SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN ABDELHAMID
BENHEDOUGA- « LA FIN D’HIER »
La fin d’hier.Roman de
Abdelhamid Benhadouga ( Traduit de l’arabe par Marcel Bois). Enag
Editions, Alger 2002, 206 pages,
325 dinars
Bachir! Un tout nouveau instituteur dans un
“bled” perdu, à la terre ingrate, dont la seule partie fertile et utile est
“exploitée” par un “riche”propriétaire qui a pu survivre
à la guerre et s’adapter
l’indépendance venue.
En face, une population encore traumatisée par la guerre de libération
nationale (avec ses opportunistes qui ont su “tirer leur épingle du jeu” et qui
font montre d’excès de zèle nationaliste), vivant chichement et ignorant tout des aspects de la nouvelle modernité dont la scolarisation
des enfants, la gestion équitable de l’eau, le respect des lois de la
République. Entre mosquée et café maure…une
vie de
fatalistes.
L’instituteur , ancien moudjahid qui plus est (ce
que les gens ignoraient parce qu’il ne l’a pas clamé) est révolté par une telle situation d‘arriération
socio-culturelle et d’insconscience politique, soucieux
seulement et avant tout d’apporter des changements .Pas facile!
Se greffe à cette mal-aventure les
restes tragiques d’une vieille histoire d’amour…..qui
finira , malgré tout, assez bien et, comme dans tout bon roman de l’époque, en
dehors du talent indéniable de l’auteur, on ne pouvait s’attendre à moins de la
part d’un homme aussi engagé
idéologiquement et socialement et aussi généreux que Benhadouga qui
signait là son premier roman (en arabe, en 1974).
L’Auteur: Né en
1925 Abdelhamid Benhadouga, a fréquenté l’école publique et l’école
coranique dans son village. Après une solide éducation familiale (père Imam) , ce natif de Mansourah (BBA), ira poursuivre ses études à
Constantine (El Ketania),
puis à la Zitouna de
Tunis. Hésitant entre la littérature et la religion, c’est son engagement au
sein du MTLD qui va l’aider à trancher.
Il se retrouve au centre de l’action nationaliste comme représentant du MTLD en
Tunisie et responsable des étudiants algériens dans ce pays. De retour en
Algérie, Benhadouga va
travailler pour l’ORTF et la BBC. Recherché par la police, il se rend en France
avant de rejoindre « La Voix de l’Algérie », la radio du FLN à Tunis.
Après des études radiophoniques et un stage de réalisateur radio en France, il
se consacre en Tunisie à des études d’art dramatique, ce qui lui permettra
d’accomplir un travail colossal peu connu du public : la production de
plus de 200 pièces de théâtre radiophoniques. Il investit la littérature par le
journalisme, avec « El-djazaïr bayn el-ams wal youm » (L’Algérie entre
hier et aujourd’hui), recueil d’articles publié en 1958, qui sera suivi
de « Dhilaloun djazaïri » (Ombres
algériennes), recueil de nouvelles publié à Beyrouth en 1960. Comme beaucoup
d’écrivains, Abdelhamid Benhadouga commence
par des articles de presse, des nouvelles, de la poésie (« El-arwah achaghira » - Âmes vacantes, SNED, 1967),
avant de publier son premier roman. Pour un début, ce fut un coup de maître.
« Rih El-Djanoub » (Le
Vent du Sud), SNED, 1971, va connaître un grand succès et sera traduit en
français, néerlandais, allemand et espagnol. Ce roman décrit la société rurale
algérienne, avec ses conditions de vie difficiles et ses espoirs. Le second
roman, « Nihayat el-ams » (La fin d’hier,
SNED, 1974),ci-dessus présenté , sera également traduit en français par Marcel
Bois qui en fera de même pour « Wa ghaden yawm djadid » -
« Demain sera un nouveau jour » (Al Andalous, 1992).Il a été aussi Dg
de l’Enal (Entreprise
nationale du livre, issue de la Sned),
président du Conseil national de la Culture et en 1992, Vice-président du
Conseil Consultatif national puis président, Rada Malek ayant rejoint le Hce. Il
est mort à Alger le 21 octobre 1996.
Extraits:”Le colonialisme nous a mis
les bâtons dans les roues.Mais, il ne faut tout de
même pas lui faire endosser toutes nos insuffisances, pas plus qu’il ne faut
faire du destin le grand responsable de notre pauvreté (p 22),”Le temps
n’existe pas pour un monde endormi.Le café et le
village étaient tombés en catalepsie” (p 38), “Les enfants de l’indépendance
n’étaient pas beaux à voir et recevaient une éducation lamentable;ils
grandissaient dans une atmosphère lugubre.Les
mosquées, jadis gardiennes de la culture, devenaient maintenant les refuges de
l’ignorance et freinaient le progrès.Si on devait les
conserver, il fallait les rénover, y compris dans leur architecture “(p 49),
“Devant ce manque de conscience politique, les associations d’anciens
moudjahidine, au lieu de distribuer pensions et titres, auraient mieux fait
d’assurer à leurs membres une formation solide.C’était
aussi le rôle du Parti. Mais le Parti?....” (p115)
Avis: Une tranche de notre histoire contemporaine romancée…..et un éveil
plus que douloureux….l’ignorance des hommes étant plus difficile à changer que
le bloc de granit. Une traduction claire. Une écriture fluide et lisible
…et ,surtout, qui va droit aux cœurs des lecteurs qui
se sentiront, encore aujourd’hui, tous concernés.
A noter
que c’est , peut-être
, le seul écrivain dont personne, à droite comme à
gauche, ne conteste la valeur littéraire des œuvres et les qualités
de l’homme.
C’est aussi
un visionnaire…..car ayant assez vite compris que le
nœud de la problématique en Algérie…..c’est le « guebli », le Vent du Sud.
Citations:”Un village sans école
n’avait pas plus de sens que des tuyaux sans eau” (p 35), “Le mot Dieu n’a de
sens que par rapport à l’épanouissement de l’homme” (p 39), “Les gens se
laissent guider plus facilement par les sentiments que par l’intelligence” (p
49), “Quand les hommes se font dieux, ils offrent le visage de l’orgueil et de
la violence:il n’y a plus qu’un dieu, la force déchaînée” (p 66), “Ils
avaient bien de la chance, les anciens pour qui la terre était plate, et
qui croyaient rejoindre Dieu au-delà des
limites connues.L’homme, en découvrant que les
horizons terrestres débouchainet sur des espaces
infinis, avait perdu un sérieux espoir de libération” (p136), “Une année passe
vite pour un homme libre, mais le prisonnier n’en voit jamais arriver la fin”
(p183)