JUSTICE - ENQUETES ET REPORTAGES-
CORRUPTION- AFFAIRE « MME MAYA »/SAID BOUTEFLIKA
©Le Soir d’Algérie/Abla Chérif, mercredi 26 août 2020
Le
procès de la prétendue fille de Abdelaziz Bouteflika
s’ouvre aujourd’hui au tribunal de Chéraga. Les dessous de l’affaire de « Mme
Maya » seront étalés au grand jour. Nous vous proposons ici l’histoire de celle
que l’on surnommait aussi « la princesse de Moretti ».
- Tout commence aux derniers mois de l’année 2001, lorsque la dénommée Lechnach
Zoulikha-Chafika décide de foncer droit vers la cour des grands en tentant de
reprendre langue avec le nouveau chef de l’Etat. Commerçante de tissu depuis
les années 90, elle a tenté, à plusieurs reprises, d’étendre ses affaires, sans
succès. L’arrivée de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir
lui fournit l’aubaine attendue. Ce dernier, répète-t-elle, à qui veut bien l’entendre,
avait de l’amitié pour son défunt père, un moudjahid. Dans son entourage, on
sait aussi que cette dernière avait eu plusieurs entretiens téléphoniques avec
lui lorsqu’il se trouvait établi dans la célèbre demeure du chemin
Bachir-Ibrahimi, à El-Biar. Elle lui rend aussi visite pour prendre de ses
nouvelles. Durant l’enquête à laquelle elle fut soumise, elle fait également
savoir que Bouteflika l’avait lui aussi contactée par téléphone à plusieurs
reprises. En octobre 2001, les entretiens qui se déroulent entre elle et le
tout nouveau Président dépassent les simples échanges amicaux. Elle lui demande
de l’aider à faire aboutir un projet d’édification d’un parc d’attractions à
Chlef.
Durant l’enquête, elle affirme que l’ancien secrétaire particulier du Président
avait été spécialement chargé de l’aider dans son entreprise. Mohamed Rouguab
lui prend rendez-vous avec le wali de Chlef, Mohamed Ghazi, futur ministre du
Travail. La rencontre avec ce contact précieux se déroule durant le même mois.
Ghazi la reçoit, accorde l’aide demandée pour l’édification du parc
d’attractions. Mme Maya reçoit également un logement, dans cette même wilaya,
et le met au nom de sa fille Imen bien qu’il serve pour l’instant à abriter les
gestionnaires du parc en question. Elle affirme aussi avoir payé les frais de
construction du site de son propre argent. Elle insiste sur le mot
investissement. Le wali de Chlef accepte également d’accéder à une autre
demande : un terrain de 500 mètres carrés qu’elle met au nom de sa seconde
fille, Farah. Mme Maya avait un deuxième projet en tête, celui de construire
une station d’essence et monter un commerce de produits divers. Face aux
enquêteurs, la mise en cause se défend en affirmant avoir acheté ce terrain qui
a coûté cinq millions de DA.
Elle avoue, cependant, l’avoir revendu à dix millions de DA en raison de
l’impossibilité d’accomplir son second projet. Des liens se tissent rapidement
entre les deux personnages. Mme Maya confirme que Ghazi Mohamed lui avait rendu
plusieurs fois visite dans sa villa à Moretti. Ses deux filles tiennent les
mêmes propos. Imen précise de son côté que le wali n’était seul qu’une seule
fois lorsqu’il leur a rendu visite, et qu’il était accompagné de membres de sa
famille les autres fois.
Le wali de Chlef chargé de l’aider…
Mme Maya n’hésite pas à enfoncer Mohamed Ghazi. Elle déclare que c’est ce
dernier qui lui a présenté le sénateur Talbi Ali, ajoutant qu’il lui avait
avancé une somme de 55 milliards de centimes pour l’achat de trois maisons en
construction à Hydra. Elle affirme avoir remboursé la totalité de l’argent
emprunté, contrairement au sénateur qui affirme, lui, que seule une partie lui
a été restituée. Mme Maya roule littéralement sur l’or. Les revenus mensuels du
parc d’attractions de Chlef s’élèvent à 600 millions de centimes. Selon ses
propos, Ghazi l’aide aussi à acheter deux maisons à Ben Aknoun, mises au nom de
ses filles, et œuvre pour lui permettre d’acheter quatre maisons à Moretti.
Elle affirme avoir procédé à des aménagements qui ont permis de transformer ces
maisons en une villa de six pièces : la fameuse villa de Moretti. Ces maisons,
avoue-t-elle, ont été achetées à des prix différents à leurs propriétaires.
L’une d’elles appartenait à un dénommé Saïdani Ali. Il avait fixé le prix de la
vente à trois milliards de centimes. Une autre a été acquise auprès d’un ancien
ministre des Télécommunications en 2010, en échange de 4 milliards de centimes.
Mohamed Ghazi s’est, quant à lui, chargé de la mettre en contact avec un
notaire qui a établi les papiers d’achat en bonne et due forme. Autre aveu de
taille, Ghazi, dit-elle, l’avait mise en contact avec un certain Mustapha,
fonctionnaire à la présidence de la République et ce dernier facilitait ses
déplacements à l’aéroport d’Alger.
Le dossier de Mme Maya ne comporte, cependant, pas uniquement celui de Mohamed
Ghazi. Au moment où les faits se déroulent, Abdelghani Zaâlane est wali d’Oran.
Sollicitée par une connaissance pour des projets d’ouverture de supérettes à
Oran, elle fait encore appel à Mohamed Ghazi qui a toujours dit qu’il
considérait Abdelghani Zaâlane comme un frère. Ce dernier ne refuse pas de
recevoir les personnes recommandées par le wali de Chlef. Quelques jours plus
tard, Mme Maya reçoit la visite d’un voisin, Yahiaoui Mohamed, actuellement en
fuite. Sa fille Imen l’accueille, il lui demande de prendre un carton contenant
des marchandises. La mère déclare qu’elle était malade à ce moment et qu’elle
n’avait eu aucun échange avec ce voisin. Le carton contient en réalité dix
milliards de centimes, une offrande des entrepreneurs d’Oran, lui fait savoir,
ensuite, Yahiaoui. Il quitte le domicile mais revient en début de soirée,
fouille dans le carton et emmène avec lui une grosse somme d’argent. Il prétend
qu’il s’agit là d’un emprunt et promet de revenir. La nuit arrive, une équipe
des services de sécurité investit la plus célèbre villa de Moretti et met la
main sur un véritable trésor. Vingt kilos d’or, évalués à vingt milliards de
centimes, soixante-dix milliards de centimes et les 10 milliards de centimes
que Yahiaoui avait amenés. Mme Maya et ses filles passent neuf jours à la
caserne Antar.
Elles sont, ensuite, relâchées et nullement inquiétées. L’épisode est entaché
de zones d’ombre. Lorsqu’elle est arrêtée, en juillet 2019, Farah, master 2 en
politique étrangère, insiste seulement sur le fait que Yahiaoui Mohamed leur a
rendu les 10 milliards de centimes en février 2017, qu’il était venu avec un
ancien député, et tient aussi à préciser qu’elle n’avait fait aucune
déclaration durant ces neuf jours de détention. «J’ai, cependant, accepté de
signer le P-V pour qu’on me permette de voir ma mère.»
Durant l’enquête à laquelle elle a été soumise, Mme Maya et ses filles
affirment toutes les trois n’avoir jamais reçu la visite de
Abdelghani Zaâlane ou de Mohamed Rouguab à leur domicile. Elles avouent,
cependant, avoir accueilli l’ancien patron de la DGSN, Abdelghani Hamel. Ce
déplacement se serait effectué à la suite d’un vol signalé dans la villa.
Contrairement aux affirmations générales, la mère et les filles nient avoir
bénéficié de la protection d’éléments de la police en tenue. Ici, les réponses
sont aussi vagues que celles apportées à la question de savoir si les deux
aides ménagères qu’elles employaient étaient issues du ministère du Travail.
Comme la mère, les deux filles déclarent ne pas savoir, ne pas se souvenir…
Imen tient seulement à faire savoir que l’aide apportée à sa sœur Farah —
maison à Ben Aknoun et Hydra — était justifiée par sa maladie, un cancer… Les
enquêteurs apprennent de sa bouche que le sénateur Talbi Ali était associé avec
la mère. C’est un dossier dans lequel Ghazi Chafik, fils de l’ancien ministre
du Travail et wali de Chlef, nie toute implication. Lui aussi figure parmi les
personnes poursuivies.
Mais il y a aussi Rouguab Mohamed, secrétaire particulier de Bouteflika de
septembre 2001 à avril 2019. Ce dernier affirme avoir rencontré Mme Maya en
octobre 2004 à la demande de Abdelaziz Bouteflika qui
l’avait contacté par téléphone, lui demandant d’organiser un rendez-vous avec
le wali de Chlef pour lui régler des affaires. Rouguab s’exécute et informe le
président de la République que cette Mme Maya était venue à la présidence de la
République vêtue de manière indécente. Elle est reçue, dit-il, dans la salle de
réception de la présidence. Mohamed Rouguab nie avoir prétendu qu’il s’agissait
de la fille de Abdelaziz Bouteflika, et affirme ne
l’avoir jamais présentée comme telle. Il dit aussi ignorer si Abdelghani Hamel
avait donné deux terrains à des personnes qui lui avaient été recommandées par
Mme Maya. Il nie aussi l’avoir mise en contact avec Zaâlane.
Les enquêteurs apprennent, cependant, qu’en 2006, Abdelaziz Bouteflika lui
avait demandé de prendre attache avec l’ancien ministre de l’Intérieur
Noureddine Zerhouni pour lui demander de mettre fin aux fonctions ou muter les
walis d’El-Tarf, Annaba et Chlef. Selon Rouguab, Zerhouni a alors convaincu
Bouteflika de ne pas mettre fin aux fonctions de Ghazi mais de le muter de
Chlef à Annaba.
Le témoignage de l’ancien secrétaire particulier de Bouteflika s’arrête là. En
saura-t-on plus durant le procès ? Pour l’heure, les deux noms que Mme Maya
implique avec force sont ceux de Mohamed Ghazi et de
Abdelghani Zaâlane. Dans ses déclarations aux enquêteurs, elle les a
accusés de complicité avec Saïd Bouteflika et Abdelhamid Melzi, ancien DG de
Club-des-Pins. Ce sont eux, dit-elle, qui lui ont
tendu un piège en demandant à Yahiaoui Mohamed de lui remettre les dix
milliards de centimes. « Saïd Bouteflika me détestait en raison de ma proximité
avec Abdelaziz Bouteflika .»