SOCIETE – PRATIQUES- PLAT-HAMMOUM
© Par Rachid Lourdjane/El
Moudjahid, lundi 28/12/2020
Ainsi, on peut encore
de nos jours, découvrir de curieux aspects du patrimoine intimement lié à un
Art de vivre qui remonte aux temps les plus lointains de notre histoire.
L’affaire est toute récente et je n’ai pas voulu garder pour moi cette
curiosité culinaire qui aurait fait le bonheur d’une équipe de télévision pour
un reportage ethnographique. Ce mardi 22 décembre 2020 à midi, j’ai partagé le
repas dans une famille paysanne d’un petit hameau accroché en flanc de montagne
de la commune d’El Maïen au large de
Oued El Fodda à l’ouest du Zakar.
Balayée par des vents froids, la terre argileuse chargée de calcaire indique
une pauvreté en matière minérale et organique. C’est au prix de grands efforts
que les petits fellahs entretiennent une maigre arboriculture de montagne,
principalement des oliviers et des amandiers. Sur les bas-fonds un peu moins
pauvres, le sol protégé des vents accorde un peu de chance à la céréaliculture
et quelques spéculations maraîchères grâce au pompage de la nappe. Le
déplacement qui n’avait rien de professionnel était presque dicté uniquement
par la recherche effrénée d’un couscous
rare du nom de Hammoum roulé dans la farine d’orge
fermenté en silo souterrain. De couleur brune, à forte odeur proche du houblon
des grandes brasseries de bière, la graine du hammoum
est d’un goût assez spécial. Le nom et même le plat lui-même ressemblent à El Hammama très connu dans l’Atlas blidéen
comme un met thérapeutique au goût assez fort à peine supportable pour les
enfants, si ce n’était accompagné de sucre. Mais ce hammoum
n’a pas l’amertume des plantes ni le parfum de lavande. C’est de l’orge neutre.
Madame la cuisinière reproduit un geste ancestral qui n’a pas d’âge. Entourée
de son mari, ses enfants et petits-enfants, elle m’a juste indiqué qu’à chaque
moisson, elle prélevait une quantité d’orge qu’elle enterrait et qu’elle
arrosait régulièrement pour assurer, sous contrôle, la fermentation. Après
quoi, les graines sont séchées à l’air dans une pièce avant d’être réduites en
farine dans sa meule qui garde sa fidélité technique du néolithique. Retour à
Blida où, pour lever le mystère je me documente auprès de Razika
F., professeur de philosophie au lycée El Feth,
adepte d’Ibn Khaldoun, curieuse et incollable sur les
sujets les plus variés notamment l’histoire, la sociologie et l’ethnologie de
la Mitidja. Razika qui vient de prendre sa retraite
est une personne de ressource qui a ce génie de vous guider dans le plus
lointain passé, ou vous frayer un chemin dans la philosophie platonicienne,
tout en épluchant calmement ses légumes. Et voici la leçon que j’en tire :
depuis toujours, dans la construction traditionnelle de l’habitat, le silo à
blé souterrain est conçu comme un élément fondamental de la maison et ce, dans
toutes les zones géographiques céréalières. Ainsi, à l’est, dans les Aurès,
c’est le grenier à blé, el galaa. En Kabylie, c’est
le akoufi et de l’Ouarsenis jusqu’aux monts Trara, vers Tlemcen, c’est le silo enterré, le matmar ou matmoura. A l’origine,
ces magasins cachés, qui ont tendance à disparaître avec l’agroalimentaire
moderne, avaient une fonction de sécurité alimentaire en cas de disette. Razika m‘explique que Hammoum et Hammama sont deux déclinaisons linguistiques de la même
logique culinaire issu de Hammam qui, comme nous le savons tous, est le bain
traditionnel hérité des thermes historiquement antérieurs à la période romaine.
Elle m’explique avec force détails que dans une époque très lointaine, les
thermes d’eaux chaudes issues des entrailles de la terre connaissaient un
afflux de patients qui venaient s’étendre sur les dalles de pierre chaudes
chargées d’herbes pour se refaire une santé. Pratiquement, les mêmes herbes
vont servir pour El Hammama qui est un couscous
ancestral roulé dans la lavande et toute une pharmacopée végétale qu’offre la
terre à l’arrivée du printemps. J’apprends aussi que jusqu’à une date récente,
à l’entrée du printemps Hammam Zahar, de la vieille
Médina de Douiret à Blida, veillait encore à cette
lointaine tradition. On introduisait dans le bain à vapeur des feuillages de
plantes variées cueillies dans les piémonts pour servir de lit dans le cube
central dans la salle de sudation du hammam. Comme aux temps jadis, ces plantes
exposées à la chaleur humide dégagent des parfums qui servent de thérapie
olfactive, respiratoire et dermatologique. Les bouquets d’ortie servaient de
fouet pour stimuler la circulation sanguine. D’où cette association de Hammam, Hammama et Hammoum. Tout un
patrimoine qui mériterait une résurrection. Cette découverte, si s’en était
une, rappelle l’origine du couscous avant sa modernisation par deux révolutions
techniques ; Ricci dans son usine de Blida en 1853 et Ferrero, un siècle
plus tard, en 1953 à Boussaâda. Les deux industriels ont mis au point la
rouleuse pneumatique qui a remplacé les ouvrières manuelles et inventer aussi
la sécheuse éolienne pour assurer la rapidité dans la chaîne du travail. Désormais
classé dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, le roi de
la gastronomie nationale ne finit pas d’envoûter. Bonne dégustation.