SOCIETE- PRATIQUES- AMENZOU N
TAFSUT
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El Watan/ Djamel Alilat, dimanche 1 mars 2020
Dans
la tradition, la population locale a fêté l’arrivée du printemps avec un
rituel de bienvenue où le repas et les mets consommés symbolisent
l’abondance et la richesse.
Les
villages des Ath Abbes ont connu une journée particulière riche en
effervescence et en communion avec la nature ce vendredi 28 février.
En
effet, c’est la tradition de l’Amenzou n Tafsut, le jour qui marque
l’arrivée du printemps dans l’ancien calendrier agraire en usage depuis les
temps anciens. Amenzou n Tafsut est une fête
rituelle qui marque la fin de l’hiver, saison des disettes, et l’arrivée du
printemps, la saison du renouveau.
La
tradition de partir à la rencontre de «Tafsut» est encore très
vivace dans la région des Ath Abbes ou elle se maintient dans toute cette vaste
contrée de montagnes qui se répartissent aujourd’hui sur les trois communes de Boudjellil, Ighil Ali et Ait Rzine.
Au
contraire d’autres communes et régions limitrophes où cette coutume n’existe
pas du tout. Plus on va vers l’est, en direction des villages de Bordj Bou
Arreridj et Sétif, plus cette tradition est vivace même si elle s’exprime
différemment.
Ce
qui pourrait constituer, d’ailleurs, un véritable travail de recherche pour les
chercheurs en anthropologie et sociologie.
Dans
tous les foyers, on commence les préparatifs de la célébration de l’arrivée du
printemps la veille par réunir les ingrédients nécessaires au repas
traditionnel. Les femmes préparent la pâte des beignets (lesfendj) du petit-déjeuner afin
qu’elle lève et soit prête au petit matin.
Dans
les champs et les jardins potagers, on va chercher les herbes et les légumes
qui vont garnir le repas qui va servir de déjeuner et de dîner et tous les
enfants reçoivent des corbeilles de bonbons qu’ils balancent fièrement au bout
de leurs petites menottes sur le chemin vers mère nature.
Le
repas traditionnel de l’Amenzou n Tafsut a pour but d’accompagner
le rituel de bienvenue à la saison de l’abondance et de la fertilité. C’est un
couscous de légumes et de plantes aux vertus dépuratives cuits à la vapeur et
mélangés après cuisson aux grains de couscous.
Communément
appelé Ameqfoul, Tameqfoult ou bien Tchiw-tchiw, ce couscous est
assaisonné de poudre de piments rouges et de morceaux d’achedlouh, la viande séchée et
salée et consommée avec des œufs durs et souvent accompagnée de petit-lait
aromatisé au romarin.
Chant
traditionnel
Certaines
familles tiennent encore à la tradition en allant cueillir dans la nature les
plantes nécessaires à la confection. Voici quelques-unes de ces plantes avec
leur équivalent en kabyle.
Il
s’agit de la scolyme (taghediwt), de la salsifis,
appelée également barbe de bouc (achamar ouhouli), de la thapsia (adheryis), de l’ail triquètre (vivrasss), de l’ail des ours (tarast), de la mauve (mejjir), du coquelicot (ouahrir), de la scorsonère (talma), du laiteron (tifaf), de l’ortie dioïque (tazougdhouft), de la camomille (wajjdhim gu’irssen), de la bourse de
Pasteur (tif
el merqa), de l’inule des montagnes (timâouqelt) et du pissenlit,
appelé également dents de lion (toughmas temghart).
Cette
liste, bien entendu n’est pas exhaustive. Avec une telle quantité de plantes
comestibles, médicinales et aromatiques, chaque bouchée est un véritable
médicament.
Ce
plat s’accompagne quelques fois avec du petit-lait et des œufs durs. On fait
également cuire des fèves dans de l’eau bouillante avec quelques morceaux de
thapsia ou des pois chiches. Le repas et les mets consommés se veulent une
façon de souhaiter l’abondance et la richesse.
Cette
année la célébration du printemps a été des plus timides au niveau du village
d’Ighil Ali car décision a été prise de respecter le
deuil de certaines familles frappées par le malheur. Les femmes se sont
contentées de leur traditionnelle sortie vers le site de Lekhiar.
Par
contre au niveau du village voisin de Taqorabt, c’est
l’association locale Tighra qui a pris sur
elle de chapeauter quelque peu cette fête traditionnelle en organisant une
randonnée avec les femmes, les enfants et tous les villageois désireux de fêter
le printemps vers le très beau et très bucolique site de Tigarth,
au pied de la montagne d’Azrou n Gaga.
Dans
la clairière fleurie de Tigarth, les femmes ont donné
la pleine mesure de leurs talents dans le chant traditionnel en s’accompagnant
du bendir.
Des
moments de joie et de convivialité qui permettent de ressouder les liens
sociaux, de chasser le stress cumulé dans les foyers et d’oublier que cette
année, même si on part à la rencontre du printemps, l’hiver n’a pas été au
rendez-vous.
C’est
aussi une façon de rester optimiste et de croire en des lendemains d’abondance
et de prospérité.