SOCIETE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- RECUEIL TEXTES RACHID MIMOUNI- « CHRONIQUES DE
TANGER…. »
Chroniques de Tanger. Janvier 1994-Janvier
1995. Recueil de textes journalistiques de Rachid Mimouni .
Editions Sedia , Alger 2016 (Stock, 1995) , 213 pages,
700 dinars.
Le monde et la vie du monde en une cinquantaine de chroniques, certes
destinées à la radio (chronique hebdomadaire à Medi
1), mais dignes de figurer dans la liste d’une des meilleurs productions
d’un de nos meilleurs écrivains .
La chronique est, il faut le rappeler, une forme d’écriture qui a donné au
journalisme le lustre qui lui manquait. Cest le genre
journalistique le plus élaboré, le plus complet , mais
aussi le plus difficile à atteindre. Car elle mobilise et réconcilie plusieurs
talents en un seul. Fraîcheur du reportage, rigueur de l’éditorial, précision
de l’agence, allégresse du roman, sagesse du philosophe, prudence (ou rage ) du politique, certitude (ou doute) du militant,
sourire (ou grimace) de la satire ...
Ceci pour la presse écrite. Pour la radio, il faut ajouter la voix qui
accroche et le ton qui rapproche .
Chaque semaine donc, Rachid Mimouni, se trouvant ,
contre son gré « exilé » en famille, pas très loin du pays, au Maroc
qui l’avait « hébergé » (il faut signaler au passage que, en ce
temps-là, rares étaient les « pays frères et amis » qui acceptaient
de (bien , durablement et dans la
sécurité ) accueillir les intellectuels et journalistes démocrates algériens
fuyant –car sans protection chez eux-
les menaces terroristes) , « sculptait le verbe », parfois,
sinon souvent à la va-vite ; un
événement d’actualité brûlante chassant l’autre.
Il arrivait, confie le Rédacteur en chef de l’époque, vers midi chaque
jeudi, prenait son courrier, allumait une cigarette et posait l’immuable
question : « Alors, quoi de neuf ? ». Il fallait, en
quelques mots, « faire le tour de la planète ».Un « point de vue
exclusif » !
Une cinquantaine de chroniques sur le monde .....et
sur l’Algérie. Sur des faits en apparence d’une extrême banalité (comme la
liberté des pigeons et les frontières ou les animaux dits de compagnie) , mais
aussi sur le terrorisme (il a été visionnaire puisqu’il avait presque prédit ce
qui se passe de nos jours) , sur le Fis et le Gia, sur Abassi Madani, Ali
Belhadj et le Pouvoir, sur l’Islamisme et ses dangers, sur le Maghreb , sur l’Etat général de l’Algérie, sur l’Education et les Savoirs,
sur le Tourisme, sur la Démocratie, sur
le Travail , sur les Intégrismes
castrateurs....Toujours avec un engagement certain....mais aussi avec beaucoup
de tristese et de nostalgie. Il est mort un jeudi du
mois de février 1995....loin de son pays....Les derniers mots de sa dernière
chronique : « Les faucilles, svastiqa et
croissant ont surgi pour nous rappeler , parfois de la
pire manière, que l’ordre de notre monde est détestable » . C’est
peut-être, tout cela, chez cet homme si sensible et si pudique, qui a précipité sa mort !
L’Auteur : Grand
écrivain de la littérature algérienne
contemporaine, né en novembre 1945 à Boudouaou et
décédé en février 1995 à Paris des suites d’un hépatite aiguë
. Diplômé (Alger, Montréal) en
sciences commerciales, enseignant à l’Inped de Boumerdès où il résidait,
et à l’Esc d’Alger. Menacé par les terroristes
islamistes, il s’était exilé , en 1993, au Maroc
(Tanger) avec sa famille. Auteur d’une dizaine d’ouvrages ,
tous à succès (dont « L’honneur de la tribu », « Tombeza », « Le fleuve détourné », « De
la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier », « La
Malédiction »...) . Obsédé par l’état
(de délabrement) de la société,
algérienne (et du monde), il s’est attaché à la décrire avec minutie. Lauréat
de plusieurs prix.
Avis : Une plume
talentueuse et lucide, une voix sûre,
indignée et ironique , un ton serein, un style
« va-et-vient » katébien .
Formidable !
Extrait : « Les
frontières sont stupides....En matière de séparation, de limites, de
frontières, je préfère la ligne bleue de l’horizon. Elle a non seulement l’avantage d’être imaginaire,
mais aussi celui de reculer au fur et à mesure qu’on s’en approche » (p
51),
Citations: « Si
la persistance des petits métiers est un signe de sous-développement
, elle dénote aussi un art de vivre » (p 15) , « A tant
vouloir ressembler aux autres, nous risquons d’y parvenir. Mais nous aurons
beaucoup perdu notre âme » (p 20),
« A raconter ce qu’on a connu, on vit plusieurs fois. En ce sens,
les conteurs, les aèdes, les griots sont les gens les plus comblés du monde
parce qu’ils ont mille histoires , et donc mille
vies » (p 23), « Les nombreux avatars de la démocratie nous obligent
à veiller sur elle avec une sourcilleuse vigilance. Car, lorsque
le meilleur est dit, il n’est pas toujours fait ;lorsque
le pire est promis, il est souvent accompli » ( p 130) , « Il y
a la confusion, souvent faite dans les
pays du tiers monde, entre pouvoir et Etat. C’est lorsqu’on parvient à établir
une nette distinction entre ces deux concepts que commence l’Etat de
droit » (p 189)