SOCIETE- BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- ROMAN MOHAMED MAGANI- « UN ÉTRANGE CHAGRIN »
Un étrange chagrin. Roman
de Mohamed Magani. Chihab
Editions, Alger 2021, 282 pages, 1200 dinars
En fait c’est un roman tout
consacré à l’après-décennie noire (ou rouge comme il vous plaira de le dire).
Avec pour thème central les « saigneurs » et
« profiteurs de la guerre civile, entendre par là, les
recéleurs de trésors amassés à leur corps défendant d’innocentes victimes
terrorisées ».Une guerre qui a vu les « sacs poubelles noirs »
emplis d’argent des chantages et des pillages être « mis en
sécurité » chez des « amis ».
C’est donc l’histoire d’une
brave citoyen, Sefwane, qui se retrouve acteur principal du
drame. Totalement traumatisé, non par la guerre elle-même, mais par
toute une campagne de dénigrement souterraine ,
mettant à mal sa vie familiale (sa fille s’étant suicidée après avoir été
brutalement quitté, sans explications, par son fiancé) et son
honneur ; lui qui ne s’était jamais commis avec les
terroristes. Il cherche des explications…et il ne tarde pas à les trouver grâce
à une dame vengeresse et courageuse , à la rancune
tenace (les terroristes avaient assassiné son époux et jeune frère
) -et belle de surcroît…..et dont il va tomber amoureux.
En fait ce sont ses deux
anciens associés ,anciens intermédiaires (et
recéleurs) des groupes terroristes, qui voulant se venger ,
pour les avoir lâchés dans leur entreprise (salles des fêtes) devenue douteuse,
ont colporté des ragots sur l’origine de sa fortune. Des criminels reconvertis….qui ont osé même s’infiltrer dans les rangs du
« Hirak » pour blanchir encore mieux leurs
activités et leurs comportements ….ceci pour un enrichissement encore plus
grand. Heureusement cela ne va pas durer …les criminels repentis et reconvertis
paieront….. la paix des
esprits va revenir…. l’amour va prendre le
dessus.
En plus de la problématique
de la « reconversion » des terroristes « repentis » et de
leurs recéleurs devenus richissimes (surtout lorsque le criminel est mort
durant son ensauvagement), une autre question clé est abordée par
l’auteur : celle de la multiplication (empruntant plusieurs moyens) des suicides chez les jeunes et même
moins jeunes. Les effets néfastes sur le moyen terme d’une période assez
heurtée et dont beaucoup d’aspects restent encore aujourd'hui incompris car
trop occultés volontairement par la politique de
réconciliation ?
L’Auteur : Né en 1948 à El Attaf (Chlef) . Auteur , de puis 1987, de plusieurs romans (dix)
, de recueils de nouvelles (deux) et de deux étude dont
une sur Ibn Khaldoun en 1995 et une sur l’enseignement primaire
(1996). Vit et enseigne l’anglais à
Alger. C’est le plus anglophone des écrivains algériens.
Extraits : « L’insalubrité
dans nos villes, nos villages , nous étouffe et nous
empoisonne. Après le terrorisme, je dirais qu’elle est actuellement le problème
numéro un dans le pays » (p 81), « D’aucuns ont profité de la
guerre contre les
civils , cependant que d’autres en sont sortis pourris de fric. Et une chose
est sûre, ceux-ci continuent de s’enrichir, dans un climat d’injustice et de
dérèglement social où n’importe qui peut être acheté ,
ou le crime paie et où les criminels de toutes sortes s’en tirent à bon compte,
sans une égratignure » (p180), « Les assassins appelaient leurs
victimes par leurs noms et les abattaient ;ils étaient en mission de
représailles, sans l’ombre d’un doute. Pour quelle raison ? Cela se saura
un jour, lorsque les langues se délieront… » (p199)
Avis : Un
roman (ou un auteur) qui dit tout haut (et noir sur blanc) ce que tout le monde
-le citoyen lambda- pense des retombées (matérielles et accessoirement
psychologiques) de la « décennie noire »
Citations : « Quand
le centre devient la périphérie, quand leurs frontières se brouillent et se
chevauchent en toute liberté , il n’est guère plus
possible de faire appel aux souvenirs et images passées » (pp
38-39), « La décennie de meurtres, d’attentats, de massacres et de
sabotages a brouillé l’histoire de nos familles et celles des autres »
(p100), « Nous vivons dans « une démocratie du chagrin » qui
s’intensifie à mesure qu’il s’accumule dans la population. Nous sommes liés par
notre survie à tous ceux qui sont morts dans la violence » (p137),
« Les repentis ne peuvent aller contre leur nature, il leur faut de
l’anarchie, du désordre, le complot, du sang pour arriver à leur fin : la
richesse » (p143)