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Roman Mohamed Mbougar Sarr -

Date de création: 23-06-2022 19:47
Dernière mise à jour: 23-06-2022 19:47
Lu: 557 fois


SOCIETE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ROMAN MOHAMED MBOUGAR SARR- « LA PLUS SECRÈTE MÉMOIRE DES HOMMES »

 

La plus secrète mémoire des hommes. Roman de Mohamed Mbougar Sarr. Editions Barzakh , Alger 2022, 462 pages, 1 300 dinars .

 

 

Dès l’ouverture, le roman est dédié à Yambo Ouologuem, l’écrivain malien , Prix Renaudot 1968 , dont le roman (plutôt un essai politique qui fut suivi d’une polémique. Voir plus bas) , avait durant longtemps et aujourd’hui encore , marqué les esprits de tous ceux qui luttaient contre le colonialisme des terres et des esprits africains.Un écrivain-essayiste lumineux (à l’image de notre Fanon national) que , certainement , Mbougar Sarr admire et chercherait peut-être même , non à imiter mais à prendre pour exemple.Au grand dépit des partisans de la « Françafrique ».

Nous avons donc  l’histoire de Elimane Madag un brillant lycéen (au Sénégal)  puis mi- normalien (à Paris),  mais formé à l’école de la tradition locale (grâce à un enseignement de dernière minute auprès d’un père presque centenaire sur le point de mourir)  , avec tout cela contient comme inconnues et mystères (rien à voir avec la magie et autres sorcelleries !) qui « commet », en 1938,  un ouvrage qui bouleverse le champ éditorial occidental, « Le Labyrinthe de l’inhumain » , un ouvrage mythique et brûlant dont on a perdu la trace car assez vire censuré  ....lequel champ va s’empresser , de le « descendre en flammes ».....car il était impensable qu’un « nègre » puisse produire un tel chef-d’œuvre ( le désignant comme le « Rimbeau africain ») sinon par le « plagiat ». Une œuvre unique qui laisse des traces ...et le mystère de cette création (un seul exemplaire disponible retrouvé , en 2018, par un de ses descendants, Diégane Latyr Faye,  ...lui aussi futur écrivain exilé à Paris) ira s’approfondissant au fur et à mesure que la recherche de l’ancêtre fantôme et parfois vengeur (de ses détracteurs....qui se suicideront ou mourront de manière étrange....en France comme en Argentine ) avance.

Au passage, c’est la description de la vie des intellectuels d’Afrique exilés en Occident , un espace géographique et culturel sinon largement hostile du moins  incompréhensif . C’est aussi, la description des processus de création littéraire qui voit s ’affronter plusieurs écoles.

Tout ceci sans oublier la dénonciation d’us et coutumes locales obsolètes et de pratiques du pouvoir a -démocratiques sinon autoritaristes (dans bien des pays du Sud) .

Ps : Page  à signaler qui résume à sa manière la philosophie de base du roman, annonçant une fin- surprise , bien qu’attendue, de l’aventure d’Elimane et de la recherche de Diégane   ; celles, pages 422 , 423 et  424,  consacrées la l’ « entreprise colonisation »

 

L’Auteur : en 1990 au Sénégal et vivant en France.Déjà trois romans (en 2015, 2017 et 2018) . Ce roman publié aux Editions Philippe Rey, Paris 2021, a obtenu le  Prix Goncourt en  novembre 2021)

Extraits : « L’exilé est obsédé par la séparation géographique, l’éloignement dans l’espace. C’est pourtant le temps qui fonde l’essentiel de sa solitude ; et il accuse les kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent » (p 69), « Toute l’histoire de la littérature n’est-elle pas l’histoire d’un grand plagiat ? Qu’eût été Montaigne sans Plutarque ? La Fontaine sans Esope ? Molière sans Plaute ?Corneille sans Guillén de Castro ? C’est peut-être le mot « plagiat » qui constitue le vrai problème.Sans doute le choses se seraient-elles déroulées autrement si, à la place, on avait employé le vocable plus littéraire, plus savant, plus noble, en apparence au moins, d’innutrition » (p109), « Etre un grand écrivain n’est peut-être rien de plus que l’art de savoir dissimuler ses plagiats et références » (p109), « Être compris est rare en littérature mais il faut encore tout faire pour ne l’être jamais totalement quand on est écrivain » (p239), « Chaque livre que publiait un écrivain n’était que la somme de ceux qu’il avait détruits avant d’en arriver là, ou le résultat de tous ceux qu’il s’était retenu d’écrire »(p287), « Dans un pays comme le nôtre, le suicide était un mode d’action politique horrible mais efficace, efficace parce que horrible, peut-être la seule protestation encore audible de nos dirigeants.Le suicide fait basculer l’histoire (....). Peut-être qu’il ne reste que ça aux populations de nos pays désespérés. Peut-être que c’est ce que les jeunes doivent faire : se suicider, puisque leur vie n’est pas une vie  »  (p391), « Le monde est peuplé de derniers livres.Tous les grands textes sont des épitaphes possibles du monde.Le dernier livre de l’histoire ne cesse jamais d’être le prochain ;il a donc un passé long et déjà vieux devant lui » (p421)

 

Table des matières : Livre premier (deux parties et un premier biographème) / Deuxième livre (Trois parties et deux biographèmes)/ Troisième livre (Deux parties et une biographème) /Remerciements

 

 Avis :Un récit à plusieurs queues et plusieurs têtes  et qui torture à l’image ce que ressentent les intellectuels (et écrivains et artistes) africains en exil(s).  De l’écriture très, très , très recherchée , et c’est ce qui a peut-être plu aux jurés  du Goncourt à la recherche de sensations littéraires nouvelles , à la recherche du neuf et de l’original, souhaitant  sortir  des sentiers battus parisianistes .....et de  faire pardonner ou oublier les dérives de leurs « politiques ». Sans doute, l’actualité politique africaine a dû peser sur  le choix.....pour prouver qu’en Occident , en France tout particulièrement, on a encore « l’Afrique au cœur ».La littérature africaine  enfin reconnue ? Pas si sûr !En petite partie !

 

Citations : «Plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparaît l’immensité de l’inconnu et de notre ignorance » (p15), « Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un destin qu’on écrit à l’encre invisible »  (p 40), « Les grandes œuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu. De leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi, mais enrichi par soustraction » (p 47), « Un grand livre ne parle jamais de rien , et pourtant, tout y est (..........) .Seul un livre médiocre ou mauvais ou banal parle de quelque chose.Un grand livre n’a pas de sujet  et ne parle de rien , il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout» (p 50), « Rien n’attriste un homme comme ses souvenirs, même quand ils sont heureux » (p 96), « Il y a plusieurs manières de traverser l’enfer et l’une d’elles est d’apprendre un livre par cœur » (p210), « La vengeance est un plat qui ne se mange pas.Ou s’il se mange, on ne le digère pas.C’est un plat qu’on vomit » (p388), «  Le lieu du plus profond mal conserve toujours un fragment de la vérité »  (p420), « La colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos.Mais elle sème aussi en eux -et c’est ça sa réussite la plus diabolique- le désir de devenir ce qui les détruit.Voilà toute la tristesse de l’aliénation » (p422), « Il se peut qu’au fond  chaque écrivain ne porte qu’un seul livre essentiel, une œuvre fondamentale à écrire, entre deux vides » (p456)