SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
LYNDA CHOUITEN- « UNE VALSE »
UNE VALSE. Roman de Lynda Chouiten.
Casbah Editions, Alger 2019, 222 pages, 700 dinars
C’est l’histoire d’une jeune femme, Chahira, encore jeune fille à quarante ans, encore jolie et
bien faite...qui a de l’éducation (elle
a fait le lycée jusqu’au jour où son père découvrant un extrait de poème glané
lors des lectures a décidé de la « garder » à la maison...quelques
mois à peine avant la fin du parcours secondaire, elle si brillante et assurée
de décrocher son bac)...qui s’est mise à la (presque haute) couture .....mais qui se retrouve totalement ben déphasage avec sa
famille et sa société. Psychotique ! Pourtant, elle adore son village avec
son mélange de population et de langues , El Moudja, et ses gens....La quarantaine pour une jeune femme
dans une famille et une société conservatrice (pour ne pas dire plus) et
enfermée dans on ne sait quelles traditions.....une société qui interdit le
rêve, qui diabolise l’amour, qui considère la femme comme génitrice et
« servante » .....pas facile la vie !Presque impossible pour une femme à l’esprit
indépendant. Voilà donc une « héroïne » qui subit une double
peine :celle infligée par son état-civil de femme
célibataire et celle de femme qui « n’en fait qu’à sa tête ». De quoi
rendre « fou »......et, en fait, elle est envahie,
de jour comme de nuit, par les rêves les plus .......fous. Des démons, des
satyres, des créatures de rêve, des jeunes et des moins jeunes, des mâles et
des femelles « aux rires stupides » , un artiste, un intellectuel, tous deux ses
favoris ......des amours folâtres qui se transforment en orgies fracassantes.
Pour échapper à sa famille et à un environnement
qui ne la « comprend » pas, elle part s’installer ,
seule, dans la grande ville voisine, Tizi N’Telli, « ville de fleurs et d’épines, comme l’ajonc
qui la symbolisait », exerçant
toujours son métier de couturière....se préparant à concourir , avec une de ses
créations, à un défilé de mode....à Vienne. Quatrième..... , elle
, « l’obscure couturière d’El Moudja, un
coin perdu du Tiers Monde », face à des monstres de la mode. De quoi se
réjouir et continuer sa « harga »
légale ? Non, car ses démons ne la quittent toujours pas. Va-t-elle se
suicider – le Danube est si tentant -pour mettre fin à sa
« psychose » ? Va-t-elle repartir au pays retrouver ses racines...et
être, enfin, débarrassée de ses
démons ? A lire !
L’Auteure :Enseignante
à l’Université de Boumerdès. Auteur de plusieurs
articles et de deux livres à caractère académique : une étude de l’œuvre
d’Isabelle Eberhardt et un ouvrage collectif sur l’autorité. Premier roman en
2017 (« Le Romam des Pôv’
Cheveux », ed. El Kalima),
finaliste des prix littéraires Mohammed Dib et l’Escale d’Alger. « Une
Valse » a obtenu le prix Assia Djebar 2019
Extraits : « Cela l’avait agacée, au départ, cette condition qui exigeait
« que toutes les tenues en compétition s’inspiraient impérativement des
traditions vestimentaires des pays respectifs des participants » . Pff !Phrase
solennelle et grotesque, comme l’est le mot « Tradition » lui-même.
Un mot que, dans son pays à elle, on servait à toutes les heures de la journée
et qu’elle avait fini par haïr » (p 32), « C’est
la nuit que les fantômes s’enhardissent, c’est bien connu. C’est la nuit qu’ils
s’affranchissent du diktat de la conscience......Ils ouvrent sans façon les
portes de l’Imagination, hèlent les souvenirs, les angoisses et les mauvais
instincts et convient tout ce beau monde à leur fête » (p
48), « Elle pensait que c’était toujours vide, une salle d’attente
de psychiatre ;mais les gens avaient visiblement peur pour leurs têtes où
régnait le chaos, à l’image de tout le pays » (p 60), « Elle
savait que ce qu’on nommait folie n’était que l’appel altier de la liberté
célébrant le triomphe du Moi... » (p 79), « Non, les femmes ne
portaient pas d’ « auréoles » sur le front ; juste des rides
précoces et des fronts burinés par des années de soumission souffrances
tues » (p 141), « Chez elle, c’étaient toujours des haines et des
rancunes à n’en plus finir. Et puis surtout, chez elle, au vingt-et-unième
siècle, l’amitié entre les deux sexes restait encore une chose étrange et
suspecte. Le seul endroit où des amitiés mixtes fleurissaient sans trop de peur
et d’entraves était les réseaux sociaux .Des amitiés aussi superficielles que
virtuelles... » (p 168).
Avis : Le
drame de la femme bridée , brimée....à qui on interdit brutalement et sans
explications de droit de « réussir » ou même de rêver. Elle n’a pas tort d’affirmer que son écriture
est « surtout émotionnelle et plus énergique » ,
bien plus que « cérébrale ». « Je travaille par épiphanies,
des sortes de révélations » , confie-t-elle. Que
Dieu la comble de révélations!
Citations : « Dans
ce pays maudit, un homme délicat est forcément une tapette » (p
21), « Oui, des mots laids, des mots vulgaires, on en entendait
partout. Ça , c’était permis. Mais la musique, que
Dieu nous en préserve !L’Appel à la prière n’était-il
pas suffisant ? » (p 38), « Les jeunes filles de seize ans
resteront, même dans les pires des prisons, des jeunes filles de seize
ans » (p 45), « Dans ce pays-et peut-être ailleurs aussi – la vie
d’une femme se limitait à trois choix possibles : être une catin, une
esclave ou une nonne. A tort ou à raison, le dernier mot lui avait semblé être
le moins insultant » (p 47)