SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- RECIT WASSYLA TAMZALI- « UNE
EDUCATION ALGERIENNE »
Une éducation algérienne. Récit mémoriel de Wassyla Tamzali. Chihab Editions, 372 pages, 950 dinars, Alger 2013
(Editions Gallimard, France 2007).
Voilà un ouvrage (en quatre grandes parties
ou étapes ou « cercles » de vie : « la passion
politique », « la maison pourfendue », « le
basculement » - cette dernière
racontant surtout les années 90 avec un
engagement politique assez partisan défendant l’idée « démocratique »
Ffsienne - et « le palmier
transplanté » ) qui peut
« foutre » une déprime carabinée à tous ceux qui , au lendemain
de l’Indépendance et jusqu’à la fin des années 70 ont cru et défendu parfois ,
becs et ongles (et comme notre auteure,
à contre-courant de ce que pouvait lui offrir comme faciltations
de vie la catégorie sociale dont elle était issue) les régimes politiques successifs , de Ben Bella puis de Boumediène, du moins leurs « idéologies » dites
progressistes : socialisme spécifique, nationalisation des biens des
Algériens , défilés « grandioses », manifestations de soutien aux
mouvements de libération, fréquentation des « révolutionnaires » du
monde entier , volontariat, révolutions culturelle puis agraire,Service
national , d’abord appliqué aux étudiants devenus enfin rebelles….
Les jeunes des villes d’alors (18-20-22 ans
en 62) , comme culpabilisant (surtout culpabilisés par une bonne partie de ceux
qui avaient « libéré » le pays)
pour ne pas être arrivés à temps pour « monter au maquis » et
porter les armes contre l’occupant , ont fait « feu de tout bois » .
Tout en jouissant pleinement de la vie, tout particulièremnt à Alger (alors lieu universitaire unique en
son centre-ville, proche des hauts lieux de la vie conviviale
).Peut-être pas militants, mais résolument
« engagés » sur tous les fronts ? Même contre leurs
parents. Même contre la société et ses tabous . Même
contre (euh !) le régime en place. Ils sont tous, ou presque
, morts, certains tués par le stress, d’autres par leurs
« grands » ou nouveaux
« frères ».
Wassyla Tamzali ?
Une certaine idée de la liberté, une certaine idée de la démocratie, une
certaine idée de la vie tout simplement….Des idées « progressistes »
et « modernistes », déclarées ouvertes sur l’humain et
l’humanité, qui n’arrivent pas , jusqu’à nos jours, à faire leur chemin dans notre pays
et ce depuis 62, livré aux « frères ». Une société qui n’est,
peut-être, pas encore arrivée à digérer sa liberté et qui reste , dans ses comportements réels et quotidiens,
partagée, écartelée même, perturbée ? ou/et ,
peut-être, une classe politique (militaires y compris), qui a conjugué et appliqué, à sa manière et
selon ses intérêts et les circonstances , les idéaux de Novembre. Entre les
deux , les « entre-deux », l’auteure (elle ,plus que d’autres,car issue
d’un mariage dit mixte (mère d’origine espagnole) , issue d’une famille traitée
de bourgeoise (les huileries Tamzali, ça vous dit
quelque chose !) par les « grands frères », dont le père a été
assassiné, à quarante neuf ans à peine,
par erreur, par un jeune « militant » qui voulait trop en
faire, avec plein de cousins et de parents engagés dans la lutte de libération
nationale….), et ses amis, de son âge ou
presque .D’où des confessions douces- amères….qui, au moins, lui ont permis de
renverser Méduse, la monstresse. Au passage , elle questionne le pays…..tout en sachant que
personne ne va lui répondre. Abdou est mort d’une crise cardiaque, épuisé, Kheirredine s’est
suicidé, Alloula a été assassiné, Kateb est mort , Boudj’ a été écarté brutalement , la cinémathèque est
toujours vide… le Cercle Taleb n’abrite plus que les rats, la Brass’ s’est transformée en restau de luxe… les
« grands frères » gèrent leurs nouvelles fortunes « bien
acquises »….et Hocine Ait Ahmed a pris de la distance avec la politique.
Un
attachement exclusif à l’Algérie, et ni les avanies, ni les échecs, ni les
erreurs ne semblent avoir Wassyla. . Bien que
toujours au plus près du cyclone, elle dit ne pas pouvoir se résoudre à dire que c’est la fin ? La
lutte continue ! Sacré (e) s septuagénaires .
Avis : Récit plein d’émotion et de triste nostalgie d’un
temps mal- aimé, pas encore digéré , mais aussi regretté. Remuera surtout les intellos
septuagénaires et plus (s’il en reste encore) : 20 ans ou un peu moins ou
un peu plus à l’Indépendance.
Extraits : « Que la politique était gaie en l’an I de
l’Algérie » (p 63), « Nous n’entendions pas les poètes. Le quotidien
était trop bruyant, et notre ennemi, c’était le colonisateur, l’impérialiste,
le Français, le néo-impérialiste, le bourgeois. Notre cinéma, c’était du
« cinéma ». Il nous donnait l’illusion d’être libres. Trompeuse
liberté « (p 71), « Le chemin qui menait de la libération à la liberté était tordu, et jamais la libération ne
garantissait la liberté (….). La libération et la liberté, même racine et faux
amis (…) . Dans mon pays, dès les premières années
(….), la libération (…) avait effrayé la liberté « ( p
116), « Dans l’Algérie indépendante, il n’y avait plus de père pour
rétablir l’ordre des choses. Le pays qui s’annonçait devant l’histoire l’avait
tué. C’était le règne des frères » (p 133), « Pauvres petits hommes,
les femmes sont le miroir dans lequel ils peuvent se voir plus grands qu’ils ne
sont » (p 137), « Nous avons accepté facilement l’image stéréotypée
de l’héroïque peuple algérien, de préférence le peuple paysan , effaçant du
même coup tous les autres peuples algériens » (p 157), « En guise de frères, il y avait ceux
qui ne possédaient plus rien (moi), ceux qui ne posséderaient jamais rien (les
paysans), et ceux qui, dorénavant possédaient tout, sans retenue, et sans
comptes à rendre. Eux aussi , étaient nos frères, nos
grands frères « (p 199)