JUSTICE- PERSONNALITÉS- MANDAT DE DEPÔT- SAID BOUTEFLIKA/GÉNÉRAUX
TOUFIK ET TARTAG
Lourdes charges contre
les prévenus
(c)
SALIMA TLEMCANI/EL WATAN, lundi 6 mai 2019
Vingt-quatre heures après leur interpellation
par les officiers de la police judiciaire militaire, Saïd Bouteflika,
conseiller et frère du président démissionnaire Abdelaziz Bouteflika, le
général de corps d’armée à la retraite et ancien patron de l’ex-DRS
(Département de renseignement et de sécurité) Mohamed Mediène,
dit Toufik, et le général-major à la retraite Bachir Tartag,
ex-coordinateur des services secrets et conseiller à la sécurité de Abdelaziz
Bouteflika, ont été placés sous mandat de dépôt par le tribunal militaire pour
«atteinte à l’autorité de l’armée» et «complot contre l’autorité de l’Etat».
Des crimes passibles de 5 à 10 ans de réclusion criminelle.
Le chef d’état-major de
l’Anp et vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed
Gaïd Salah, est allé jusqu’au bout de ses menaces
publiques contre ceux qu’il a présentés, il y a quelques jours, comme étant
une «bande», l’accusant
d’avoir «comploté» contre l’Etat.
En moins de 24 heures, il a actionné le parquet militaire de Blida contre Saïd Bouteflika,
frère et conseiller du Président déchu, le général de corps d’armée à la
retraite Mohamed Mediène, dit Toufik, ancien patron
de l’ex-DRS (Département de renseignement et de sécurité), et le général-major
à la retraite Athmane Tartag,
dit Bachir, coordinateur des services secrets et conseiller à la sécurité du
Président démissionnaire, qui les a inculpés hier pour «complot
et atteinte à l’autorité de l’armée et de l’Etat».
La veille, les trois anciens responsables
avaient été interpellés à leurs domiciles, par les officiers de la police
judiciaire militaire de la Direction de la sécurité intérieure, rattachée
depuis quelques semaines seulement au ministère de la Défense, après avoir été
sous la coupe de la présidence de la République durant cinq ans. Durant la
matinée d’hier, les trois grosses pointures ont été conduites d’Alger au
tribunal militaire de Blida.
Les images de la télévision algérienne, les
montrant bien à l’aise marchant chacun encadré par un civil, le visage flouté,
enjambant les larges marches de l’escalier du tribunal, ont été reprises en
boucle par toutes les chaînes privées nationales et internationales. Au même
moment, un communiqué de la cour d’appel militaire est largement diffusé à
travers l’APS (Agence Presse Service) annonçant : «Conformément
aux dispositions de l’article 11, alinéa 3 du code de procédure pénale, et dans
le cadre du strict respect de ses dispositions, M. le procureur général
militaire près la cour d’appel militaire de Blida porte à la connaissance de
l’opinion publique qu’une poursuite judiciaire a été ouverte ce jour, 5 mai
2019, à l’encontre des nommés Athmane Tartag, Mohamed Mediène et Saïd
Bouteflika ainsi qu’à l’encontre de toute personne dont l’implication est
établie par l’enquête, pour les chefs d’inculpation d’‘‘atteinte à l’autorité
de l’armée et complot contre l’autorité de l’Etat’’, des faits prévus et punis
par les articles 284 du code de justice militaire et 77 et 78 du code pénal.
Pour les besoins de l’enquête, le procureur militaire de la République près le
tribunal militaire de Blida a chargé un juge d’instruction militaire d’entamer
la procédure d’instruction, et après mise en inculpation, ce dernier a rendu
des mandats de placement en détention provisoire à l’encontre des trois
prévenus.»
En clair, les deux hauts gradés de l’armée et
Saïd Bouteflika risquent de lourdes peines, allant de 5 à 10 ans de réclusion
criminelle, dans le cas où ils seraient reconnus coupables, voire la peine de
mort. En effet, l’article 284 du code de justice militaire précise : «Tout
individu coupable de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité du
commandant d’une formation militaire, d’un bâtiment ou d’un aéronef militaire,
ou à la discipline ou à la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef,
est puni de la réclusion criminelle de cinq (5) à dix (10) ans.
Il y a complot dès que la résolution d’agir
est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs individus. Le maximum de la
peine est appliqué aux militaires les plus élevés en grade et aux instigateurs
dudit complot. Si le complot a lieu en temps de guerre, ou sur un territoire en
état de siège ou d’urgence, ou dans toutes circonstances pouvant mettre en
péril la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, ou a pour but
de peser sur la décision du chef militaire responsable, le coupable est puni de
mort.»
Les trois personnalités risquent de 5 à 10 ans
de réclusion criminelle
Donc, les trois accusés risquent gros. Il faut
dire que durant l’enquête préliminaire, de nombreux officiers de la direction
de la sécurité intérieure (anciens et en poste), dont son ex-responsable, ont
été interpellés, auditionnés et convoqués comme témoins par le tribunal
militaire et certains d’entre eux pourraient être inculpés dans le cadre du
même dossier.
Pour les plus avertis, la mise en action du
tribunal militaire contre les trois accusés était prévisible, notamment après
les menaces bien claires du chef de l’état-major de l’Anp
et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah,
dans ses discours du 30 mars et du 16 avril derniers, où il accusait
ouvertement la «bande» en citant nommément l’ex-patron des services de
renseignement, le général Toufik, de «tenir à dans le
secret des réunions suspectes pour conspirer autour des revendications du
peuple et afin d’entraver les solutions de l’ANP et les propositions de sortie
de crise».
Il a évoqué «l’existence de preuves
irréfutables sur ces faits abjects» dont seraient
coupables les mis en cause qui, selon le vice-ministre, «continuent
à s’agiter contre la volonté du peuple et œuvrer à attiser la situation, en
approchant des parties suspectes, et inciter à entraver les solutions de sortie
de crise». Gaïd Salah est
allé jusqu’à menacer ouvertement le général Toufik, en disant : «Je
lance à cette personne un dernier avertissement, et dans le cas où elle
persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son
encontre.»
Peut-on dire qu’il y a eu de nouveaux éléments
qui ont poussé le chef d’état-major à agir aussi brutalement ? On n’en
sait rien. Cependant deux faits, depuis ces menaces, ont eu lieu. D’abord la
déclaration de l’ancien ministre de la Défense, le général-major à la retraite
Khaled Nezzar, dans laquelle il fait des révélations
surprenantes qui enfoncent Saïd Bouteflika, qui persistait, selon lui, à aller
vers un 5emandat quitte à instaurer «l’état
d’urgence ou l’état de siège».
Khaled Nezzar
affirme l’avoir mis en garde contre le recours à la violence contre les
manifestations pacifiques et a compris qu’il (Saïd Bouteflika) se comportait
comme le seul décideur et que le Président en titre était totalement écarté
: «Je lui ai dit que la balle est encore dans
votre camp. Surtout, ne perdez pas de temps, le mouvement est en train de faire
boule de neige, bientôt il sera trop tard !» Nezzar évoque également un autre contact avec le
frère-conseiller du Président déchu le 30 mars, mais par téléphone : «Au
son de sa voix, j’ai compris qu’il était paniqué.» Il
venait d’apprendre, précise-t-il, que le vice-ministre de la Défense avait
réuni les commandants des forces et qu’il pouvait agir contre Zéralda d’un instant à l’autre.
«Il voulait savoir s’il n’était pas temps de destituer
le chef d’état-major (…). Je
l’en ai dissuadé fortement au motif qu’il serait responsable de la dislocation
de l’armée en cette période critique. La
balle était de nouveau dans le clan des Bouteflika. Je pensais qu’ils allaient
agir rapidement, d’autant que Saïd – il le disait – craignait d’être arrêté à
tout moment.» En ce 29 avril 2019, Nezzar
venait de servir Saïd Bouteflika sur un plateau d’argent.
Depuis, est intervenue l’interpellation de
l’ex-directeur général de SIH, Abdelhamid Melzi, qui
aurait, selon des sources bien informées, fait état d’importantes révélations
sur les présumées réunions suspectes. Les révélations des deux personnalités (Nezzar et Melzi) peuvent-elles
constituer l’élément déclencheur des lourdes poursuites judiciaires contre les
trois personnalités placées en détention hier ? La réponse est difficile à
trouver.
Cependant, il est important de préciser que
les dossiers de corruption ouverts, notamment ceux impliquant les frères Kouninef, l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, Ali Haddad et tant d’autres, vont conduire
inévitablement vers Saïd Bouteflika, frère du Président déchu. Il en est de même
pour Bachir Tartag, le coordinateur des services
secrets, qui malgré le départ du Président, auprès duquel il était conseiller à
la sécurité, a refusé de démissionner.
Considéré comme l’œil et l’oreille de Saïd, il
serait resté fidèle jusqu’à son limogeage. Il faut signaler, par ailleurs, que
les deux officiers supérieurs Toufik et Tartag ont
été radiés des rangs de l’Anp depuis des années,
alors que Saïd Bouteflika est un civil. La question qui reste posée est de
savoir si le tribunal militaire est compétent pour poursuivre les trois mis en
cause, sachant qu’ils sont tous, des civils ?