SOCIETE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN YAMBO OUOLOGUEM- « LE DEVOIR DE
VIOLENCE »
Le
Devoir de violence. Roman de Yambo Ouologuem. Editions Apic , 114 pages
, 350 dinars, Alger 2009
Seulement en 2003, après 30 ans d'absence dans
les librairies, réédition de cette œuvre majeure de la littérature dite
africaine. Un livre (le premier, le
seul….puis le silence ) qui a beaucoup dérangé à l’époque, en 1968, date de sa
première parution….et bien qu’ encensé au départ, et qu’il ait obtenu le Prix
Renaudot, il fut , par la suite…littéralement laminé (avec une accusation de
plagiat pour mieux « tuer » l’auteur, un malien … qui ne s’en
est jamais remis, se retirant de la vie publique, s’étant aperçu que les
lobbies de toutes sortes et en tous lieux étaient les plus forts ) . Pourquoi
tout cela ? Il démonte , tout simplement, le
paisible concept de « négritude » (concept jusque là encouragé par
les africanistes et des intellectuels africains proches de ces thèses
occidentales) à qui il oppose le concept
de « négraille », où les masses anonymes,
constamment exploitées, se voient sans cesse imposées de l’extérieur les
catégories dans lesquelles elles devront penser et faire leur histoire
Le livre raconte la saga d’une dynastie africaine ,les Saïf, seigneurs
féodaux africains. Saïf ben Isaac el Heït, principal héros du livre est un seigneur féodal qui
règne sur une vaste province par la ruse, la terreur, l’esclavage et par la
collaboration avec les Blancs qui ont misé sur lui. Tous les moyens sont bons
pour se maintenir au pouvoir et opprimer la "négraille".
Bien avant l’arrivée du
Blanc, Saif, (en fait, le premier colonialiste)
instaura un système symbolique (axe principal, la religion, toutes les
religions, Islam y compris ) et une interprétation
compensatoire des souffrances terrestres (rétribuées dans l’Au-delà) pour mieux
légitimer l’ordre existant, fondé sur l’esclavagisme et l’exploitation féodale,
et pour en désamorcer toute remise en question.
Il va encore plus
loin : Avant l'arrivée des blancs, l'Afrique n'était donc pas une terre
idyllique remplie de bons sauvages, Les souverains y pratiquaient la traite et
le massacre. La violence sexuelle et les traditions mutilantes d'excision et
d'infibulation faisaient loi. L'Islam anesthésiait toute velléité de résistance
au pouvoir féodal, sans effacer ces pratiques. D'abord attendus comme des
libérateurs, les blancs n'ont fait que normaliser et pacifier la gigantesque
oppression de l'homme noir.
Trois parties : D'abord cinq
siècles de barbarie en un court chapitre, meurtres et esclavagisme orchestrés
par la dynastie négro-juive des Saïf, ensuite une
partie, plus longue, sur la colonisation, l' époque est démystifiée à grands
coups de machette. Enfin, le livre se termine par une conclusion pessimiste sur
l'avenir : la violence perdurera tant que le pouvoir restera dans les mêmes
mains…..L’Histoire contemporaine d’une Afrique (presque toute) indépendante,
engluée (encore) dans les dictatures et les autoritarismes lui a donné amplement raison…..à l’exception
de Mandela ….et de Zeroual…les seuls (et si rares) dirigeants à avoir quitté, volontairement et sans
contrepartie, le fauteuil du pouvoir .Senghor, le créateur du concept de
négritude l’a bien quitté , après avoir démissionné …..mais seulement après , je crois, cinq mandats, à un âge bien avancé et pour
mieux retrouver un fauteuil ……..à l’Académie française. Françafricain, un jour, Françafricain
toujours !
Avis : Une œuvre
majeure de la littérature africaine. La plus grande, peut-être
. Un livre dont le contenu est d’une brûlante actualité. Ecriture
« renversante », mêlant récit historique et incantations
magiques. Langue riche. Ouvrage très
dérangeant car démontant les pouvoirs et mettant à mal bien des concepts
imposés par les africanistes et leurs « valets ». Se lit comme un
grand roman africain d’ « aventures ».
Extraits : « La
noblesse, après avoir guerroyé (….) avait intrigué pour la prise du pouvoir
(…).Comprenant la nécessité pour elle de la stabilité , elle avait flanqué dans
le pseudo-spirituel, tout en l’asservissant matériellement, le peuple (et
loué) »(p 37) , « L’être du diable, c’est de n’être pas » (p
118), « Ce qui rend un homme diabolique, c’est le fait qu’il ait perdu son
âme » (p 118), « La première génération des cadres africains -
tenue par la notabilité dans une prostitution dorée - marchandise rare,
sombre génie manoeuvré en coulisse, et jeté au-devant
des tempêtes de la politique coloniale au milieu de l’odeur chaude des fêtes,
des compromis –jeux d’équilibres ambigus, où le maître fit de l’esclave l’esclave des esclaves et l’égal impénitent du maître
blanc, et où l’esclave se crut maître lui-même retombé esclave de
l’esclave… » (p 193), « Il est plus facile de soumettre un peuple que
de le maintenir dans la soumission » (p 234), « L’âge d’or est pour
demain, quand tous les salauds crèveront » (p 246), « Il y a peu de
politique honnêtement exprimée, ou peu d’honnêtes expressions en
politique » (p 248), « Le droit dans la force est caricature. La
force sans le droit est misère » (p 253)