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Roman Yambo Ouologuem - "Le devoir de violence"

Date de création: 23-06-2020 17:44
Dernière mise à jour: 23-06-2020 17:44
Lu: 1157 fois


SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN YAMBO OUOLOGUEM- « LE DEVOIR DE VIOLENCE »

 Le Devoir de violence. Roman de Yambo Ouologuem. Editions Apic , 114  pages , 350 dinars, Alger 2009

Seulement en 2003, après 30 ans d'absence dans les librairies, réédition de cette œuvre majeure de la littérature dite africaine. Un livre  (le premier, le seul….puis le silence ) qui a beaucoup dérangé à l’époque, en 1968, date de sa première parution….et bien qu’ encensé au départ, et qu’il ait obtenu le Prix Renaudot, il fut , par la suite…littéralement laminé (avec une accusation de plagiat pour mieux « tuer » l’auteur, un malien … qui ne s’en est jamais remis, se retirant de la vie publique, s’étant aperçu que les lobbies de toutes sortes et en tous lieux étaient les plus forts ) . Pourquoi tout cela ? Il démonte , tout simplement, le paisible concept de « négritude » (concept jusque là encouragé par les africanistes et des intellectuels africains proches de ces thèses occidentales)  à qui il oppose le concept de « négraille », où les masses anonymes, constamment exploitées, se voient sans cesse imposées de l’extérieur les catégories dans lesquelles elles devront penser et faire leur histoire

 

 

 

 

Le livre raconte la saga d’une dynastie africaine ,les Saïf, seigneurs féodaux africains. Saïf ben Isaac el Heït, principal héros du livre est un seigneur féodal qui règne sur une vaste province par la ruse, la terreur, l’esclavage et par la collaboration avec les Blancs qui ont misé sur lui. Tous les moyens sont bons pour se maintenir au pouvoir et opprimer la "négraille".

Bien avant l’arrivée du Blanc, Saif, (en fait, le premier colonialiste) instaura un système symbolique (axe principal, la religion, toutes les religions, Islam y compris ) et une interprétation compensatoire des souffrances terrestres (rétribuées dans l’Au-delà) pour mieux légitimer l’ordre existant, fondé sur l’esclavagisme et l’exploitation féodale, et pour en désamorcer toute remise en question.

Il va encore plus loin : Avant l'arrivée des blancs, l'Afrique n'était donc pas une terre idyllique remplie de bons sauvages, Les souverains y pratiquaient la traite et le massacre. La violence sexuelle et les traditions mutilantes d'excision et d'infibulation faisaient loi. L'Islam anesthésiait toute velléité de résistance au pouvoir féodal, sans effacer ces pratiques. D'abord attendus comme des libérateurs, les blancs n'ont fait que normaliser et pacifier la gigantesque oppression de l'homme noir.

Trois parties :  D'abord cinq siècles de barbarie en un court chapitre, meurtres et esclavagisme orchestrés par la dynastie négro-juive des Saïf, ensuite une partie, plus longue, sur la colonisation, l' époque est démystifiée à grands coups de machette. Enfin, le livre se termine par une conclusion pessimiste sur l'avenir : la violence perdurera tant que le pouvoir restera dans les mêmes mains…..L’Histoire contemporaine d’une Afrique (presque toute) indépendante, engluée (encore) dans les dictatures et les autoritarismes  lui a donné amplement raison…..à l’exception de Mandela ….et de Zeroual…les seuls (et si rares) dirigeants  à avoir quitté, volontairement et sans contrepartie, le fauteuil du pouvoir .Senghor, le créateur du concept de négritude l’a bien quitté , après avoir démissionné …..mais seulement après , je crois, cinq mandats, à un âge bien avancé et pour mieux retrouver un fauteuil ……..à l’Académie française. Françafricain, un jour, Françafricain toujours !

 

 

Avis : Une œuvre majeure de la littérature africaine. La plus grande, peut-être . Un livre dont le contenu est d’une brûlante actualité. Ecriture « renversante », mêlant récit historique et incantations magiques.  Langue riche. Ouvrage très dérangeant car démontant les pouvoirs et mettant à mal bien des concepts imposés par les africanistes et leurs « valets ». Se lit comme un grand roman africain d’ « aventures ».

Extraits : « La noblesse, après avoir guerroyé (….) avait intrigué pour la prise du pouvoir (…).Comprenant la nécessité pour elle de la stabilité , elle avait flanqué dans le pseudo-spirituel, tout en l’asservissant matériellement, le peuple (et loué) »(p 37) , « L’être du diable, c’est de n’être pas  » (p 118), « Ce qui rend un homme diabolique, c’est le fait qu’il ait perdu son âme » (p 118), « La première génération des cadres africains  -  tenue par la notabilité dans une prostitution dorée - marchandise rare, sombre génie manoeuvré en coulisse, et jeté au-devant des tempêtes de la politique coloniale au milieu de l’odeur chaude des fêtes, des compromis –jeux d’équilibres ambigus, où le maître fit de l’esclave l’esclave des esclaves et l’égal impénitent du maître blanc, et où l’esclave se crut maître lui-même retombé esclave de l’esclave… » (p 193), « Il est plus facile de soumettre un peuple que de le maintenir dans la soumission » (p 234), « L’âge d’or est pour demain, quand tous les salauds crèveront » (p 246), « Il y a peu de politique honnêtement exprimée, ou peu d’honnêtes expressions en politique » (p 248), « Le droit dans la force est caricature. La force sans le droit est misère » (p 253)