L’article 171/1eralinéa de
la Constitution énonce que : « la Cour suprême constitue
l’organe régulateur de l’activité des cours et tribunaux ». Elle n’a
aucune compétence dans le domaine politique, elle a pour mission de contrôler
l’exacte application du droit par les tribunaux et cours, et d’unifier la jurisprudence.
Je terminerais en attirant
l’attention sur ce qui suit :
1-Les incendies de foret. L’Algérie connait chaque
année, en été, des feux de forets. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, ni
d’inédit dans notre pays. Les incendies qu’elles soient d’origine criminelle ou
naturelle, se déclarent dans tous les pays (Portugal, Espagne, Grèce, USA
…etc.)
2-La rupture en électricité et eau potable. En été, des
ruptures en eau et en électricité surviennent. Ce n’est pas un fait nouveau en
Algérie.
Au cas où il s’agit de la
station de dessalement d’eau de mer de Fouka, il
faudrait informer l’opinion publique : est-ce un acte criminel,un acte de sabotage ou une malheureuse coïncidence
avec l’Aid El-Adhaa, due à
un problème technique ou autre.
Selon la dépêche de l’APS du 1eraout 2020, l’incident survenu la veille de l’Aid
El-Adhaa, le jeudi à 4h30, a été résolu en début
d’après-midi et la station a repris sa production optimale. Il n’est pas fait
état d’un quelconque acte de sabotage ou de dégradation volontaire par un
tiers.
3-L’indisponibilité brutale de liquidités au niveau des
centres postaux. Cette situation a été étudiée au cours d’une réunion tenue le
28/07/2020, sous la présidence du Premier ministre.
Le communiqué du Premier
ministre daté du 28/07/2020 est explicite : une réunion interministérielle
a été consacrée à l’examen de la situation de la disponibilité des liquidités
dans le réseau postal face à la pression de la demande de la clientèle qui
s’exerce à travers les titulaires de 22 millions de comptes de chèques postaux
actifs.
Je cite toujours le
communiqué : la situation actuelle ne se pose pas en termes de
disponibilité de liquidités mais elle est plutôt la résultante d’une
conjoncture tout à fait particulière liée aux impacts de la situation sanitaire
qui a provoqué un ralentissement de l’économie avec ses conséquences sur la
circulation et le recyclage des liquidités.
Epilogue : Il
appartient à Monsieur le Président de la République de
s’entourer de compétences, y compris celles disposant
d’un « savoir » juridique et judicaire, qui soient dans
une obligation de loyauté envers sa personne, c’est-à-dire de vérité, et non de
complaisance courtisane pour s’extasier devant chaque parole présidentielle.
Ces compétences doivent
exprimer leur avis sans fioriture et doivent être capables d’argumenter en
privé avec Monsieur le Président de la République, en cas de désaccord. Elles
doivent avoir une forte personnalité et un franc parler.
*Colonel à la retraite ZERROUK Ahmed,
ex-cadre/MDN.