Pendant le Ramadhan, la djouzia, une friandise
traditionnelle, ne quitte pas la table des soirées à Constantine. Une
confiserie royale qui garde toujours les secrets de sa saveur et de sa
fabrication.
Khaled Ahmed, la trentaine, gère une boutique de djouzia,
l’une des plus anciennes au centre ville de Constantine.
La boutique est une vitrine d’un laboratoire où est fabriquée « la djouzia Ahmed Bey », du nom du dernier Bey de
Constantine. « L’histoire de la Djouzia est
ancienne. Cette pâtisserie était surtout fabriquée dans les maisons durant le
mois du Ramadhan. A RahbetEssouf,
des commerces ouvraient durant ce mois sacré pour fabriquer El djouzia, el caoucawia et la nougat. La tradition s’est perdue au fil du temps »,
explique-t-il.
Il cite le nom de pluieurs familles comme Mazri, Bentchouala et Khalfa et évoque le célèbre Hadj Sayd
(Khalfa) qui a maintenu la fabrication d’El djouzia, gardé bien les secrets pendant plusieurs décennies
et assuré la qualité du produit. « Jusqu’à un âge avancé, il continuait de
préparer la djouzia. Beaucoup de constantinois ont
appris avec lui », ajoute Khaled Ahmed. De RahbetEssouf, la famille Khalfa a
ouvert une boutique au quartier Belle-vue, une
destination incontournable pour ceux qui veulent acheter « la bonne djouzia » à Constantine. Hadj Sayd
a bien transmis son savoir faire à ses enfants.
Abdelkrim Khalfa, fils d’El Hadj Sayd, dit avoir bien appris la leçon et compris la
technique de fabrication. Rencontré dans l’ancien laboratoire familial, situé à
Mak’ad el hout, au vieux
quartier de Constantine, il raconte le mode de fabrication de la djouzia qui se faisait d’une manière manuelle. « Dès
que j’ai arrêté ma scolarité, je suis venu aider mon père. Je le suivais
partout. J’ai accompagné mon père pendant vingt sept
ans. Il nous a transmis tout son secret. Un grand secret ! », dit-il
souriant indiquant que le laboratoire d’El Hadj Sayd
existe depuis les années 1940. Il ne dit évidemment rien sur le secret de
fabrication.
Selon lui, la djouzia doit être préparée avec un cœur
net et propre. « Sinon, vous aurez une pâte noire ! », appuie-t-il.
Abdelkrim Khalfa fait appel à un voisin,
compagnon de longue date de son père. « Dans les années 1960, nous étions
quatre à préparer la djouzia dans ce laboratoire. Il
fallait mélanger le miel avec le blanc d’oeuf, cela
prend beaucoup de temps car il ne faut pas cesser de remuer jusqu’à ce que la
pâte devienne blanche. Après, El Hadj Sayd s’occupe
de tout, la touche finale lui revient. Il était très exigeant en matière du choix
des noix. Il était créatif », se souvient AbdelwahabCheriet.
Et, il ajoute : « dans les années 1980, je ramenais les noix de Batna
pour les revendre à Hadj Sayd. Il ne prenait que des
noix de qualité, refusait les coques abîmées. Il faisait son choix à
l’odorat ».
« Les ingrédients de la djouzia sont connus. Il s’agit du miel, du blanc d’oeufs et des noix. Tout le secret est lié au mode de
préparation. Chaque famille garde bien ce secret. Je suis resté huit ans avec
la famille Khalfa pour essayer de percer plus au
moins ce secret », confie Khaled Ahmed.
« Certains disent que El Djouzia est née ici
à Constantine à l’époque Ottomane. El djouzia n’était
servie que dans le palais du Bey », poursuit-il.
« Chacun a sa propre touche magique dans la fabrication de la djouzia. Tout dépend des dosages. Certains connaissent la
recette mais échouent parfois à la préparer. Nous voulons préserver cet
héritage. Mon père l’a appris de son père, donc c’est de génération en
génération », précise Ahmed Boudiaf qui fabrique de la djouzia
sous le label de Sidi Rached.
La djouzia se prépare à petit feu dans un
récipient en cuivre rouge. Elle tient son nom de djouz
(noix). Il existe une autre variante fabriquée à base d’amandes.
L’origine de la djouzia n’est pas encore tranchée
par les historiens. Elle aurait été créée par les cuisiniers d’Ahmed Bey (Bey
de Constantine entre 1826 et 1837). El djouzia
serait, selon une autre version, d’origine persane en raison de sa ressemblance
avec El man ouasalwa,
délice fabriqué en Iran à base de pistache et de miel. Les turques auraient
repris la recette à l’époque ottomane. Et le secret de fabrication aurait été
imposé par Ahmed Bey lui-même.
« C’est pour cela que nous l’appelons aussi « Halwet
el bayat » (la confiserie des beys) », précise
Ahmed Boudiaf. Khaled Ahmed évoque, lui, une autre friandise, Rouh El Bey, un fondant coloré consommé parfois avec du
thé. « Ce fondant était donné au bey lorsqu’il se mettait en colère pour
le calmer », dit-il.
La manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe
2015 » a fait connaître la djouzia dans la
région arabe comme en Arabie Saoudite. Selon Abdelkrim Khalfa,
la djouzia se vend à longueur d’année. « Nous
recevons parfois des clients de Chine, des Etats-Unis et d’ailleurs. La réputation
de la djouzia a dépassé nos frontières »,
dit-il.
« En tant qu’artisans, nous ne pouvons pas faire de l’exportation.
Nous souffrons déjà de la contrefaçon. On trouve de la fausse djouzia dans les commerces. Il s’agit de
la nougat tendre, pas de la djouzia »,
alerte Khaled Ahmed. AbdelwahabCheriet
va dans le même sens : « certains revendent de la nougat
tendre parfumée aux arômes de noisettes et de miel et la présente comme
de la djouzia ».
En plus des soirées du Ramadhan, la djouzia
marque sa présence dans les fêtes de mariage et de fiancailles.
« C’est aussi un produit de luxe qu’on aime bien offrir en cadeau. Il n’y
a pas mieux », conclut Khaled Ahmed.