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D’ALMANACH- ROMAN MOHAMED MBOUGAR SARR- « LA PLUS SECRÈTE MÉMOIRE DES
HOMMES »
La plus secrète
mémoire des hommes. Roman de Mohamed Mbougar
Sarr. Editions Barzakh , Alger 2022, 462 pages, 1 300 dinars .
Dès l’ouverture, le
roman est dédié à Yambo Ouologuem,
l’écrivain malien , Prix Renaudot 1968 , dont le
roman (plutôt un essai politique qui fut suivi d’une polémique. Voir
plus bas) , avait durant longtemps et aujourd’hui
encore , marqué les esprits de tous ceux qui luttaient contre le colonialisme
des terres et des esprits africains.Un
écrivain-essayiste lumineux (à l’image de notre Fanon national) que ,
certainement , Mbougar Sarr
admire et chercherait peut-être même , non à imiter mais à prendre pour exemple.Au grand dépit des partisans de la
« Françafrique ».
Nous avons donc
l’histoire de Elimane Madag
un brillant lycéen (au Sénégal) puis mi- normalien (à Paris), mais
formé à l’école de la tradition locale (grâce à un enseignement de dernière
minute auprès d’un père presque centenaire sur le point de mourir) , avec
tout cela contient comme inconnues et mystères (rien à voir avec la magie et
autres sorcelleries !) qui « commet », en 1938, un ouvrage
qui bouleverse le champ éditorial occidental, « Le Labyrinthe de
l’inhumain » , un ouvrage mythique et brûlant dont on a perdu la trace car
assez vire censuré ....lequel champ va s’empresser , de le
« descendre en flammes ».....car il était impensable qu’un « nègre »
puisse produire un tel chef-d’œuvre ( le désignant comme le « Rimbeau africain ») sinon par le
« plagiat ». Une œuvre unique qui laisse des traces ...et le mystère
de cette création (un seul exemplaire disponible retrouvé ,
en 2018, par un de ses descendants, Diégane Latyr Faye, ...lui aussi futur écrivain exilé à
Paris) ira s’approfondissant au fur et à mesure que la recherche de l’ancêtre
fantôme et parfois vengeur (de ses détracteurs....qui se suicideront ou
mourront de manière étrange....en France comme en Argentine ) avance.
Au passage, c’est la
description de la vie des intellectuels d’Afrique exilés en Occident
, un espace géographique et culturel sinon largement hostile du moins
incompréhensif . C’est aussi, la description des processus de création
littéraire qui voit s ’affronter plusieurs écoles.
Tout ceci sans oublier
la dénonciation d’us et coutumes locales obsolètes et de pratiques du pouvoir a
-démocratiques sinon autoritaristes (dans bien des pays du Sud) .
Ps : Page à signaler qui résume à sa manière la philosophie
de base du roman, annonçant une fin- surprise , bien qu’attendue, de l’aventure
d’Elimane et de la recherche de Diégane
; celles, pages 422 , 423 et 424, consacrées la l’ « entreprise colonisation »
L’Auteur :Né en 1990 au Sénégal et vivant en France.Déjà trois romans (en 2015, 2017 et 2018) . Ce roman
publié aux Editions Philippe Rey, Paris 2021, a obtenu le
Prix Goncourt en novembre 2021)
Extraits : « L’exilé est
obsédé par la séparation géographique, l’éloignement dans l’espace. C’est
pourtant le temps qui fonde l’essentiel de sa solitude ; et il accuse les
kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent » (p 69), « Toute
l’histoire de la littérature n’est-elle pas l’histoire d’un grand
plagiat ? Qu’eût été Montaigne sans Plutarque ? La Fontaine sans
Esope ? Molière sans Plaute ?Corneille sans
Guillén de Castro ? C’est peut-être le mot « plagiat » qui
constitue le vrai problème.Sans doute le choses se
seraient-elles déroulées autrement si, à la place, on avait employé le vocable
plus littéraire, plus savant, plus noble, en apparence au moins,
d’innutrition » (p109), « Etre un grand
écrivain n’est peut-être rien de plus que l’art de savoir dissimuler ses
plagiats et références » (p109), « Être compris est rare en littérature
mais il faut encore tout faire pour ne l’être jamais totalement quand on est
écrivain » (p239), « Chaque livre que publiait un écrivain n’était
que la somme de ceux qu’il avait détruits avant d’en arriver là, ou le résultat
de tous ceux qu’il s’était retenu d’écrire »(p287), « Dans un pays
comme le nôtre, le suicide était un mode d’action politique horrible mais
efficace, efficace parce que horrible, peut-être la seule protestation encore
audible de nos dirigeants.Le suicide fait basculer
l’histoire (....). Peut-être qu’il ne reste que ça aux populations de nos pays
désespérés. Peut-être que c’est ce que les jeunes doivent faire : se
suicider, puisque leur vie n’est pas une vie »
(p391), « Le monde est peuplé de derniers livres.Tous
les grands textes sont des épitaphes possibles du monde.Le
dernier livre de l’histoire ne cesse jamais d’être le prochain ;il a donc
un passé long et déjà vieux devant lui » (p421)
Table des matières : Livre premier
(deux parties et un premier biographème) / Deuxième livre (Trois parties et
deux biographèmes)/ Troisième livre (Deux parties et
une biographème) /Remerciements
Avis :Un récit à plusieurs queues
et plusieurs têtes et qui torture à l’image ce que ressentent les
intellectuels (et écrivains et artistes) africains en exil(s). De
l’écriture très, très , très recherchée , et c’est ce
qui a peut-être plu aux jurés du Goncourt à la recherche de sensations
littéraires nouvelles , à la recherche du neuf et de l’original, souhaitant
sortir des sentiers battus parisianistes .....et de
faire pardonner ou oublier les dérives de leurs « politiques ». Sans
doute, l’actualité politique africaine a dû peser sur
le choix.....pour prouver qu’en Occident , en France tout
particulièrement, on a encore « l’Afrique au cœur ».La littérature
africaine enfin reconnue ? Pas si sûr !En
petite partie !
Citations : «Plus on découvre un
fragment du monde, mieux nous apparaît l’immensité de l’inconnu et de notre
ignorance » (p15), « Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un
destin qu’on écrit à l’encre invisible » (p 40), « Les grandes
œuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu.
De leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi, mais enrichi par
soustraction » (p 47), « Un grand livre ne parle jamais de rien , et pourtant, tout y est (..........) .Seul un
livre médiocre ou mauvais ou banal parle de quelque chose.Un
grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien , il cherche seulement à
dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque
chose aussi est déjà tout» (p 50), « Rien n’attriste un homme comme
ses souvenirs, même quand ils sont heureux » (p 96), « Il y a
plusieurs manières de traverser l’enfer et l’une d’elles est d’apprendre un
livre par cœur » (p210), « La vengeance est un plat qui ne se mange pas.Ou s’il se mange, on ne le digère pas.C’est
un plat qu’on vomit » (p388), « Le lieu du plus profond mal conserve
toujours un fragment de la vérité » (p420), « La colonisation
sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos.Mais
elle sème aussi en eux -et c’est ça sa réussite la plus diabolique- le désir de
devenir ce qui les détruit.Voilà toute la tristesse
de l’aliénation » (p422), « Il se peut qu’au fond chaque
écrivain ne porte qu’un seul livre essentiel, une œuvre fondamentale à écrire,
entre deux vides » (p456)