SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI
ALBERT MEMMI- « PORTRAIT DU COLONISÉ »
Portrait du colonisé. Essai de
Albert Memmi (Préface de Abdelaziz Bouteflika), Editions Anep, Alger 2006, 152 pages, 280 dinars
Juif de Tunisie en contact avec les
colonisateurs aussi bien qu'avec les colonisés, proche des seconds bien plus que des premiers
Albert Memmi entreprend, démontre qu'ils sont dans une perpétuelle
interdépendance, liée au système colonial, qu'ils ne peuvent se définir que les
uns par rapport aux autres. Deux parties, étroitement reliées, deux faces d'une
même réalité.
Pour Memmi, tout colonisateur, ne peut être
qu'un privilégié, fût-ce relativement, par rapport aux indigènes ; et il
est toujours un « usurpateur », puisque ses privilèges ne sont pas
légitimes, et il le sait. D'où, d'une part, une mauvaise conscience, qui
atteint son paroxysme chez l'homme de gauche. Et, d'autre part, un mépris de
soi, du fait de sa médiocrité, consubstantielle au système colonial, qui incite
le colonialiste à s'appuyer sur son prétendu patriotisme et sur le prestige de
la métropole pour essayer de se justifier à ses propres yeux ;
conformément à ce que Memmi appelle le « complexe de Néron », il
recourt aussi à tous les stéréotypes racistes, qui sont autant de
mystifications visant à naturaliser l'oppression et à dresser des barrières
inamovibles entre les races. Ce faisant, il manifeste des tendances
fascisantes,
Le colonialiste fait du colonisé un portrait
mystificateur. Mais le colonisé, dépourvu de tout droit, constamment soumis et
humilié, et en état permanent de carence, est souvent amené à se conformer au
miroir qu'on lui tend. J-P Sartre écrivait dans la préface de la première
édition : « Une impitoyable réciprocité rive le colonisateur au
colonisé, son produit et son destin » . Certains
(colonisés) tentent bien de s'assimiler,
et donc de s'aliéner culturellement, mais l'assimilation, refusée par le
colonisateur, n'est qu'un mirage. La révolte est donc inévitable. Pour assurer
la cohésion du mouvement de révolte, l'élite des colonisés en arrive souvent à
la dépasser et à basculer dans la révolution pour tuer totalement « le
colonisé » .
Nationaliste, « parce qu’il
devait lutter pour l’émergence et la dignité de sa nation », il ira
jusqu’à affirmer les « valeurs
refuges », régressives, que sont la tradition, la famille et, plus encore,
la religion, ce qui est lourd de dangers, une fois l'indépendance obtenue.
L’Auteur : Ecrivain
et philosophe franco-tunisien. Né en décembre 1920 à Tunis de père juif italien
et de mère juive sépharade d’ascendance locale. Langue maternelle : l’arabe . Etudes universitaires à Alger puis à la Sorbonne.Enseignant.
Une grande œuvre tournant autour
de la difficulté de trouver un équilibre entre Orient et Occident.Fondateur
du concept de judéité au début des années 70, comme base de son travail d'exploration de
l'être juif. Ce concept, dont il jeta les bases, sera ensuite utilisé par de
nombreux philosophes. Plusieurs œuvres dont un premier roman (largement
autobiographique) , en 1953, avec une préface de
.....Albert Camus....... Le « Portrait du colonisé
(précédé) du Portrait du
colonisateur » a été publié en 1957 (Buchet-Chastel) , avec une préface de .....Jean-Paul Sartre .Il est apparu ,à l’époque, comme un soutien aux mouvements
indépendantistes.
Extraits :
« Je ne peux m’empêcher de penser à
ce que serait devenu le Maghreb si les communautés juives qui, par leur
histoire et leur culture, étaient une composante entièrement endogène de nos
sociétés, n’avaient pas été prises dans la spirale de l’identification au
colonisateur, n’avaient pas été mises en position d’étrangeté vis-à-vis de
leurs propres peuples par les pratiques de stratification raciste qui étaient
l’une des modalités de la reproduction de la domination coloniale. A coup sûr,
un Maghreb plus divers, plus dynamique. Ce n’est pas le moindre des crimes du
colonialisme que d ’avoir décervelé , puis amputé
nos sociétés d’une partie d’elles-mêmes, au moment de son reflux, rendant ainsi
plus difficile notre renaissance » (Abdelaziz Bouteflika, préface, p 9) ,
« Il n’y a pas de problème dont l‘usure de l’histoire ne puisse venir à
bout. C’est affaire de temps et de générations. A condition toutefois qu’il ne
contienne pas de données contradictoires « (A. Memmi, p 127),
Avis : « Une
grande voix singulière de l’anticolonialisme »....un texte étincelant de
vérités, peut-être incompréhensible pour les nouvelles générations car , avec la mondialisation –globalisation (même des
pouvoirs politiques) et les Tic, d’autres formes de « colonialisme »
sont nées. Il peut, aussi, être mal interprété, par les « anciens »,
qui vont, peut-être, le mettre (ou
mettre certains extraits ) au service de leur (s)
cause(s).
Citations : « Le
dépaysement colonial, si dépaysement il y a, doit être d’abord, d’un bon
rapport....La meilleure définition qui soit de la colonie : on y gagne
plus, on y dépense moins » (p 12), « N’être pas seul coupable peut
rassurer, mais non absoudre » (p 17), « L’histoire de la pyramide
des tyranneaux : chacun, socialement opprimé par un plus puissant que lui,
trouve toujours un moins puissant pour se reposer sur lui et se faire tyran à
son tour » (p 24), « La promotion des médiocres n’est pas une erreur
provisoire, mais une catastrophe définitive » (p 58), « Qu’est-ce que
le fascisme, sinon un régime d’oppression au profit de
quelques-uns ? » (p 70) , « La révolte contre le père et la
famille est un acte sain et indispensable à l’achèvement de soi......Le conflit
des générations peut et doit se résoudre dans le confilt
social ; inversement, il est ainsi facteur de mouvement et de
progrès » (p 102), « Un homme à cheval sur deux cultures est rarement
bien assis » (p 128) ,« Celui qui n’a jamais quitté son pays et les
siens ne saura jamais à quel point il leur est attaché « (p 139), »
Mais quels privilèges, quels avantages matériels méritent que l’on perde son
âme ? »(p 148).