JUSTICE-
INFORMATIONS PRATIQUES- COUR SUPRÊME- CHRONIQUE Me BRAHIMI
CHRONIQUE JUDICIAIRE : QUE SE PASSE-T-IL
LORSQU’UN ALGERIEN SAISIT LA COUR SUPREME ?
(c) Par Maître M. BRAHIMI,
Avocat à la Cour/www.algeriepart.com, mercredi 2 janvier 2019
La Cour suprême est juge du
droit et son rôle et d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi
par les juges des cours et des tribunaux. Etre juge du droit implique à
contrario que la Cour suprême n’a pas pour mission de juger le fond du droit
c’est-à-dire rejuger l’affaire qui lui est soumise par la voie du pourvoi en
cassation. En principe si cette haute juridiction estime que la décision qui
est soumise à son contrôle a été rendue en violation de la loi
, il ne lui revient pas de juger elle-même le litige mais doit renvoyer
le dossier pour qu’il soit à nouveau jugé par la même juridiction autrement
composée ou par une autre juridiction de même ordre et de même degré .C’est le
principe de LA CASSATION AVEC RENVOI.
La cassation avec renvoi , si
elle constitue la règle, il n’en reste pas moins qu’elle connaît des exceptions
même dans l’ancien code de procédure civile de 1966 puisque la Cour suprême
pouvait casser sans renvoi si la condition prévue par l’article 269 est
remplie, c’est-à-dire quand la décision en droit de la Cour suprême ne laisse
rien à juger .C’est le cas par exemple quand la Cour suprême estime que l’arrêt
de la cour d’appel soumis à sa censure a qualifié à tord le jugement dont appel
de jugement en premier ressort alors qu’il est un jugement en premier et
dernier ressort .Ici,la Cour suprême casse cet arrêt
sans renvoi et dès lors le jugement de première instance est confirmé et sort
ses pleins et entiers effets .Il en est de même quand l’arrêt de la Cour
suprême se borne à opérer un retranchement dans la décision attaquée quand
celle-ci a appliqué à tord un texte abrogé.
Cette solution est somme
toute logique puisque le renvoi de la cause aux premiers juges n’a aucune
utilité du moment qu’ il n’y aura rien à juger.La
nouveauté dans la nouvelle législation notamment la loi organique du 26 juillet
2011 fixant le fonctionnement de la Cour suprême et le nouveau code de
procédure civile et administrative promulgué en 2008 et entré en vigueur en
2009 est que la Cour suprême voit ses attributions excessivement élargies
.D’aucuns ont été surpris en lisant l’article 3 cette loi organique qui stipule
que la Cour suprême « peut être juge du fond dans les cas déterminés par la loi
». Cette disposition était d’autant plus surprenante qu’aucun texte antérieure n’a reconnu à la Cour suprême de telles
attributions qui étaient l’apanage des seuls juges du fond.
Il fallait attendre la
promulgation du code de procédure civile et administrative en 2008 pour savoir
de quoi il retournait exactement .Deux articles de ce code ont littéralement
fait de la Cour suprême une véritable juridiction de troisième degré si
certaines conditions sont réunies .Il s’agit des articles 365 alinéa 2 et
l’article 374 alinéas 2,4 et 5 .Tout d’abord , la règle de l’ancien article 269
a été maintenue par le nouvel article 365 alinéa 1 , aussi chaque fois que
l’arrêt de la Cour suprême ne laisse rien à juger elle casse sans renvoi .La
nouveauté est que la Cour suprême peut désormais statuer au fond et mettre fin
définitivement au litige c’est-à-dire se comporter comme un troisième degré de
juridiction et ceci dans deux hypothèses distinctes : 1- lorsque les faits
,tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond,lui permettent d’appliquer la règle de droit
appropriée 2- lorsque elle statue sur un troisième renvoi.
La deuxième hypothèse ne pose
pas de problème puisque la règle est automatiquement applicable du moment qu’il
s’agit pour la Cour suprême de statuer sur un troisième pourvoi .La deuxième
hypothèse par contre peut soulever un problème d’interprétation puisque elle
pose des conditions en rapport avec le contenu même de l’arrêt attaqué. La
décision attaquée devant la Cour suprême doit contenir les faits et les
éléments qui ont été constatés et appréciés par les juges du fond et qui
permettent à la Cour suprême d ’appliquer la règle de droit appropriée .Ces
conditions visent à éviter que la Cour suprême, notamment suite à un premier
pourvoi, ne juge définitivement le litige en appliquant la règle de droit à des
faits ou des constatations qui n’ont pas été contradictoirement débattus devant
les premiers juges. Ainsi il n’est pas dans le ressort de la Cour suprême,au cours du premier pourvoi,de trancher le fond du litige en se basant sur des
faits que les premiers juges n’ont ni constatés ni appréciés.
Au vu des nouvelles
dispositions du code de procédure civile et administrative ,il faudrait donc
dorénavant distinguer le cas où la Cour suprême casse la décision attaquée sans
renvoi parce qu’il n’y a plus rien à juger et les cas où elle casse tout en
jugeant le fond c’est-à-dire les cas ou elle substitue sa propre décision à la
décision des premiers juges .Et pourtant cet amalgame n’a pas pu être évité par
la Cour suprême qui, dans un arrêt en date du 13/06 /2013 portant le numéro
0781971, fit une application singulière de ces dispositions. Alors qu’il
s’agissait d’un premier pourvoi portant sur un litige foncier où chacun des
protagoniste prétendait être propriétaire de la parcelle litigieuse, la Cour
suprême constata que les premiers juges ont qualifié à tord l’action du
demandeur comme étant une action possessoire alors qu’il s’agit d’une action
pétitoire tout en donnant acte au défendeur qu’il a toujours revendiqué la
propriété de cette parcelle par prescription acquisitive.
Ces faits et moyens tels que
requalifiés par la Cour suprême auraient dû nécessairement amener cette haute
juridiction à casser la décision de la cour d’appel avec renvoi .Mais elle
cassa sans renvoi sur le visa de l’article 365 du CPCA.
Il va sans dire que le texte
sur lequel s’est basé la Cour suprême pour casser l’arrêt sans renvoi en
l’occurrence l’article 365 du code de procédure civile et administrative est
inapplicable dans ce cas d’espèce pour la simple raison que cette disposition
s’applique quand la décision en droit de la Cour suprême ne laisse rien à
juger. Concernant cette affaire,la
Cour suprême a effectivement tranché un point de droit .Elle a considéré que
l’action en cause telle que présentée par le demandeur initial est une action
pétitoire et non possessoire. Même à supposer qu’il s’agit bien d’une action
pétitoire et que les premiers juges se sont trompés en la qualifiant d’action possessoire,
la condition posée par l’article 365 et qui permet à la Cour suprême de casser
sans renvoi n’est pas remplie puisque la décision de cette Cour n’a pas vidé le
litige, bien au contraire.
Juger que l’action est une
action pétitoire et non possessoire ne signifie pas que le demandeur est
effectivement le propriétaire légitime de la parcelle litigieuse et que par
conséquent le défendeur a tord et qu’il y a lieu d’ordonner son expulsion
.Certains points litigieux notamment la question de la propriété auraient dû
être laissés à l’appréciation des juges du font après renvoi ce qui aurait
permis au défendeur d’exciper des moyens prouvant ses prétentions surtout qu’il
a toujours invoqué la prescription acquisitive que l’arrêt de la Cour suprême
lui-même a relevé.
En conclusion
, si l’extension de la faculté de cassation sans renvoi et de mettre fin
au litige en prononçant une décision sur le fond ne peut qu’être saluée
puisqu’elle permet de raccourcir les délais de jugement,il
n’en demeure pas moins que l’application erronée ou maladroite de cette règle
peut avoir des conséquences redoutables sur le justiciable sachant que les
décision de la Cour suprême rendues en cette matière tranchent le fond du
litige d’une manière irrévocable. Dans le cas d’espèce évoqué , le défendeur au
pourvoi qui a vu son arrêt cassé sans renvoi a été expulsé de sa propriété qui
était en sa possession depuis près de cinquante ans alors que si l’affaire a
été renvoyée devant les juges du fond,la décision
aurait été certainement différente sachant que la prescription acquisitive
invoquée à juste titre par ce dernier est un mode d’acquisition d’un immeuble
ou d’un droit réel.