JUSTICE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- RECIT
ALI KOUDIL- « NAUFRAGHE JUDICIAIRE..... »
Naufrage judiciaire. Les dessous de
l’affaire Cnan. Récit de Ali Koudil. Koukou
Editions, Cheraga-Alger 2017. 1 000 dinars, 331 pages.
13 novembre 2004. La nuit .
La veille de l’Aid el Fitr.
Tempête et orage violents sur Alger. Une mer déchaînée. Dans la rade d’Alger , des navires sont ballotés par les flots. Au large,
à quelques centaines de mètres du rivage , un
bateau de la Cnan,
le « Béchar », ......coule.....emportant avec lui ses marins de
permanence . Seize morts dont le commandant de bord....qui n’avaient pu être
sauvés....faute de moyens de sauvetage.
A qui la faute et qui est le ou les
coupables ? Bien sûr, au sale temps du moment. Bien sûr , au manque de moyens rapides et
efficaces de sauvetage,. Bien sûr, aux
lourdeurs bureaucratiques bien connus du pays et qui font traîner les
procédures de maintenance (ex : réparation et/ou vente de navires vieillots......car
ne pas oublier qu’un autre navire le « Blida » a ,
lui aussi , été emporté par les vagues pour s’échouer aux Sablettes).....
à un certain irrespect des protocoles et des
procédures de travail (la veille de l’Aid, pensez-vous ?). Bien sûr, bien
sûr......Mais, un bateau perdu et surtout seize morts et seize familles
endeuillées, c’est beaucoup. D’autant que
« le président de la République aurait demandé à ce que les
responsables du drame soient sévèrement punis ». Et, certains journaux et
journalistes ont même rajouté de l’huile sur le feu (c’est l’opinion de
l’auteur).La justice est donc saisie du dossier.....et cinq cadres (dont
l’auteur, « en tant qu’armateur », donc considéré comme responsable
( !?) de l’état du navire) se retrouvent –entre autres ,
car il y a aussi des marins en état d’abandon de poste - au banc des accusés et condamnés à de longues peines de prison.
Quinze années de réclusion criminelle .
La suite est une longue et douloureuse
histoire. De prison en prison (Serkadji, Berrouaghia, El Harrach..), la découverte de l’univers
carcéral , avec ses vicieux et ses vertueux, avec ses restes d’humanité et sa
promiscuité dégradante, l’attente du panier de la semaine, la rencontre
inattendue de personnages ayant fait la « Une » des journaux, de personnages
bizarres (dont un imam qui enseignait que la terre est plate », un wali
condamné pour corruption et évoquant
continuellement un complot, un notaire assez âgé attendant un secours
extérieur.... et il l’aura, des homosexuels, des malades au stade terminal.....Il
y avait même un ....juge détenu,
condamné pour corruption) , des pratiques étonnantes (ex de l’examen du
bac), le « parcours du
combattant » avec les avocats et la
confection des dossiers, les appels , la
cassation, la déprime qui vous gagne, surtout
lorsqu’on voit l’état malheureux de la famille....et un temps qui n’arrive pas à passer avec des
dossiers qui se traînent , qui se traînent...et qui tuent à petit feu (lire
tout particulièrement en p 69 une description fantasmée du
bonheur......lorsqu’on est en prison)
24 novembre 2010. Réponse du tribunal aux
questions : « Non coupable ».....Libération......Joies
......Mais, une autre épreuve . Nouvelle enquête, fin
2009, concernant la période de gestion
de la Cnan, soit 2002-2004. Nouvelle arrestation
(avec 19 autres personnes) ...Prison
durant un mois....puis liberté provisoire.... seulement ....Procès en mai-juin 2015. Deux ans de prison. Appel. 2017 : Trois
ans ! Cassation...et attente de la décision de la Cour suprême. Entretemps , toujours interdit de sortie du territoire national.Le cauchemar continue !
L’Auteur : Né en septembre 1948 à Agouni
Fourou (Grande Kabylie). Licence en sciences éco’, Dess en transports et commerce (Université
d’Aix-Marseille), cadre supérieur de la Bad (Algérie), dans un holding, dans
une Sgp et, enfin ,Pdg de Cnan Group.
Extraits : « Même en prison, plus on
semblait riche et puissant, mieux on se faisait respecter » (p 207),
« Ce n’est pas votre culpabilité qui vous entraîne dans les geôles, mais
les décisions occultes prises ailleurs que dans les cabinets
d’instruction » (p 296), « La justice n’est pas seulement aveugle,
elle est également sourde ! Elle ne vous écoute pas, elle ne vous juge
pas ; elle vous déclare coupable
parce qu’une enquête a été diligentée contre vous par les pouvoirs
publics ; parce que les pouvoirs publics ne peuvent pas se
tromper .... » (p 325)
Avis : Témoignage plus que réaliste d’un vécu
personnel. Bien écrit mais difficile à lire car très , trop émouvant. Conseillé aux enquêteurs, aux juges et
aux Proc’.....aux futurs « coupables » ,
ainsi qu’aux syndicats d’entreprise.....et aux journalistes.
Citations : « En prison, comme dans l’armée,
il existe un adage : celui qui, à l’entrée, se croit être un taureau, en
sortira telle une vache » (p 21) , « En
prison, on n’est pas mort, mais on n’est pas vivant non plus. Une longue peine
de mort était pire que la mort » (p 55)