SOCIETE-
PRATIQUES- KABYLIE- CHANTS TRADITIONNELS « ICHEWWIQEN »
Assa
Tiwizi anelqedh azemour, un chant qui jadis raisonnait à travers les
oliveraies de la Kabylie annonçant un volontariat et l’entraide communautaire
pour la récolte des olives, ne subsiste aujourd'hui que dans quelque villages, perpétué par des femmes et des associations
soucieuses de la préservation de ce patrimoine culturel.
À Tizi Ouzou, même si «Tiwizi» ou la «Touiza» existe
encore à travers plusieurs villages de la wilaya, les chants traditionnels,
appelés «Ichewwiqen» ou «Izlan»,
interprétés principalement par les femmes lors de ces volontariats,
n’accompagnent plus les longues et épuisantes journées de cueillette, et les
oliveraies sont devenues tristement silencieuses.
Faisant
vraisemblablement l'exception, la région de Bouzguène
continue de perpétuer ce legs ancestral.
C’est
précisément dans le village Sahel, qui a remporté le «prix Rabah Aïssat du village le plus propre» pour l’édition 2019, à
une soixantaine de kilomètres à l’extrême sud-est de Tizi
Ouzou, que des femmes organisent encore des
volontariats en fredonnant des airs «Izlen» pendant
la cueillette des olives. Un groupe de femmes, dont Titem,
Ouiza et Djoher, se sont
donné rendez-vous tôt le matin pour organiser une Tiwizi.
Une piste agricole mal entretenue et caillouteuse mène vers le verger. Les
branches des oliviers sont chargées de fruits mûrs qui n’attendent qu’à être
cueillis. Des femmes se chargent de ramasser les fruits tombés au sol avant de
poser les filets sous les arbres à récolter.
On
installe les filets et les hommes grimpent aux arbres pour cueillir, à la main,
les olives, une opération appelée «Achraw». Des
femmes participent aussi à cette opération, et certaines grimpent aux arbres,
mais, souvent, lorsque les hommes sont présents, elles se chargent des branches
proches du sol. Le travail commence dans le silence, puis un «Achewwiq» est entonnée par une femme à voix basse, repris
spontanément et en chœur par ses accompagnatrices. El le chant se poursuit par
des refrains repris à intervalle régulier. «Ichewwiqen
nous donnent de la volonté, du courage et de la force pour accomplir le travail
sans ressentir la fatigue», a observé Djoher.
«Aujourd’hui, les gens sont pressés, ils arrivent aux champs, placent les
filets et entament rapidement la cueillette dans la précipitation, et les
chants sont devenus rares et sont interprétés à voix basse», a-t-elle regretté.
Le soleil,
une fois au zénith, réchauffe le verger et emporte avec lui le froid glacial du
matin. Les Iwiziwen (volontaires) se détendent, et
les voix des femmes, qui chantent en chœur lorsque l’Izli
(poème) est connu par les autres femmes, montent crescendo, couvrant l’ambiance
joyeuse, faite de rires et de boutades que les volontaires s’échangent.
«Par le passé,
toutes les femmes chantaient, mais, à présent, elles sont rares celles qui
chantent pendant la cueillette», ont déploré les participantes à cette Touiza. «Nous chantons juste entre nous sans élever la voix
pour être entendues par les cueilleuses qui sont dans les autres vergers, comme
cela se faisait jadis», ont-elles observé. Durant la «décennie noire», lorsque
les oliveraies étaient quasiment désertées pour cause d’insécurité, les voix de
femmes se sont tues à travers les oliveraies de la wilaya. Pendant cette
période, s’est produite une véritable cassure. Non seulement les chants
n’étaient plus interprétés, mais aussi la relève n’était pas formée et les
jeunes filles n’ont pas pu apprendre ces chants traditionnels, alors que des «ichwwiqen» sont tombés dans l’oubli, ont expliqué les
femmes de Sahel.
Même si
l’interprétation des «Izlan» est libre et n’obéit pas
à un enchaînement particulier, puisque les femmes se laissent guider par leur
humeur dans le choix des poèmes, dont les thématiques sont très variées (chants
satiriques, d’amour, de louange, de cueillette des olives), un court poème
était tout de même de mise au début de la cueillette. Le premier achewwiq est une sorte de cri de victoire. Durant ces
volontariats, il y avait une sorte de concurrence entre les cueilleuses
d’olives. Les paniers étaient suspendus autour du cou par un foulard pour
faciliter et accélérer la tâche. Dès qu’une femme remplit son panier, elle crie
«amîine amîine, ghelvagh leflani ournemîne, awer tsîine, Ouiiiii», et toutes les
femmes, qui sont dans les oliveraies avoisinantes, répliquaient en chœur «Ouiiii».
Tittem a souligné que «jadis, lors des Tiwizi,
il y avait tellement une bonne ambiance qu’on ne se rendait pas compte du temps
qui passait et on n’était pas pressé de rentrer au village. Ce n’est que
lorsque les rayons du soleil commencent à disparaître derrière la montagne que
les femmes se décident à rentrer en se donnant rendez-vous pour d’autres
volontariats». Si les chants renforcent les liens sociaux, les repas partagés
les consolident davantage, et c’est le moment fort de la journée de travail
épuisante, lorsque tous les Tiwiziwine se réunissent
autour d’un repas. Celui-ci est généralement modeste et est souvent composé de
couscous, facile à transporter et qui permet de nourrir un nombre important de
cueilleurs sans avoir à engager de lourdes dépenses. Qu’il soit aux légumes
secs ou au poulet servi sans sauce «seksou n’tassilt» ou aux légumes frais cuits à la vapeur «Tamaqfoult» et accompagné d’œufs durs, d’oignons frais, de
piments et de petit lait, ces repas consommés en pleine nature sont de
véritables festins.
L’universitaire
Ali Chouitem (université de Bouira),
qui a travaillé sur «Les chants kabyles traditionnels, typologie et situations
d’énonciation», a observé que «le chant traditionnel des femmes kabyles se
considère comme l’un des meilleurs accompagnants de leur vie quotidienne. Un
chant qui s’anime au gré des occasions différentes. En berçant son enfant, en
l’endormant, en faisant écraser son orge par le moulin traditionnel, en
tissant, en modelant l’argile, en ramassant les olives, en faisant la fête...
la femme kabyle chantait». Achewwiq, a-t-il ajouté,
«est un genre de poésie kabyle traditionnelle, souvent, chanté par les femmes
sans instruments musicaux sous une forme mélodieuse avec des longueurs d'ondes
à couper le souffle, abordant divers thèmes par des métaphores et des images,
pour exprimer un sentiment de joie ou de deuil, des rêves souvent secrets,
l’amour, la souffrance, l’espoir, le désespoir., etc.». M. Chouitem
a relevé que «Achewwiq est l’un des genres de poésie
chanté le plus représentatif de la culture kabyle traditionnelle», ajoutant que
ces chants interprétés lors des Twiza donnent de la
force et du courage aux femmes, lors de l'exécution de leurs travaux.