SOCIETE- PRATIQUES- PRÉJUGÉS
© Le Soir d’Algérie/R.S, dimanche 1/3/2020
Qu’on le veuille ou non, les préjugés font partie de notre
quotidien. Inconsciemment, soit nous les endurons, soit, au contraire, nous les
faisons subir.
Pour preuve, les petites phrases ou blagues stéréotypées «anodines» lancées
comme une boutade, liées à une région ou à la couleur de la peau,
reviennent souvent dans nos conversations. Les préjugés ont la peau dure.
Comme dit Einstein, «il est plus facile de détruire un atome qu’un préjugé» .
De la couleur de la peau à la maladie
: rien n’y échappe
Les Indiens sont forcément affamés. Les Chinois sont des mangeurs de chiens et
de chats. Les Marocains sont des sorciers. Les Noirs sont sales et fainéants…
Les Algériens font le tour du monde à leur manière en d’autres termes en ayant
des « préjugés » bien déterminés sur les étrangers. Ces derniers ne sont pas
les seuls à en pâtir car même nos compatriotes ne sont pas à l’abri. Des Algériens
sont surnommés Keita ou Amadou parce qu’ils sont noirs. Ils sont considérés
comme Algériens de seconde zone parce qu’ils n’ont pas la peau blanche des gens
du Nord. Et un des préjugés les plus répandus les concernant est qu’ils
passeraient leur temps affalés par terre en refusant les durs labeurs pour ne
pas se fatiguer. Au-delà de la couleur de la peau, les idées reçues concernent
aussi les maladies rares ou méconnues.
Dans certains cas, les préjugés sont trop lourds à porter, d’où l’impératif des
concernés à dissimuler leur maladie comme pour les épileptiques. Ces derniers,
face aux idées préconçues très répandues, vivent dans la honte et refusent de
déclarer leur maladie, que ce soit sur leur lieu de travail ou même à leurs
amis.
Les préjugés font d’eux des personnes dépendantes, incapables de travailler et
d’assumer leurs responsabilités. Ainsi, malgré les progrès de la recherche et
la qualité de vie, ils sont tenaces. Certains croient encore que
l’épilepsie est une maladie mentale, ou une crise de démence ou qu’elle est
contagieuse ; d’autres pensent qu’il est possible d’avaler sa langue lors des
convulsions ou qu’il faut absolument maîtriser l’épileptique en crise pour
l’empêcher de se blesser. Dans notre société, les femmes épileptiques souffrent
encore plus de ces stéréotypes. Rares sont celles qui ont le courage de
déclarer cette maladie aux futurs époux ou à la belle-famille de peur de ne pas
se marier. Ce n’est que lors de la grossesse qu’elle feint, comme les membres
de sa famille, d’apprendre sa maladie.
L’épilepsie est une preuve de ces préjugés aux côtés de l’hémophilie ou bien
encore le sida. Pour cette infection, ces idées préconçues entraînent
l’ignorance et, de ce fait, sa propagation. Les préjugés moraux ont longtemps
répandu l’idée que dans un pays musulman, il n’y a pas de malades atteints de
ce virus ou bien encore que les femmes mariées ne sont en général pas
atteintes.
Les handicapés sont eux aussi rattrapés pas des clichés tels que «les personnes
sourdes sont stupides», «les personnes non voyantes vivent dans le noir»,
«les étudiantes ou étudiants handicapés profitent de leur déficience pour se la
couler douce» ou encore «seuls les pauvres sont atteints de maladies mentales».
Des idées préconçues qui peuvent, dans certains cas, isoler encore plus le
handicapé et sa famille.
Les bonnes blagues des
Mozabites, Kabyles et Mascaréens
«C’est un vendeur de quincaillerie», «il n’y pas plus radin que lui», «il
vendrait sa mère pour quelques sous», «il a allumé un billet de 200 DA pour trouver
une pièce de 10 DA», autant de petites blagues pour désigner un Mozabite réputé
radin, picsou, vivant en autarcie, et très communautaire.
«Leqbayli el fayah»,
littéralement le Kabyle qui pue, «l’huile est passée quant aux Kabyles je les
ai toujours au travers de la gorge, parlant de l’huile d’olive que les
arabophones appellent communément zzit leqbayel (l’huile des Kabyles)», autant de petites
«plaisanteries» censées détendre l’atmosphère mais qui renseignent sur les
idées reçues de leurs auteurs. Le Kabyle ne travaille que dans les champs
d’oliviers et sent le bétail.
Les Blidéens, eux, sont réputés être inhospitaliers :
«Mets tes souliers devant la porte pour ne pas les chercher avant de partir »,
« le train est à 15 heures, juste avant l’heure du café ». La palme d’or
revient aux Mascaréens présumés être « idiots »
avec le nombre incalculable de blagues les concernant.
Comme quoi le préjugé qui dit : «Si tu es d’Alger, tu te moques de tout le
monde » peut se révéler vrai. Que ce soit pour ses compatriotes ou des
étrangers, l’Algérien semble démontrer sa peur d’autrui. Au-delà des préjugés
régionaux, une autre forme d’idée reçue s’est propagée. Elle concerne
simplement l’habit. Une femme portant le hidjab renvoie d’elle une femme pieuse
pure ou bien au contraire qui serait aux emprises de difficultés sociales ou
familiales. « Elle ne l’a mis que pour pouvoir sortir de chez elle ! » dit-on
pour résumer. Et dans le cas contraire, une femme sans voile donne d’elle une
image de fille frivole, sans cervelle ou bien au contraire en diapason avec son
temps. Dans les deux cas de figure, les préjugés sont tels que rares sont les
personnes qui prennent le temps d’interroger sur le choix de la tenue
vestimentaire. Cette dernière peut, entourée de préjugés, constituer un
obstacle pour le dialogue.
Preuve en est le dialogue interreligieux quasi inexistant en Algérie. «Des
chrétiens en Algérie ? Jamais !» dit-on. Et pourtant,
des familles algériennes, de souche, et depuis de longue date ayant une autre
religion que celle admise, vivent dans notre société. Elles font le choix de
taire cette différence de peur des préjugés tels que le prosélytisme vers leur
religion. Une idée reçue au même titre que les musulmans sont considérés comme
des terroristes enturbannés.
Célibataire à plus de 35 ans :
anguille sous roche
Près d’un Algérien sur deux vit en solo. Et les hommes sont les plus concernés
sans que cela soit ressenti comme un véritable malaise dans la société. Mais
quand le célibat se conjugue au féminin, la femme est entourée de préjugés dans
sa famille en particulier et dans la société en général. «Elle a mis tellement
de conditions qu’à 35 ans, elle se retrouve seule», «elle est restée pendant
plusieurs années à attendre son fiancé avant d’être abandonnée», «elle a tout
misé sur sa carrière et voilà elle se retrouve seule». C’est le genre de
phrases qui fusent lors des mariages en direction des célibataires
trentenaires, qui, généralement, ne font pas ce choix mais qui le subissent en
considérant les conditions socioéconomiques du pays. Et a contrario, les femmes
mariées sont cataloguées comme étant des femmes «soumises» n’ayant «aucune
liberté», tout le temps derrière leurs fourneaux et s’occupant du ménage. Bref,
elles n’ont aucune vie sociale et ne sont nullement épanouies.
Des stéréotypes existent aussi sur les riches qui ne le sont devenus que par la
corruption et la «tchipa» ou encore les pauvres parce
qu’ils ne veulent pas travailler. La réussite en est ainsi jalousée.
En d’autres termes, pour vivre heureux, vivons sans préjugés