JUSTICE- ENQUÊTES ET REPORTAGES-CORRUPTION- AFFAIRE HADDAD- REVELATIONS
© Abla Chérif - Alger (Le Soir)
L’affaire Haddad «dépasse de loin tout
ce que l’on peut imaginer. C’est un précédent, un cas unique dans les annales
de la justice», déclare au Soir d’Algérie (mercredi
15 avril 2020) Me Zakaria Dahlouk, avocat du
Trésor public.
L’avocat semble lui-même choqué par les chiffres «astronomiques» auxquels il a
eu accès. «Le préjudice est énorme ; terrible ! Jugez-en par vous-même : 50
millions d euros et près de 10 000 milliards de DA, de pertes pour l’économie
nationale», s’écrie Me Dahlouk. Les 50 millions
d'euros constituent la valeur d' achat de l'hôtel
Palace en Espagne, poursuit notre interlocuteur.
Ali Haddad, qu’il qualifie de véritable «baron du cartel financier algérien», a
bénéficié, dit-il, de 275 marchés publics dans plusieurs (quatre ou cinq,
dit-il) secteurs différents. «Il a touché à tous les secteurs, tous les
domaines, là il a mis la main sur tout ce qu’il pouvait obtenir, dans
l’agriculture, la pharmacie industrielle, l’hydraulique, les travaux publics,
les mines… Tous ces marchés publics ont été acquis de 2010 au jour de son
incarcération.» Les interventions de l’avocat du Trésor public sont très
attendues lors des grands procès liés à la corruption. Il est connu pour
dévoiler les chiffres que tous attendent.
Dans l’affaire de Abdelghani Hamel, il avait porté
l’estocade en énumérant, en fin de procès, la liste détaillée des biens
immobiliers et comptes de la famille. «Vous verrez pour Haddad, promet-il, les
Algériens ont raison de se demander où sont passés les 1 000 milliards de
dollars». Il nous livre, cependant, un aperçu du contenu de la longue liste qui
concerne Ali Haddad : 75 millions de dollars transférés illicitement à
l'étranger, 55 sociétés détenues par lui et son frère (Rebouh
Haddad également détenu), 452 prêts bancaires, «des sommes énormes qui se
chiffrent en milliards et là le CPA vient en tête». Deux hôtels en Espagne, le
Palace de Barcelone «et un autre hôtel», «et il y aura d’autres révélations
incroyables durant ce procès».
Selon Me Dahlouk, l’arrêt de renvoi est constitué de
720 pages. Ce document, apprend-on par ailleurs, est la partie émise par la
Cour suprême, «le tribunal de Sidi-M’hamed n’a, quant
à lui, pas encore eu le temps de finaliser son arrêt de renvoi, c’est un
travail énorme».
Des sources bien au fait de la situation indiquent que cette instance
judiciaire a dû, tout de même, se résoudre à programmer le procès car l’un des
détenus concernés par cette affaire a déjà fait ses huit mois de prison prévus
par la loi. «En principe, le procès ne peut être programmé qu’après la
finalisation de l’arrêt de renvoi par le tribunal compétent, mais dans le cas
présent, l’affaire est très lourde, il faut vérifier, relire... Cela demande
beaucoup de travail. Or, il se trouve qu’un ancien ministre a déjà purgé la
peine prévue par la loi. Il fallait que les délais soient respectés et le
procès a donc été programmé.»
L’ancien ministre en question n’est autre que Amara Benyounès, nous apprennent les mêmes sources. Ce dernier
est poursuivi pour octroi d’avantages indus. Plusieurs autres ex-ministres
comparaîtront avec lui. Parmi eux, les deux anciens chefs de gouvernement,
Ahmed Ouyahia et Abdelmalek
Sellal, mais aussi Abdelghani
Zaâlane, Amar Ghoul,
Mohamed El-Ghazi, Amara Benyounès, Saïd Barkat, Mahdjoub Bedda et Abdelkader Bouazgui. Les
noms de deux autres anciens ministres figuraient dans une liste publiée par la
Cour suprême au cours du mois de juin dernier : Karim Djoudi
et Amar Tou. Leur situation a été, cependant,
modifiée, depuis. Me Chellouche, avocate des concernés,
nous a fait savoir hier que ses clients avaient bénéficié d’un non-lieu. «Le
procureur a fait appel, mais la chambre d’accusation a confirmé le verdict du
juge, c’est définitif», explique l’avocate. Cette dernière nous a, en outre,
fait savoir que si le juge chargé de l’affaire Haddad décide de les convoquer,
«ce sera en qualité de témoins et non pas d’accusés».
Également constituée pour la défense de l’ancien ministre de l’Industrie Youcef Yousfi, Mme Chellouche
nous livre des explications qui témoignent de la grande complexité du dossier
Ali Haddad. «Le dossier de l’automobile a été divisé en trois parties, et l’une
des ces parties sera également traitée durant ce procès, il y a donc deux
affaires en une.» L’affaire automobile en question concerne la société de
construction automobile Saven à travers laquelle
Haddad projetait la production de véhicules de marque Astra.
Les ministres poursuivis dans ce dossier sont Youcef
Yousfi, Mahdjoub Bedda et
Ahmed Ouyahia. La justice a décidé également d’associer
le dossier Sovac à cette affaire. Mourad Eulmi, patron de cette société de montage automobile, a été
cité parmi les personnes appelées ce lundi par le tribunal de Sidi-M’hamed. Comme les autres prévenus, il n’avait,
cependant, pas été extrait de la prison d’El-Harrach pour raison sanitaire.