JUSTICE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI
ABDELKADER HAMMOUCHE- « LE GLAIVE ET LA BALANCE »
LE GLAIVE ET LA BALANCE. PLAIDOYER POUR
UNE JUSTICE INDEPENDANTE. Essai de Abdelkader Hammouche. Editions Barkat, Alger 2019 , 189 pages, 400 dinars.
L’auteur n’y va pas par quatre chemins. Il
est vrai que pour l’avocat qu’il est devenu, le temps et la précision comptent
énormément. De plus, la situation de la
justice algérienne était devenue tellement dramatique (aux yeux des citoyens et
des justiciables comme à ceux des
avocats) , faisant tellement peur (à tort ou à
raison) que le « remède de cheval » s’avère
nécessaire.
Dramatique et cela s ’est plusieurs fois
vérifié avec la cascade d’
affaires » enregistrées durant le règne du bouteflikisme
mais « traitées » de telle manière que les « gros » s’en
tiraient toujours avec peu de dégâts, que les « très gros » n’étaient
cités que comme « simples témoins » et qu’ « essuyaient les
plâtres » (dans le cellules des prisons) seulement les
« troisièmes couteaux » .
Elle faisait si peur car il arrivait que la
victime se voit, parfois, transformée en coupable.
Cherchez les erreurs !
L’auteur, grâce à ses décennies d’activité en tant qu’avocat , ancien journaliste de terrain (ayant d’ailleurs
goûté du « glaive » pour une « affaire » somme toute banale
, pour ne pas dire ridicule) , s’en est donc allé à la pêche aux
« affaires » puant à plein nez l’injustice (ou bien plutôt la justice
sur « injonctions »). D’ailleurs, après le mouvement populaire du 22
février 2019 (« Hirak »)
, bien des dossiers vont
,semble-t-il ressortir des tiroirs.
On a donc quelques exemples désormais
fameux, dignes d’être étudiés dans les
Ecoles de Droit, d’Administration
ou/et de Magistrature :
L’affaire Cnan
Group/Ibc, révélée en 2010/2011 pourtant commencée en
2005/2006......La privatisation d’une entreprise publique dévoyée au profit
d’intérêts personnels. L’Algérie flouée par deux sociétés étrangères et un
homme d’affaires algérien résidant en Jordanie. Les membres du Cpe et le Premier ministre de l’époque jamais entendus et deux personnes
, des Dg, condamnées .
L’affaire Khalifa Bank, en 2003, date de la
« découverte « du scandale. Quelques milliards de dollars
envolés ! Lors d’un premier procès, 124 personnes mises en cause...et 4
000 auditions. Le juge d’instruction a bien convoqué et entendu des ministres
en exercice et des ex-ministres, mais n’a placé aucun en détention provisoire
ni même sous contrôle judiciaire. Idem lors du second procès, en 2015 : 18 condamnations ,
mais 53 acquittements .
L’affaire Sonatrach
(en fait, il y en aura 4) en 2010...et un ministre de l’Energie, ancien Pdg de l’entreprise....en fuite puis revenu
« librement » au pays....et un procureur (B. Zeghmati)
et un ministre (M. Charfi)
, trop téméraires ou trop confiants ...qui « essuieront les plâtres ». Une grosse affaire de
corruption et des peines estimées « légères », car
« politiques »
L’affaire
de l’Autoroute Est-Ouest : Pour 1226 km une enveloppe initiale de 6
mds usd.... devenue 11 mds usd......mais
en fait, dit-on, 20 mds usd. Certaines personnes sont
accusées d’avoir empoché 2,5% de commissions . Bien
sûr, tout le monde nie. Et le ministre en charge du dossier déclare même que
« l’affaire avait été montée de toutes pièces par le Drs
à seule fin de ternir l’image du Président ». Une instruction qui a duré
près de 3 années. 16 accusés et un verdict « en demi-teinte ».
L’affaire Mellouk....un
petit fonctionnaire ayant dévoilé ,en 1992 déjà, une cinquantaine de dossiers
de « magistrats faussaires » , ayant falsifié des attestations
d’ancien moudjahid.......Aujourd’hui encore, à un âge avancé , après avoir
connu la prison et l’Istn et avoir été menacé, lui et
sa famille , il continue son combat...car rien n’a été encore tranché....d’autant
que le dossier est « introuvable »....Situation inédite dans les
annales de la Cour suprême.
L’affaire Benchicou,
emprisonné (deux années purgé sans bénéficier d’une seule journée de remise de
peine ) pour une affaire ,« banale
», de « bons de caisse » introduits en Algérie à son retour de
l’étranger, puis ruiné suite à la « saisie-vente » de son journal ,
« Le Matin »......tout cela parce qu’il avait publié , en 2004, un
livre pamphlet à grand succès, « Bouteflika, l’imposture algérienne » et
qu’il était poursuivi , aussi, par la haine du puissant ministre de l’Intérieur
de l’époque, accusé d’avoir pratiqué la torture dans les années 70.
Mais que faire pour éliminer la « justice aux ordres » et mettre , enfin le glaive
au service de la balance et se débarrasser de juges surnommés ,
dans certaines villes, « les chambres à gaz de la justice », là où
les verdicts sont considérés inéquitables et expéditifs:
Des juges indépendants certes mais aussi
compétents et aux comportements qui honorent la profession/ Une nouvelle
organisation...à revoir en urgence...avec plus de moyens humains et matériels
et gestion informatisée des affaires/ Revoir la loi cadre de 2017 portant code
de déontologie des magistrats/ Nécessité de réformer de Csm
pour une plus grande indépendance / Nomination reposant sur els compétences
professionnelles et non pas sur le « copinage »/ Une gestion budgétaire
autonome des juridictions/ Mettre les juges à l’abri des groupes de pression et
de la corruption (la mafia politico-financière)/
Revoir le recrutement et la formation/ Spécialisation dans les médias
(rubriques judiciaires) / Mobilisation des avocats, les ligues de droits de
l’homme et des associations civiles /Transparence des patrimoines (magistrats
et leur famille) dès l’entrée en fonction/ La publicité immédiate des décisions
de justice et accès des justiciables à toutes les décisions judiciaires/Imposer
aux magistrats l’utilisation des microphones placés dans les salles d’audience
(c’est tout bête et pourtant....) / Améliorer les conditions de travail des
greffiers/ Que les justiciables sortent de l’attitude passive et promotion de
la culture de la protestation et ne plus se complaire dans le
fatalisme............................
Au départ, il est vrai ,
il y a la « volonté ferme des pouvoirs publics ». En bonne
voie......mais, hélas, toujours après une révolte, comme le « Hirak » actuel. Auparavant on a eu des déclarations
mais une volonté bien molle et clanique ou affairiste. Des dégâts difficiles à
réparer !
L’Auteur : Né à
Alger en 1952. Ancien journaliste d’Algérie Actualités (tous les anciens se
souviennent de sa « mésaventure » avec la Sm
de l’époque qui l’avait « embarqué »
(pour un certain temps). Il avait alors trop bien fait son boulot
.....Par la suite devenu avocat. Auteur de plusieurs ouvrages (romans, récits et essais )
Extraits : « Nos commissariats et nos tribunaux sont froids comme des
couperets et impersonnels comme un salle de gare. En somme, tout est fait pour
instiller sinon la peur, du moins un sentiment désagréables de malaise »
(p 17) , « A quoi serviraient des lois –aussi
juste soient-elles- si certains magistrats les appliquent « à la tête du
client » ? Si la justice des amis détrône la justice du peuple ?
« (p 122), « Si notre élite
est attirée par l’étranger, ce n’est pas toujours parce qu’elle aspire à être
mieux rémunérée qu’en Algérie, mais surtout parce qu’elle a soif de
justice » (p 146), « La goutte qui a fait déborder le vase est
sans doute le cinquième mandat d’un
président impotent et muet.....Mais la cause de ce soulèvement (février 2019)
est plus profond : la pérennisation d’un système politique fondé sur la
négation de la justice, la corruption, et l’incompétence » (p 190)
Avis :Un véritable réquisitoire (contre les abus des
magistrats) , mais aussi une formidable plaidoirie (pour une justice équitable
et transparente) qui remettent « les pendules à l’heure » ...dans une
horloge jusqu’ici trop tripatouillée. Ne nous manque plus que des ouvrages sur
le « monde » des avocats, des notaires, des huissiers.....pour faire
tout le tour de la question.
Citations : « La
justice ne s’accommode pas de demi-mesures : son fonctionnement est soit
transparent, soit obscur » (p 46), « La bonne foi ne suffit pas
lorsqu’on veut démolir un mur. Et la justice est un mur d’une solidité à toute
épreuve » (67) « Pour rester impuni, mieux vaut être une haute
personnalité qu’un second couteau » (p 77), « Une société sans
justice est une société tyrannique. La tyrannie conduit ,
à brève ou moyenne échéance, à l’explosion sociale « (p
135), « Que la justice dérape, et c’est toute la société qui en
pâtit » (p 179).