JUSTICE- DOCUMENTS ET TEXTES RÈGLEMENTAIRES-
CORRUPTION- PRIVILÈGE DE JURIDICTION
Le Parquet Général près la Cour d’Alger a
indiqué dimanche 26 mai 2019 , dans un communiqué, que
11 anciens hauts responsables (OUyahia, Sellal, Zoukh, des anciesn ministres comme Ghoul, Benyounès ..) et le wali d’El Bayadh,
toujours en poste, poursuivis en justice, pour des faits à caractère pénal
« bénéficient de la règle du privilège de juridiction ».
L’article 537 du code de procédure a
suscité une grande polémique du fait qu’il ne concerne pas les anciens
ministres et ex hauts responsables de l’Etat. Des juristes apportent des
éclaircissements.
-Me Nadjib Bitam, avocat et enseignant universitaire à la Faculté de
Droit soutient que conformément à l’article 573 le privilège de juridiction
est un droit accordé aux hauts responsables et aux membres du gouvernement,
selon le code qui contient un «titre» réservé aux « crimes et délits commis par
des membres du gouvernement, des magistrats et certains fonctionnaires ». Mais
les citoyens sont-ils alors égaux devant la justice ? Un prévenu doit
normalement être jugé devant la juridiction territorialement compétente.
L’avocat a précisé, que les personnes citées par le Parquet Général prés la
cour d’Alger ont exercé des fonctions gouvernementales. Ils avaient des
fonctions spécifiques et sensibles. « Ils avaient des liens et des
relations avec plusieurs pouvoirs notamment le pouvoir judiciaire. De ce fait
ils ne peuvent pas être jugés par un tribunal ordinaire. C’est là le principe
de privilège de juridiction », explique l’avocat. S’agissant de la
procédure judiciaire à suivre dans ces cas, Me Bitam
a précisé, que les hauts responsables (premier ministre, ministre, wali et
magistrat prés la cour suprême) sont entendus par les enquêteurs de la police
judiciaire sur des faits. « Le dossier est transmis au procureur de la
République prés le tribunal compétent, dans ce cas, c’est le tribunal de Sidi
M’Hamed qui transmet au Procureur Général prés la cour d’Alger. Le Parquet
Général prés la cour d’Alger prépare le dossier et l’envoie au Procureur
Général prés la Cour Suprême. Ce dernier ouvre une instruction judiciaire et
informe le président de la Cour Suprême sur la procédure et les faits », explique
l’avocat, rappelant que la Cour Suprême ne compte pas des juges d’instruction.
« La cour suprême est une juridiction de loi et non un tribunal
d’instruction. De ce fait, le président de la Cour Suprême désigne des
magistrats chargés de l’enquête et l’audition, parmi des conseillers auprès la
Cour suprême », a-t-il affirmé. Le Premier ministre devrait être jugé par
la Cour suprême de l’Etat. Qu’en est-il de l’article 177 de la Constitution,
qui stipule qu’il est institué « une Haute-Cour de l’Etat pour juger des
actes pouvant être qualifiés de haute trahison du président de la République,
des crimes et délits du Premier ministre, commis dans l’exercice de leurs
fonctions »? Me Nadjib Bitam
a précisé que celle-ci est chargée exclusivement de juger le président de la
République et le Premier ministre. « Dans le cas présent, nous sommes face
à deux anciens Premiers ministres. Mais la haute-cour de l’Etat n’a pas été
créée. Il y avait un laxisme de la part du pouvoir juridique et personne
n’imaginait des poursuites judicaires à l’encontre de ces hautes
personnalités », a-t-il relevé, signalant que la composition,
l’organisation et le fonctionnement de la Haute-Cour de l’Etat, ainsi que les
procédures applicables, sont fixées par une loi organique. Toutefois, l’avocat
a tenu à préciser que les 12 hauts responsables cités dans le communiqué du
Parquet Général prés la Cour d’Alger sont des prévenus qui bénéficient de
la présomption d’innocence. « Si l’enquête prouve leur inculpation, ils
seront jugés devant une juridiction en dehors d’Alger, afin d’assurer la
neutralité et en application du privilège de juridiction. Il seront également
jugés, dans le cadre de la loi sur la lutte contre la corruption ». Selon
les faits cités dans le communiqué du Parquet Général, les prévenus risquent
des peines à la prison ferme allant de 2 années à 10 années de prison ferme.
Levée de l’immunité de Ghoul et du wali d’El Bayadh …Une question de temps
-Me Athamnia
Khemissi, ancien juge et avocat agréé à la cour suprême
estime que cette dernière n’est pas habilitée à juger Ouyahia et Sellal. « Ils
devront être jugés par la haute Cour de l’Etat, conformément à l’article 177de
la Constitution mais celle-ci n’a pas été installée », fait il remarquer.
S’agissant de la notion du privilège de juridiction, l’ancien magistrat a
expliqué que le Premier ministre est poursuivi sur des faits commis lorsqu’il
occupait ce poste comme les autres ministres et les walis. Selon lui,
l’instruction sera confiée à un conseiller auprès la cour suprême, qui a
toutes les prérogatives dont le placement sous mandat de dépôt. Qu’en est-il du
wali d’El Bayadh en poste et Amar Ghoul,
membre du Conseil de la Nation, qui bénéficie de l’immunité? Dans le cas Ghoul Me Athamnia précise
que celui ne peut être poursuivi sans la levée de son immunité, à l’exception
du cas du flagrant délit comme ce fut le cas pour le sénateur de Tipaza.
« La poursuite est entamée à partir de la convocation et je pense que la
procédure de levée d’immunité se fera parallèlement », pense t-il.
Haute
cour de l’Etat : pas une urgence
-Amar Rekhila,
spécialiste en droit constitutionnel précise que l’Article 177 de
la Constitution relatif à la création d’une cour suprême d’Etat concerne des
poursuites contre le Président de la République et le Premier ministre. Pour
lui « la constitution d’une juridiction pour juger les hauts responsables
d’Etat, n’est pas une urgence car l’affaire est toujours en instruction et les
chefs d’inculpations, ne sont pas déterminés ». « Si on se réfère au
communiqué du Parquet, il s’agit de délits qui ne nécessitent pas le passage
devant une Haute cour », indique le professeur. «Toutefois, ils seront
jugés par une juridiction exceptionnelle au titre du privilège de juridiction
», assène t-il.