SOCIETE- ALIMENTATION- BOISSON- LEGMI
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Afp/reportage
Dès l’aube, les habitants de Gabès, dans le sud de la
Tunisie, se pressent pour acheter un verre ou une bouteille de legmi. Cette sève de dattier, une fierté locale, est trop
délicate à conserver pour être vendue ailleurs qu’aux abords de l’oasis.
A Gabès, un proverbe dit que « même si le legmi attire les moustiques, les gens continuent de
s’agglutiner autour ».
Très apprécié pendant le mois de jeûne du ramadan en raison de
sa forte teneur en sucre, le legmi est principalement
consommé de mars à octobre et fait souvent office de petit-déjeuner. Typique
des oasis sahariennes, cette boisson existe aussi sous d’autres latitudes. Dans
l’archipel espagnol des Canaries, elle est ainsi appelée « guarapo ».
A sept heures du matin, au rond-point Ain Slam
de Gabès, vélos, voitures et véhicules militaires se garent dans un joyeux
désordre autour de trois hommes assis sur des chaises en plastique, à côté de
leurs bidons remplis du précieux suc.
Akram y
arrive à pied. « Nous sommes nés avec le legmi :
mon grand-père et mon père en produisaient, ma fille d’un an et demi en a déjà
bu et moi, j’ai même écrit une chanson » dessus, dit en riant ce
trentenaire.
« Le legmi, c’est une partie de
notre identité. C’est quelque chose de rare, c’est un cadeau », explique
solennellement Haithem, un autre amateur de ce
nectar. « Ce n’est pas de la science, c’est de l’amitié et de l’art »
Il faut avoir la main experte et ne pas être trop gourmand pour
tirer la sève du palmier sans tuer l’arbre. Juché au sommet d’un palmier
d’environ huit mètres de hauteur, cigarette aux lèvres, Ridha Omrane Moussa découpe minutieusement l’écorce.
Ce sexagénaire, surnommé « le prince du palmier »
selon ses dires, a acquis auprès de l’un de ses aïeux la technique de
coupe et d’extraction de la sève. Il la collecte depuis ses 14 ans dans l’oasis
gabésienne de Nahal.
« Celui qui n’aime pas le palmier n’est pas gabésien.
Après Dieu, il y a le palmier », s’exclame-t-il.
Pour procéder à son extraction quotidienne, il grimpe pieds nus,
sans autre aide que les encoches qu’il a faites sur le tronc. L’objectif de la
coupe est de provoquer une réaction de l’arbre qui fait remonter sa sève.
« Il ne faut pas toucher le coeur du palmier,
autrement il meurt », précise Ridha Omrane
Moussa, qui produit environ 8.000 litres de legmi par
an.
Il possède 25 palmiers, mais les exploite chacun pendant deux
ans et demi avant de les laisser au repos pour une durée de quatre ans.
Au rond-point d’Ain Slam, la bouteille
d’un litre et demi de legmi se vend environ 2,5
dinars (0,80 euro). Outre le legmi frais, appelé
aussi legmi « vivant », il existe une
version fermentée et donc alcoolisée, le legmi dit
« mort ».
Ce breuvage est particulièrement prisé des adolescents, raconte Haithem. « Ils n’ont pas beaucoup d’argent pour être
ivres, alors (ils) paient un dinar (environ 30 centimes d’euros) et (ils) ont
du legmi mort. Mais ce n’est pas bon du tout ».
A leur âge, lui-même préparait avec des amis son alcool à partir
de legmi frais. « On le laissait fermenter
pendant quatre ou cinq heures » dans une cabane de l’oasis, se souvient ce
trentenaire.
« Chaque jour, on faisait un test. On ajoutait des herbes,
de la menthe… Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas lequel était le meilleur,
parce que personne n’était d’accord. Ce sont de très bons souvenirs ». La
conservation du legmi « vivant » est
complexe, tant il tourne rapidement au vinaigre. Des bouteilles d’eau gelée
sont donc disposées dans le bidon où coule la sève toute la nuit durant, puis
celle-ci est immédiatement congelée avant d’être versée dans un récipient au
moment de la vente.
Cette fragile chaîne du froid limite fortement la consommation
de legmi. « Même à Sfax (140 km plus au nord),
il n’y en a pas », dit Haithem. « Il est
resté bio, sans aucun produit chimique, ni ingrédient pour la
conservation ».
Pour les habitants, cette fragilité est salutaire car elle évite
que la demande ne s’élargisse, ce qui se passerait immanquablement selon eux
s’il pouvait être transporté et vendu plus loin des oasis.
« S’il y a beaucoup de demande, que va-t-il se passer ? Ils
vont couper beaucoup de palmiers et on risque de perdre les oasis »,
s’inquiète ainsi Haithem. Un autre danger guette :
« La pollution chimique des usines est une menace pour les oasis »,
estime M. Moussa.
A noter que le Legmi est produit et
consommé dans le sud algérien