SOCIÉTÉ-BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ROMAN ASSIA DJEBAR-
« LES IMPATIENTS »
Les impatients. Roman de Assia Djebar, Editions Barzakh, Alger 2022, 278 pages, 900 dinars
C’est là le deuxième roman
, après « la Soif » (1957) , écrit en 1958. L’auteure y campe , de nouveau , un personnage, Dalila, dix-huit ans,
étudiante, entière et lucide.....une révoltée totale...jusqu’à la
méchanceté presque gratuite, parfois sans raison sinon celle d’un violent
désir de « création de soi » en étant encore peu
attentive aux grandes mutations sociales et politiques du moment (la guerre de
libération entre autres qui avait commencé mais qui n’était que légèrement
abordée à travers l’arrestation du grand frère)
L’auteure porte sur la société
traditionnelle et petite bourgeoise des villes de l’époque et
ses codes (faits de mensonge et de dissimulation auxquels il faut presque
toujours se soumettre) , un regard rebelle acéré.
Amoureuse folle de Salim, un « Don
Juan » des villes, elle va prendre le risque d’être celle par qui le
scandale arrive. Intransigeante, n’écoutant que son cœur et son corps (sans
pourtant franchir le pas permis seulement par le mariage....c’est
du moins ce que laisse croire l’auteure), elle le rejoint à Paris....tout en
s’ennuyant très rapidement avec un compagnon qu’elle découvre encore enfermé
dans un certain machisme....allant jusqu’à la gifler par jalousie mal placée.
Tout cela finira bien mal, non pour la
société qui, ça et là ,
ruait dans les brancards des traditions dépassées, mettant à mal les usages
sociétaux, les mœurs en cours, la famille, le couple et son intimité, la liberté ..., mais pour les individus chacun payant , à
sa manière, la note.
L’Auteure : Assia Djebar née
Fatma-Zohra Imalayène ,
née en 1936 à Cherchell , journaliste, écrivaine, cinéaste,
dramaturge. Première
femme musulmane à avoir intégré l’Ecole normale supérieure de Sèvres
(France)...d’où elle est exclue, en mai 1956, pour avoir suivi l’ordre de grève
lancé par l’Ugema. Premier roman écrit à l’âge de 21
ans. Seize romans au total, deux longs métrages documentaires, auteure de deux
drames musicaux, des prix littéraires en grand nombre, membre de l’Académie royale de Belgique, docteur Honoris causa de trois universités
étrangères, traduite en vingt-trois langues.....et
, en fin de parcours, élue (au fauteuil de Georges Vedel) à l’Académie
française le 16 juin 2005. Décédée le 6 février 2015 à Paris et enterrée à Cherchell,
sa ville natale
Extraits : « Les peines de
ces épouses humiliées sont si quotidiennes qu’elles en
acquièrent une sorte de rite que les autres respectent : ainsi, au plus
fort de leur douleur, elles en arrivent à exiger tacitement les mêmes paroles
de consolation sans lesquelles elles ne connaîtraient aucune paix » (p
35), « J’ai éprouvé , à me sentir prête à tout, une ivresse
exaltante. Je me voyais déjà , libérée de tout,
courir, courir sans but jusqu’à l’anéantissement .Un orgueil me prenait. Je me
délectais de ma puissance. J’aurais dû dire : ma jeunesse. Car c’est la
jeunesse seule qui essaie son premier courage dans la révolte » (p 91),
« Etait -ce donc
cela , avoir des souvenirs ? me disais-je. Voir se dérouler devant soi le
passé avec indifférence ; en dire quelques mots qui, en l’atténuant, le
rendent vraisemblable » (p 118),
« Nous avions , nous, filles arabes, tant de responsabilités devant les
autres !Et la psychologie sociale ne pouvait évoluer d’un jour à l’autre,
aussi rapidement « (p 203)
Avis : Une œuvre osée (« ode audacieuse à
l’éveil de la sensualité ») et moderne. Signe de l’autre révolution....celle qui se préparait - à travers des
révoltes individuelles - au sein même des familles alors conservatrices, mais
devant faire face aux nouveaux comportements sociétaux, modernes et ouvertes
sur le monde.
Citations : « Tant qu’il y a
des jeunes filles dans une maison, on doit veiller. C’est une question
d’honneur » (p 61), « Les femmes entre elles ne sont jamais
amies ; au plus , des complices »
(103), « Comme il arrive dans tous les voyages- dans le plus grand qui est
la vie- ce n’est qu’aux dernières minutes , avant d’atterrir, que ce qu’on a
laissé derrière réapparaît en une seconde, clair. On comprend alors ce qu’on
est prêt à déposer et pourquoi l’on est parti » (p217), « Quelle vie
de cauchemar (...). Ils (les Parisiens) ouvrent la radio ou la
télévision ; ils se précipitent au cinéma ; ils font la queue devant
les spectacles. Et, quand ils ne sont pas assis pour voir, pour être vus, ils
courent, pressés, comme derrière leur propre fantôme. Ils ont beaucoup d’activités
mais guère de passions. À peine des démangeaison de
l’âme. Non (...) ce monde n’est pas vivant (p 229), « Il arrive ainsi
qu’un simple mot, qu’un ton de voix fasse découvrir dans un éclair combien
l’autre est étranger à notre passion » (pp 244-245) » Ce qu’on trouve
au fond de la soumission de toutes les femmes arabes :cette totale
indifférence à l’homme, cette indépendance qui est le plus dur des
orgueils » ( pp 248-249) , « Les villes sont comme les
êtres : les passions que l’on croit mortes et l’orgueil qu’on croit
vaincu, laissent sur leur visage un écho qu’on ne sait définir » (p 278)