SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN TAHAR
OUETTAR –« NOCES DE MULET »
Noces de mulet. Roman
de Tahar Ouettar (traduit .de l’arabe par Marcel Bois
et B.Giuichoud).Enag Editions, Alger
2002, 143 pages, 280 dinars
Le
roman «
Noces de mulet » a été achevé en septembre 1975, édité à Beyrouth en 1980, et
la traduction française a été publiée en
1984. Autrement dit, si allégorie il y a
— ce qui paraît irréfutable — elle renvoie à une situation très nettement
antérieure à 1975 d'autant que le bagne de Guyane , auquel il est fait maintes fois
référence , été fermé en 1946. Aussi
serait-il tentant, pour beaucoup, tout particulièrement ceux ayant vécu au sein
ou à côté du système politique régentant alors le pays , et connaissant le caractère
« rebelle »
(intellectuellement et entre « amis ») de l’auteur , de voir, dans l'unité de lieu du récit ,
l'Algérie convoitée par plusieurs leaders politiques aux idéaux diablement
divergents, car en fait, l'histoire du
FLN, de ses origines à l'exercice du pouvoir, n'est pas un long fleuve
tranquille.
L'action (souvent sanglante ou
sonnante et trébuchante, car il y a aussi un problème de « pouvoir »)
se passe presque entièrement dans le plus grand et le plus beau bordel de
Tunis, tenu par El Annabiya, pour qui jadis Hadj Kayenne a tué. Ce qui lui a valu de passer dix-huit ans au
bagne, d'où son surnom. De leur génération, il y a aussi Hammoud
Judoka, souteneur et barman, que l'on a mis à la porte avant d'organiser
la fête pour les "noces de mulet" d'El Annabiya
avec Khatem, le jeune et séduisant proxénète qui
pourrait bien n'être qu'un sombre arriviste sans scrupule.
Au fil des jours, et des nuits, l'établissement, respectable et qui paye
ses impôts, voit affluer les clients qui souvent, trop souvent, demandent les
services de la belle Hayat En-Noufous. Rien à voir
avec l'établissement concurrent où un soir débarque Hammoud «
un bordel délabré, tenu par des prostituées décaties (…). Outrageusement
maquillées, affublées de perruques, elles ont la cigarette à la bouche comme
pour se réchauffer, alors que l'atmosphère est étouffante » .Chez
El Annabiya, la bière coule à flot, la musique arabe
s'écoute en permanence, et les filles chantent des romances. Bref la vie dans
le péché, ce qu'un jeune émule de la Zitouna (Hadj Kayenne) ne peut tolérer ……lui qui était arrivé là par
hasard, souhaitant alors entreprendre sa campagne de « blanchiment des
âmes » et se retrouvant perdu dans les corps féminins et la zetla
(celle-ci, prise ne cachette,loin du bas monde, au fond d’une fosse dans un cimetière peu fréquenté…..tentant de
créer son « labyrinthe intime ». Grand lecteur des Soufis et des
poésies arabes, il subordonne l’amour à une quête mystique et revisite et
ravive les figures historiques de l’âge d’or)
Hadj Kayenne, El Annabiya, Zomorda, « Yeux Bleux »,
Babai le boxeur, Aldjiya, Khatem le jeune et
beau proxènète ,
Hammoud judoka, Hayat En-Noufous,
le riche « campagnard » ……. De
tous les personnages du roman, Hadj Kayenne est le
plus complet, à la fois par la connaissance qu'on a de sa vie passée et
présente et le seul
à bénéficier d'une réelle épaisseur psychologique. On le voit se retirer au
cimetière pour goûter au haschich et attendre des rêves où l'histoire lui donne
à voir de grands personnages de l'histoire antique et de la civilisation
musulmane comme le poète Abou Tayeb El Moutannabi
pour ne prendre qu'un exemple. Même si les autres personnages sont plus
rapidement esquissés, un magnifique scénario de film…..ou
même dans un pays moins pudique, de théâtre.
L’Auteur : Né en 1936 du côté de Sédrata dans
une famille berbère Chaouia , étudiant à
l’Université Zitouna de Tunis,
moudjahid (Organisation civile du Fln) , gestionnaire
de journaux après l’Indépendance puis, de 1970 à
1983, contrôleur du parti Fln (alors parti unique) . Retraité (à
l’âge de 49 ans )
puis, à partir de 1990, Dg de la radio nationale (Enrs). Fondateur et animateur
d’une association culturelle El Djahidyya jusqu’à
son déçès, le 12 août
2010, après une longue maladie....Nouvelliste,
romancier prolifique..... « rompu à
l’exercice dépouillé et poétique de la langue » (Achour Cheurfi) et
, bien souvent , volontairement provocateur .. En
1976, il assoit sa notoriété d’écrivain avec son nouveau roman « Ezilzal » (le
séisme), roman moderne au sens propre du terme, dans sa structure et son style
à la polyphonie diversifiée selon le type de personnages et leurs appartenances
idéologiques.
A partir de cette date, Tahar Ouatar est l’écrivain
algérien arabophone par excellence, avec Abbelhamid Benhadouga. Autres romans :« Noces de mulet »,
« Le pêcheur et le palais », « Les martyrs reviennent cette
semaine »…)
Extraits : « Quelle
contradiction ! Qui demeure un mystère incompréhensible
.Notre société soumet la femme à une claustration absolue, considère
toute mixité comme une impiété ; et dans le même termps,
elle tolère l’existence de pareils établissements (note : Maisons dites de
tolérance) » (p31) « La vie conjugale, dans la plupart des cas, fait
penser à un malade du cancer qui traîne, sans résister, jour après jour,
jusqu’à ce que la mort vienne le prendre » (p105)
Avis : Une construction romanesque de « Noces de
mulet » démente, le récit et les
développements du conflit à grande vitesse. Quant à la réalité des personnages ….tout est ……….vrai.Un livre à
(re)lire. Moins de seize ans , s’abstenir…..le monde
décrit ayant disparu depuis longtemps…..du moins officiellement
Citations : « L’amour, c’est difficile à
comprendre ! La souffrance , c’est encore pire » (p 51) , « Par
un phénomène merveilleux, l’homme du voyage échappe aux contraintes de l’espace
et du temps ; il devient ver soumis à la voracité du corps au lieu d’être
corps dévoré par le ver » (p54), , « Dans l’immense souk qu’est
l’Univers, tout est monnaie d’échange, y compris la vie du chasseur
d’âme » (p107), « Une homme fort fait respecter ses droits, tandis
que le faible est condamné à mourir.Quant aux ruines
sur lesquelles on ne pisserait même pas…..viendra le jour où elle seront
vénérées par tout le monde » (p113)