SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ESSAI MOHAMED MEBTOUL- « LIBERTE,
DIGNITE, ALGERIANITE... »
LIBERTÉS, DIGNITÉ, ALGÉRIANITÉ. AVANT ET
PENDANT LE « HIRAK ». Essai de Mohamed Mebtoul, Koukou Editions, Cheraga Alger
2019, 222 pages, 800 dinars.
Un ouvrage qui s’est construit à partir d’une chronologie des
événements socio -politiques majeurs qui ont eu lieu durant six mois en
Algérie.
Un ouvrage structuré en quatre parties. Un mode ,
nous dit l’auteur, qui rend compte de la temporalité politique à l’origine
d’événements saillants avant et après le 22 février 2019 :
La première partie analyse les événements politiques importants qui
ont eu lieu avant les « événements du 22 février 2019 ». La majorité
des articles ont été écrits au cours de l’année 2018.
Globalement à travers la lecture des textes, on voit que la
violence du politique a profondément structuré la société algérienne.
« Elle s’incruste dans les différentes institutions nationales et locales
fabriquées par le politique ».
On a , peu à peu, privilégié une gestion
autoritaire de la société et le statu quo pervers.
La deuxième partie va décrire et analyser le mouvement social, en
montrant ce qui a pu être à l’origine de sa puissance et de sa force dans
l’espace public, réapproprié et réinventé collectivement par les manifestants.
Un mouvement social inédit dans l’histoire politique menée par le
bas.
La troisième partie est consacrée, de façon spécifique, aux jeunes
de conditions sociales diversifiées.....une catégorie d’acteurs ne dépassant pas l’âge de trente ans (dont
les étudiants qui manifestent le mardi) , ayant peu
connue la « guerre intérieure » durant la décennie 1990. Elle assure
le rôle dominant et déterminant dans le mouvement social. Les jeunes (des deux
sexes) apportent leurs énergies créatrices....sans tomber dans le
communautarisme fermé et d’ordre
culturaliste.
La quatrième et dernière partie analyse de façon critique les
multiples détournements du pouvoir face à la puissance du mouvement social .Un
pouvoir réel accaparé par la hiérarchie militaire et qui « opère dans
l’obstination la plus aveugle »,
restant profondément « prisonnier » de sa logique d’obstination.
Conclusion : « Il est impossible ,
quelle que soit l’issue des événements ultérieurs, de faire abstraction du
mouvement populaire qui a émergé de façon inédite, le vendredi 22 février
2019 ».....
L’Auteur : Professeur
de sociologie (Université Oran II), chercheur associé au Gras (Unité de
recherche en Sciences sociales et Santé), auteur de plusieurs ouvrages (auteur
dont le tut dernier , présenté déjà in Mediatic, « La citoyenneté impossible ? », Koukou 2018/ direction/collectifs)
Extraits : « Si
ce mouvement a un ancrage aussi profond dans la société, il le doit aussi à la
radicalité de sa revendication principale partagée par les manifestants. Elle
est centrée sur l’impératif de rompre avec les acteurs dominants du système
politique actuel » (p 11), « Avouons notre perplexité quand le
sacrifice est imposé de façon rhétorique et unilatérale. C’est peut-être
oublier que pour exiger des sacrifices des autres , il
importe que l’exemplarité vienne d’abord des puissants et des responsables . Le
sacrifice, oui !Mais à condition qu’il y ait
réciprocité » (p 49) , « Le système est loin d’être enterré. Les
pratiques sociales liées à son maintien sont encore vivaces et tenaces......La
violence de l’argent est une dimension forte qui s’est incrustée dans le
système social et politique, dans une logique d’imposition et domination qui
risque encore de contaminer certaines pratiques sociales « (p 85), «
Aucune action collective dans le monde ne peut s’opérer sans animateurs,
activistes et leaders toujours présentes, pour donner un souffle relationnel
puissant au mouvement social. Il ne peut donc qu’être conduit par des militants
aguerris aux luttes sociales qui ne datent pas du 22 février 2019 » (p
193)
Avis : De
la real-sociologie , toute chaude, comme on voudrait
en consommer tous les jours.....pour
mieux supporter (ou se révolter) notre quotidien. Elle nous réconcilie avec la recherche
scientifique vraie, celle qui sonde son peuple dans sa quotidienneté et qui ne
passe pas son temps, par facilité.....et par mode dans « la main de
l’étranger » et le « complotisme »
international, ceux qui, paraît-il, se jouent des foules toujours taxées
d’’immatures ou d’ inconscientes.
Une critique cependant : une trop grande
« sacralisation » (ou « idéalisation ») de ceux qui sont appelés « les gens de
peu » .
Très, très belle couverture !
Citations : « La
violence du politique a profondément structuré la société algérienne. Elle
s’incruste dans les différentes institutions nationales et locales fabriquées
par le politique » (p 16), « La déroute du politique est au fondement
de la crise profonde traversée par le système sociopolitique » (p 41),
« La corruption ne recouvre pas uniquement une dimension financière, même
si elle est importante, mais elle peut être aussi d’ordre idéologique, dans le
sens d’une fidélité à toute épreuve à l’égard de celui qui a permis leur
ascension socio- politique vertigineuse, dans une logique de don et de
contre-don » (p 45) , « L’usage du terme de « système »
n’est pas nouveau en Algérie. Il fait partie du langage ordinaire de la
population. Il s’est incrusté dans la façon de dire l’Autre (système), l’invisible , l’opaque où se trament les tractations entre
les gens du pouvoir, fonctionnant dans le secret entre eux et
pour eux » (p 81), « Le pouvoir est comme une tumeur, il faut une
chimiothérapie « chaque vendredi » ( une jeune fille lors des
marches, citée p 88), « Mes rêves
seront vos pires cauchemars . Nos chants vos pires réveils » ( un slogan lors des marches du Vendredi, cité p 89),
« L’histoire est énigmatique. L’inattendu, l’imprévisible et l’invisible
au cœur de toute société, jouent un rôle non négligeable dans le champ du
possible de tout mouvement social. La société est loin d’être une cruche vide
qu’il est possible d’instrumentaliser sans cesse » (p 101), « La réussite sociale éteint la colère
comme les bons repas assouvissent les appétits. Il faut de la vertu pour cultiver de la colère »( Garrigou A. « Un jeune
homme en colère », Paris 2005, Ed. du Croquant, cité p 125), « Le
dialogue a pour objet de dépasser le conflit et non de l’éliminer, parce que,
précisément, le politique se constitue dans l’antagonisme » (p 186)