SOCIETE-
ETUDES ET ANALYSES- ALI EL KENZ- ENTRETIEN 2012/WWW.24HDZ.COM (L2/11/2020)
A bâtons rompus avec Ali El Kenz: sur la
société, la crise et le système “autophage”
Cet entretien extraordinaire a été réalisé en janvier 2012
par notre confrère Nordine Azzouz.
On y retrouve Ali El Kenz avec
son extraordinaire finesse d’analyse parler d’exil, de la crise, des années 90
et du système algérien devenu “autophage” où les “les conflits, durs, violents
commenceront, comme dans une famille d’héritiers qui commence à s’entredéchirer
dès la fin annoncée du « patriarche-patrimoine »
Vous venez de publier chez Casbah Editions «Ecrits d’exil»,
un livre qui restitue à la fois une partie de votre itinéraire personnel
et des fragments de quelques-uns de vos travaux de recherche en
sociologie. Pourquoi ce besoin de «vous raconter» avant d’aborder des sujets,
disons, strictement universitaires ?
Sans vouloir écrire mes mémoires, ce
n’était pas mon ambition en tous cas, j’ai considéré que le temps était
venu de restituer une partie de mon vécu: de l’enfance à Skikda dans les années
50 à la période actuelle à Nantes où j’enseigne et poursuis mes travaux de
recherche. L’expérience de l’exil à partir des années 90 et dans les conditions
que certains d’entre nous ont connu m’ont sans doute incité à revenir sur mon
parcours individuel, à en restituer certains aspects en quelque sorte, mais la
partie qui lui est consacrée dans le livre reste courte par rapport au reste
qui recouvre presque une trentaine d’années de recherche et de travaux
universitaires. Bien qu’importante- elle m’a coûté environ une année de
réflexion puis de rédaction- cette partie-là ne me paraît pas moins essentielle
que les autres chapitres même si l’ouvrage qui les contient est un
« tout » et qu’il répond à la motivation de questionner et de décrypter
la société. J’ai adopté alors, presque spontanément, le style d’un récit, la
description plus que l’analyse, un peu dans la tradition – je ne sais pas si
j’y parviens d’ailleurs ?- d’un David Hume ou d’un Jean-Paul Sartre ou
pour rester dans « notre monde », d’un Jahiz plus qu’Ibn Khaldoun.
Le premier était « sceptique », le second était
« existentialiste » et «engagé »; un philosophe
tapageur qui ne mâchait pas ses mots, . Vous,
vous donnez plutôt l’air d’un intellectuel» qui préfère décrypter
tranquillement, loin du tumulte de l’actualité. Même dans vos écrits actuels
dans El Watan par exemple vous rechignez à dire et à
écrire ce que vous pensez par exemple de la conjoncture politique. Vous êtes un
intellectuel prudent, disent certains…..
Oh !, je n’ai pas la moindre
prétention d’établir une quelconque filiation entre moi et ces immenses
philosophes je les ai cités pour dire que ce sont pour moi,des
repères majeurs et des modèles de comportement à partir
desquels j’essaie de me situer en tant qu’intellectuel et en tant que
sociologue réfléchissant sur le monde et sur la manière dont bouge et
fonctionne la société. Ceci dit, je ne me considère pas comme un intellectuel
prudent. Je ne le suis pas et ne me souviens pas l’avoir été, même au temps de
Boumediene et au temps où j’ai signé Tahar Benhouria,
le bouquin sur l’économie algérienne ou encore, mes interventions dans
« Algérie-actualités » sous le pseudo de Hocine Lotfi et réunis plus
tard dans le livre, « Les maîtres penseurs ». Vous savez, mon
grand maître, c’est Gramsci et avant Gramsci c’était Ernst Bloch et son
«principe d’espérance ». Je dis cela parce que je considère
que la critique de la société et de l’Etat par un intellectuel doit
ramener les gens à réfléchir, vous comprenez, à réfléchir et à se poser
des questions. Pas à calomnier ni à insulter. Quand vous vous apprêtez à passer
une dure épreuve, traverser une montagne ou subir un examen, par exemple, il ne
sert à rien d’insulter ou de maudire l’une ou l’autre même si votre humeur vous
pousse à cela. Il vous faut au contraire calmer votre émotion et analyser
l’obstacle pour le vaincre. Pour ce qui qui me
concerne, tout se passe entre mes observations, leur analyse et enfin, le plus
dur, les écrire. L’écriture est ma seule arme et je dois maîtriser ma
plume, mon clavier, sans trop les brider pour, avec les mots choisis,
exprimer avec le plus de simplicité possible (je suis à la lettre Jahiz)
communiquer ma pensée.
Vous détestez la pensée pamphlétaire. Pourtant, y a de quoi
être indigné dans ce pays et dans ce monde, non ?
Je ne sais pas s’il faut parler de
parole pamphlétaire plutôt que de pensée pamphlétaire mais les deux ne
m’intéressent pas. Je crains que dans le pamphlet on ne devienne prisonnier de
l’événement et qu’on oublie – c’est ce qui arrive toujours dans ce cas de
figure- qui tire les ficelles et dans quel but. Souvent en effet,
« l’événement » qui fixe les regards des gens et l’attention des
pamphlétaires est un artefact construit à cet effet. « Une star » qui
durera le temps d’une mode : un concept comme la pauvreté ,
un fait de société comme la mort de M. Jackson où un événement comme les
élections en Georgie. Dans son roman
« Manhattan Transfert », le romancier américain Dos Passos, parlant de la mort d’un grand acteur américain
notait cette observation très fine :
il
est mort à la première page du New York Times et a été enterré
quelques jours plus tard, dans une petite notice nécrologique , à la dernière
page. En fait, je suis tout simplement mal à l’aise dans la
dénonciation à chaud et dans les répliques instantanées. De plus, je n’aime pas
blesser mes adversaires. Enfant, quand je me bagarrai, j’étais plutôt un
défensif qu’un offensif mais je savais me défendre quand on cherchait à
m’agresser. Adulte, je n’ai pas changé et suis resté comme tel. Si l’on
doit parler de prudence, elle est donc plutôt dans l’expression et dans la
prise de distance. Au niveau de l’écriture et de la réflexion, je pense comme
Gramsci qu’à la différence de la guerre où on attaque l’ennemi à son point le
plus faible, dans la culture on doit l’affronter à son point le plus fort.
Lequel est le plus souvent masqué par les évidences du sens commun.
Durant les années 90, période terrible mais ô combien
significative au sens politique et historique, on a considéré que vous
n’aviez pas beaucoup ou pas du tout parlé. Peut-être que ce reproche de
« prudence » qui est vous fait vient-il de cette époque ?
Mais qui c’est ce «on» ? C’est un
paradoxe que de se tapir dans l’anonymat et de reprocher à quelqu’un comme moi
de ne pas s’exprimer. Mais passons… Sur la question des années 90, j’aimerai
rappeler un point : en quittant le pays pour la Tunisie, je pensais que
j’allais revenir chez moi au bout d’une année. Cela ne s’est pas
passé ainsi et j’ai dû partir en France. La seule attitude qui me paraissait
juste et raisonnable était alors de m’abstenir de tout commentaire sur
l’Algérie. Non pas par crainte ou par esquive mais parce que j’étais
intellectuellement convaincu de l’idée qu’étant à l’étranger, loin de la
tragédie et de ses morts, je n’avais plus le droit, au sens éthique du
terme, de parler de l’Algérie et de ce qui s’y déroulait. Jusqu’à mon retour
en 1998, je m’étais interdit d’intervenir sur la situation de mon pays et de ne
pas répondre aux invitations pourtant nombreuses pour des colloques ou
des rencontres d’ONG. Ce jeu-là ne m’intéressait pas, j’en
connaissais les enjeux, et je ne voulais surtout pas passer pour une victime.
Pour être recruté à l’université de Nantes, j’ai passé des auditions
comme tout le monde pour mon poste de professeur,et je me souviens avoir dit à la vingtaine
d’universitaires qui devaient se prononcer sur mon élection : « s’il
vous plait, ne me jugez pas comme un Algérien en exil, mais comme un
sociologue. Je ne voulais pas et je ne veux pas de points supplémentaires
ou « de discrimination positive » ; je déteste cette posture !
Restons dans les années 90. Que pensiez-vous de la lutte
contre les islamistes radicaux ? Est-il vrai que la communauté catholique
de Sant’egidio a tenté de vous solliciter pour
prendre part au « dialogue pour la paix » ?
Je n’étais pas « un
éradicateur », si c’est ce que vous voulez dire .
Il est vrai aussi que j’ai refusé de répondre aux sollicitations de Sant’Egidio, tout simplement parce que je n’approuvai pas
l’idée d’une paix en catimini dans un couvent. On ne fait pas la paix en
catimini et l’urgence de l’époque était de trouver, de construire un
cadre national pour débattre des problèmes cruels dans lesquels le pays se
trouvait. L’initiative de cette organisation catholique me
paraissait aussi donner aux islamistes radicaux – c’est ce qu’ils
voulaient d’ailleurs – une légitimité internationale et surtout l’illusion
qu’ils allaient l’emporter sur le terrain de l’affrontement armé
. Ce qui ne pouvait pas être le cas et devait provoquer un prolongement
de la guerre avec un nombre plus important de morts, pour rien. Et c’est ainsi
qu’à l’inverse de ce qui était recherché, San’t
Egidio a contribué à enflammer et à prolonger la logique de guerre au lieu
d’accélérer le processus de paix.
Dès lors, je me suis refusé à tout
commentaire et je suis resté catégorique : ne rien signer.
N’y avait-il pas dans cette posture et dans
l’ «embarras» qu’avaient beaucoup d’universitaires et de penseurs
face à la vague islamiste l’aveu d’une génération d’intellectuels qui
s’est trompée sur la question de l’histoire, de la modernité, et qui n’a rien
vu venir de la menace intégriste ?
Il n’y a pas que moi qui me se suis
« planté ». Pendant des années, j’ai travaillé comme beaucoup
d’intellectuels sur l’identité des classes sociales pas seulement en Algérie
mais dans la sphère arabe, au Maghreb, en Egypte, au Liban, etc. Or,
personne dans cette sphère, n’a vu venir la vague nouvelle, et surtout , sa force. Y compris le « grand maître »,
l’historien marocain Abdallah Laroui et sa
classification qui distinguait les étapes : le clerc, le politicien pour
finir avec le technophile. Aujourd’hui, les trois sont là, et il nous
faut comprendre et analyser cette réalité complexe dans laquelle s’imbriquent
dans un mélange étonnant ces trois dynamiques et acteurs sociaux. Mais l’erreur
de Laroui qu’il doit à son hégélianisme et son
évolutionnisme était révélatrice de celle de toute une génération
d’intellectuels maghrébins et arabes. Il a été simplement celui qui l’a le
mieux formalisée.
La tentation devant un intellectuel comme vous – sociologue
de surcroît- est de lui demander de jouer aux oracles et de nous dire comment
la société évolue-t-elle. Estimez-vous possible un retour de l’islamisme
radical et destructeur tels que nous l’avons connu ?
Je ne suis pas sûr que l’islamisme
puisse revenir sous la forme qu’il avait dans les années 80 et 90 – ce serait
terrible. La société pose des questions « terre à terre » comme le
droit au logement, à une vie décente, etc. Mais elle reste dangereusement
vulnérable aux manipulations symboliques de toutes sortes et les ingrédients de
la radicalisation sociale sont toujours réunis, avec ses dérives possibles,
dans le populisme autoritaire, l’islamisme radical ou même et pire la
fragmentation nationale. D’autant que l’impression dominante, aujourd’hui, est
celle d’une société autophagique, sans mémoire, où les mécanismes de solidarité
se fragilisent et se cassent les uns après les autres; une masse
qui fonctionne sans flèche, sans direction je veux dire, avec, en face,
un État fermé sur lui-même et qui nourrit et se nourrit de l’autoritarisme-
versus- actions émeutières et attentats terroristes.
Les
populations “sans frontières” et les “cadenassées”
Vous dites société autophagique, un terme fort… Quels
seraient selon vous les symptômes de cette autophagie: la harga ?
La harga est,
en effet, un indice frappant de cette absence de lien social
et de cette pulsion de mort qui poussent des personnes qui ne sont pas toutes
jeunes à quitter coûte que coûte le pays et à s’embarquer, le plus
souvent pour la mort. Elle est un phénomène qui exprime la fragilité des liens
sociaux, et qui révèle l’incapacité de l’Algérie, en dépit de ses moyens, à
répondre aux besoins de ses enfants et donner un sens à leur vie. Sans doute
aussi la représentation tragique de l’absence d’un projet de société qui anime
et mobilise la société, une absence qu’on retrouve selon moi dans le nouveau
système économique, rentier et peuplé de «voleurs», «que des voleurs», comme on
dit dans la rue. Il faut ajouter à cela, la terrible sensation d’enfermement
que les nouvelles formes de mobilité internationale mise en place par
l’Occident ont rendu insupportable. Pour les habitants des pays
« faibles », les plus jeunes d’entre eux surtout, « le
visa » crée dans un monde « mondialisé », un sentiment
d’inégalité et de frustration qui aggrave les fardeaux de la vie quotidienne
locale. A cette échelle « globale », il y aujourd’hui deux
populations : celles « sans frontières » de
l’Occident, et celles avec des « frontières cadenassées » des
autres pays. Cette nouvelle topologie mondiale rappelle à beaucoup
d’égards les systèmes féodaux anciens où les « pauvres »,
serfs, paysans et autres étaient astreints à résidence dans les fiefs des
seigneurs. Je suis étonné, quant à moi, par la relative inertie des
associations de droits de l’homme, nationales et internationales vis-à-vis de
cette question. Elle est un des noyaux durs de la mondialisation en cours et
j’imagine bien, quant à moi, gauchiste radical que je suis, de larges
mouvements de masses, organisés internationalement, encombrant pacifiquement
les accès aux ambassades des pays riches. Je rêve…. peut-être.
« Des voleurs » qui existent et que la société,
dans les questions qu’elle pose, dénonce en un discours résolument contre
l’Etat. Un intellectuel comme vous ne doit-il pas lui aussi dénoncer ?
Bien sûr qu’il faut dénoncer les
voleurs, mais il faut aussi aller au-delà, ce que j’ai essayé de montrer dans
ma chronique « Kenwood II , Intérêt et politique» de fin juin dernier
dans El Watan où j’essaye de sortir de la question de
corruption qui est de type moral pour saisir ce nouveau modèle d’entrepreneur
qui a mis les charges de l’État, du bien commun, au service de l’intérêt
particulier et un moyen d’appropriation privative sous toutes ses formes. Nous
sommes devant un système économique et social et donc aussi politique
redoutable. Il faudra beaucoup d’écrits, de travail d’analyse, une reformation
des expressions de lutte même, pour pouvoir faire face à cette gangue, à cette
glue plutôt que classe. Car, à la limite, si on avait une bourgeoisie industrielle,
des intérêts et un morphisme visible de classes et de conflits de classes,
l’action politique étant plus transparente serait plus aisée. Mais on ne l’a
pas.
Naissance
du système “autophage”
A qui la faute ? A Boumediene ? Et à son
«industrie industrialisante » ?
Je ne suis pas d’accord avec cette
lecture simpliste, un poncif de paresseux même. L’erreur de Boumediene est de Belaïd Abdeslam, ce n’est pas d’avoir créé un secteur
public dominant – il fallait le faire- mais d’avoir interdit à la bourgeoisie
industrielle privée d’exister face au système étatique. Le secteur public, qui
n’avait que des assises politiques « monopartisanes »,
s’est retrouvé laminé dès la disparition de Boumediene ; le chef, le
« César » sur le pouvoir duquel reposait tout l’édifice
. Un exemple : le complexe
comme celui d’El Hadjar ,qui ne pouvait pas tout
faire , s’est trouvé à un moment de son histoire contraint de sous-traiter
certaines tâches. Le passage à une forme de production industrielle, plus
complexe et associant le secteur privé national était lancé J’ai
moi-même assisté à des réunions où on commençait à faire appel à
de petits industriels du coin: des sous traitants en forge, en
chaudronnerie pour libérer l’usine de certaines séquences industrielles. Sauf
que quand on a commencé cette opération, Boumedienne
décède, le système politique se rééquilibre. Autour d’autres acteurs qui ont
alors surgi et sont venus faire de la restauration, le transport du
personnel, des opérations et des interventions qui n’ont aucune valeur
industrielle mais sont génératrice d’argent et de puissance : 14 000
repas par jours, 70 000 Kms de rotation par jour pour le transport
du personnel, vous vous rendez compte, cela représente une source de richesse
importante. L’obtention des contrats s’est faite évidemment à partir de
pressions venus « d’en haut ». L e système « autophage »
venait de naître.
L’émergence d’un nouveau paysage économique ?
Exactement. Tout le malheur de l’Algérie
est que Boumediene est mort avant d’avoir fini le cycle de trente
ans nécessaire à la construction des fondamentaux de l’économie
nationale : des grandes entreprises industrielles nationales
progressivement insérées dans un maillage serré d’industries privées. La
Corée du Sud, tous les grands pays émergents, ont eu ce cycle de trente
ans, le nôtre non. Le virage de 1982, année durant laquelle le congrès du FLN a
pris des résolutions qui ont affaibli le secteur public industriel, a été
fatal. Mais en en l’affaiblissant, on affaiblissait en même temps les
possibilités de croissance d’un secteur privé industriel consistant. Les
conflits entre les deux secteurs et donc entre les deux groupes ont été
exagérés dés l’Indépendance et ont masqué des dérives plus graves. En se
focalisant sur cette ligne de front, attisée plus par des rivalités
culturelles, historiques et politiques héritées du mouvement de libération du
type UDMA,Ulémas, PPA, MTLD, FLN mais
aussi socialistes et communistes, on n’a pas vu venir, se former
lentement pour devenir centrale, celle plus grave de l’appropriation rentière
des richesses du pays. Celle là étouffera les deux secteurs.
Pensez-vous que la « casse » du secteur public
industriel s’est faite délibérément ?
Au sens du concept, je ne le crois. Il
ne s’agit pas d’un complot ourdi quelque part mais de
dynamiques politiques et sociales qui se sont construites petit à petit,
pragmatiquement. D’autant plus qu’on a raté à la fois un secteur public
fort et un secteur privé industriel créatif. Aujourd’hui, on n’a ni
l’un ni l’autre. Pour le privé, on a quelques industriels mais ils
se comptent sur les doigts d‘une main ; pour le public, ses
entreprises sont tout le temps dans les dettes, la restructuration. Entre les
deux est venu se placer ce monstre qu’est l’entrepreneur de type nouveau
prédateur et « cannibale »qui s’inscrit dans l’action politique comme
« serviteur proclamé » de l’intérêt général et dans la sphère économique et
sociale comme « individu privé » agissant discrètement pour ses intérêts particuliers.
Combien de temps cela durera-t-il ?
Ah ! Ça durera le
temps de la diminution de la rente et de son déclin dans la part de notre PNB . Car la fin de la rente, ce n’est pas se réveiller un
jour et dire, hop et c’est fini. Les conflits, durs,violents commenceront avant, comme dans une famille
d’héritiers qui commence à s’entredéchirer dès la fin annoncée du
« patriarche-patrimoine ». Ce qui est sûr est que plus on
avance dans le temps plus les choses vont être tendues. La lutte entre les
rentiers pour la sauvegarde et la protection de leurs intérêts respectifs va
donner à la marche sociale une allure sinueuse et aléatoire, imprévisible donc.
Elle va s’exacerber sur fond de problème de reproduction du système, notamment
dans la sphère politique. Car une grande partie de ses rentiers n’a pas investi
dans la culture, l’éducation et la formation de leurs héritiers, ce qui
aurait pu, à la limite, les qualifier pour diriger « les affaires ».
La future génération dominante n’ayant pas les compétences managériales et technologiques
nécessaires pour gouverner, ses efforts se déplaceront alors sur la sphère
politique qui continuera à être « embouteillée » parce qu’elle
continuera à être le pivot central de toutes les décisions, sociales,
économiques, culturelles etc. La surpolitisation de la vie sociale
dans son ensemble est le revers inéluctable de l’absence ou pour le moins
de l’extrême faiblesse d’autonomies des autres sphères Je vous laisse imaginer
le reste.
Et pourtant il y en a parmi eux qui envoient leurs enfants étudier en Europe et aux Etats-Unis ?
Oui mais ils n’étudient pas ou ne font
pas les bonnes études. Je suis en Europe et, là-bas, tout est
transparent. Il suffit par exemple de consulter le site payant « World of
Learning » sur lequel vous pouvez consulter toutes les portails des
universités en Europe et dans le monde occidental et vous pouvez constater
que le nombre des étudiants algériens, en France par exemple, est
« epsilon » dans les classes de « prépas ». Contrairement
aux Marocains, ou aux Tunisiens, il n’y pas beaucoup d’Algériens non plus dans
les écoles polytechniques, les grandes écoles de commerce. Quand il nous arrive
(nous c’est-à-dire les quelques collègues algériens professeurs dans les
universités de la région) de recenser un Algérien dans ces circuits, c’est
l’euphorie, on se met tous à l’accompagner et à le prendre en charge, il
y en a si peu !. Les héritiers du système rentier
n’ont pas ou peu les compétences managériales et politiques nécessaires
pour gouverner à la place de leurs pères qui eux mêmes ont faiblement investi
ce créneau pour leur progéniture. Les « fuites « aux
bac et dans les diplômes universitaires montrent bien « le faible
intérêt » qui est accordé aux études et à la formation, qui est masqué,
encore un paradoxe, par le « fort intérêt » qui est accordé aux
diplômes. Ils vont se trouver héritiers d’une position dominante
qu’ils n’ont pas construit par eux-mêmes et dont ils
vont vouloir garder les privilèges. Ça sera plus dur, parce qu’ils vont
être plus brutaux pour défendre leur position.