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Mandat de dépôt- Said Bouteflika/ Généraux Toufik et Tartag

Date de création: 07-05-2019 09:17
Dernière mise à jour: 07-05-2019 09:17
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JUSTICE- PERSONNALITÉS- MANDAT DE DEPÔT- SAID BOUTEFLIKA/GÉNÉRAUX TOUFIK ET TARTAG

 

Lourdes charges contre les prévenus

 

 (c) SALIMA TLEMCANI/EL WATAN, lundi 6 mai 2019

 

Vingt-quatre heures après leur interpellation par les officiers de la police judiciaire militaire, Saïd Bouteflika, conseiller et frère du président démissionnaire Abdelaziz Bouteflika, le général de corps d’armée à la retraite et ancien patron de l’ex-DRS (Département de renseignement et de sécurité) Mohamed Mediène, dit Toufik, et le général-major à la retraite Bachir Tartag, ex-coordinateur des services secrets et conseiller à la sécurité de Abdelaziz Bouteflika, ont été placés sous mandat de dépôt par le tribunal militaire pour «atteinte à l’autorité de l’armée» et «complot contre l’autorité de l’Etat». Des crimes passibles de 5 à 10 ans de réclusion criminelle.

Le chef d’état-major de l’Anp et vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah, est allé jusqu’au bout de ses menaces publiques contre ceux qu’il a présentés, il y a quelques jours, comme étant une «bande», l’accusant d’avoir «comploté» contre l’Etat. En moins de 24 heures, il a actionné le parquet militaire de Blida contre Saïd Bouteflika, frère et conseiller du Président déchu, le général de corps d’armée à la retraite Mohamed Mediène, dit Toufik, ancien patron de l’ex-DRS (Département de renseignement et de sécurité), et le général-major à la retraite Athmane Tartag, dit Bachir, coordinateur des services secrets et conseiller à la sécurité du Président démissionnaire, qui les a inculpés hier pour «complot et atteinte à l’autorité de l’armée et de l’Etat».

La veille, les trois anciens responsables avaient été interpellés à leurs domiciles, par les officiers de la police judiciaire militaire de la Direction de la sécurité intérieure, rattachée depuis quelques semaines seulement au ministère de la Défense, après avoir été sous la coupe de la présidence de la République durant cinq ans. Durant la matinée d’hier, les trois grosses pointures ont été conduites d’Alger au tribunal militaire de Blida.

Les images de la télévision algérienne, les montrant bien à l’aise marchant chacun encadré par un civil, le visage flouté, enjambant les larges marches de l’escalier du tribunal, ont été reprises en boucle par toutes les chaînes privées nationales et internationales. Au même moment, un communiqué de la cour d’appel militaire est largement diffusé à travers l’APS (Agence Presse Service) annonçant : «Conformément aux dispositions de l’article 11, alinéa 3 du code de procédure pénale, et dans le cadre du strict respect de ses dispositions, M. le procureur général militaire près la cour d’appel militaire de Blida porte à la connaissance de l’opinion publique qu’une poursuite judiciaire a été ouverte ce jour, 5 mai 2019, à l’encontre des nommés Athmane Tartag, Mohamed Mediène et Saïd Bouteflika ainsi qu’à l’encontre de toute personne dont l’implication est établie par l’enquête, pour les chefs d’inculpation d’‘‘atteinte à l’autorité de l’armée et complot contre l’autorité de l’Etat’’, des faits prévus et punis par les articles 284 du code de justice militaire et 77 et 78 du code pénal. Pour les besoins de l’enquête, le procureur militaire de la République près le tribunal militaire de Blida a chargé un juge d’instruction militaire d’entamer la procédure d’instruction, et après mise en inculpation, ce dernier a rendu des mandats de placement en détention provisoire à l’encontre des trois prévenus.»

En clair, les deux hauts gradés de l’armée et Saïd Bouteflika risquent de lourdes peines, allant de 5 à 10 ans de réclusion criminelle, dans le cas où ils seraient reconnus coupables, voire la peine de mort. En effet, l’article 284 du code de justice militaire précise : «Tout individu coupable de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité du commandant d’une formation militaire, d’un bâtiment ou d’un aéronef militaire, ou à la discipline ou à la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, est puni de la réclusion criminelle de cinq (5) à dix (10) ans.

Il y a complot dès que la résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs individus. Le maximum de la peine est appliqué aux militaires les plus élevés en grade et aux instigateurs dudit complot. Si le complot a lieu en temps de guerre, ou sur un territoire en état de siège ou d’urgence, ou dans toutes circonstances pouvant mettre en péril la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, ou a pour but de peser sur la décision du chef militaire responsable, le coupable est puni de mort.»

Les trois personnalités risquent de 5 à 10 ans de réclusion criminelle

Donc, les trois accusés risquent gros. Il faut dire que durant l’enquête préliminaire, de nombreux officiers de la direction de la sécurité intérieure (anciens et en poste), dont son ex-responsable, ont été interpellés, auditionnés et convoqués comme témoins par le tribunal militaire et certains d’entre eux pourraient être inculpés dans le cadre du même dossier.

Pour les plus avertis, la mise en action du tribunal militaire contre les trois accusés était prévisible, notamment après les menaces bien claires du chef de l’état-major de l’Anp et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, dans ses discours du 30 mars et du 16 avril derniers, où il accusait ouvertement la «bande» en citant nommément l’ex-patron des services de renseignement, le général Toufik, de «tenir à dans le secret des réunions suspectes pour conspirer autour des revendications du peuple et afin d’entraver les solutions de l’ANP et les propositions de sortie de crise».

Il a évoqué «l’existence de preuves irréfutables sur ces faits abjects» dont seraient coupables les mis en cause qui, selon le vice-ministre, «continuent à s’agiter contre la volonté du peuple et œuvrer à attiser la situation, en approchant des parties suspectes, et inciter à entraver les solutions de sortie de crise». Gaïd Salah est allé jusqu’à menacer ouvertement le général Toufik, en disant : «Je lance à cette personne un dernier avertissement, et dans le cas où elle persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son encontre.»

Peut-on dire qu’il y a eu de nouveaux éléments qui ont poussé le chef d’état-major à agir aussi brutalement ? On n’en sait rien. Cependant deux faits, depuis ces menaces, ont eu lieu. D’abord la déclaration de l’ancien ministre de la Défense, le général-major à la retraite Khaled Nezzar, dans laquelle il fait des révélations surprenantes qui enfoncent Saïd Bouteflika, qui persistait, selon lui, à aller vers un 5emandat quitte à instaurer «l’état d’urgence ou l’état de siège».

Khaled Nezzar affirme l’avoir mis en garde contre le recours à la violence contre les manifestations pacifiques et a compris qu’il (Saïd Bouteflika) se comportait comme le seul décideur et que le Président en titre était totalement écarté : «Je lui ai dit que la balle est encore dans votre camp. Surtout, ne perdez pas de temps, le mouvement est en train de faire boule de neige, bientôt il sera trop tard !» Nezzar évoque également un autre contact avec le frère-conseiller du Président déchu le 30 mars, mais par téléphone : «Au son de sa voix, j’ai compris qu’il était paniqué.» Il venait d’apprendre, précise-t-il, que le vice-ministre de la Défense avait réuni les commandants des forces et qu’il pouvait agir contre Zéralda d’un instant à l’autre.

«Il voulait savoir s’il n’était pas temps de destituer le chef d’état-major (…). Je l’en ai dissuadé fortement au motif qu’il serait responsable de la dislocation de l’armée en cette période critiqueLa balle était de nouveau dans le clan des Bouteflika. Je pensais qu’ils allaient agir rapidement, d’autant que Saïd – il le disait – craignait d’être arrêté à tout moment.» En ce 29 avril 2019, Nezzar venait de servir Saïd Bouteflika sur un plateau d’argent.

Depuis, est intervenue l’interpellation de l’ex-directeur général de SIH, Abdelhamid Melzi, qui aurait, selon des sources bien informées, fait état d’importantes révélations sur les présumées réunions suspectes. Les révélations des deux personnalités (Nezzar et Melzi) peuvent-elles constituer l’élément déclencheur des lourdes poursuites judiciaires contre les trois personnalités placées en détention hier ? La réponse est difficile à trouver.

Cependant, il est important de préciser que les dossiers de corruption ouverts, notamment ceux impliquant les frères Kouninef, l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, Ali Haddad et tant d’autres, vont conduire inévitablement vers Saïd Bouteflika, frère du Président déchu. Il en est de même pour Bachir Tartag, le coordinateur des services secrets, qui malgré le départ du Président, auprès duquel il était conseiller à la sécurité, a refusé de démissionner.

Considéré comme l’œil et l’oreille de Saïd, il serait resté fidèle jusqu’à son limogeage. Il faut signaler, par ailleurs, que les deux officiers supérieurs Toufik et Tartag ont été radiés des rangs de l’Anp depuis des années, alors que Saïd Bouteflika est un civil. La question qui reste posée est de savoir si le tribunal militaire est compétent pour poursuivre les trois mis en cause, sachant qu’ils sont tous, des civils ?