Une enfance singulière. Un roman ( autobiographique?)
de Fadela M’Rabet. Editions
ANEP. Alger 2004. 117 pages, 200 dinars.
Connaissez-vous
Fadila M’Rabet, la bête
noire du pouvoir au milieu des années 60 ? Pas féministe pour un sou comme
on a voulu le faire croire à l’époque, mais ardente combattante pour le respect
et la dignité de la femme dans notre pays ! Son émission – hebdomadaire,
si je me souviens - à la radio (Chaîne III) avec son époux Tarik (Tarik Maschino, un militant engagé très tôt pour la libération du
pays) faisait un « tabac »…et ses deux livres (1965 et 1967…édités à
l’étranger, assurément… interdits de diffusion et de lecture en Algérie…et à
l’époque, ça ne « rigolait » pas avec ces choses -là) fut vite
« dénoncée » sous la pression
des lobbies conservateurs et pseudo-révolutionnaires …..et
,vite fait, interdite. Ne restait plus que l’exil, car on le devine,
être opposant politique à l’époque, ça pouvait toujours s’arranger quelque
part, mais être « opposant sociétal »….dehors ! Aujourd’hui
encore. Pour une femme, c’est encore pire.
Un exil qui,
peut-être, l’a brisé quelque part durant longtemps, car on lui a ôté une partie de ses racines
auxquelles elle tenait tant. Son enfance et ses vacances à Collo, sa jeunesse à
Skikda, sa scolarité au sein d’un milieu hostile et raciste à l’occasion , les
horreurs environnantes de la misère, de l’ignorance et de la répression (elle a « vu »
les exécutions de mai 1945) …issue d’ une famille (une immense famille de la
région où les mots culture ,authenticité et nationalisme ne sont pas vains et
creux, et dont le père était un proche de Benbadis),
une famille ouverte sur le monde mais
dont le patriarche, malgré son amour
immense pour ses enfants et son « modernisme », avait le côté Pater familias de son
temps, ancré dans certaines de ses certitudes (ou, bien plutôt, subissant les
contraintes objectives de l’époque, d’autant que le colonialisme guettait et
exploitait la moindre faille),Fadela n’a dû son équilibre, son entêtement à
réussir et sa force de caractère, face à
la « haine et la cruauté des hommes » à l’endroit des femmes , des
hommes qui , « terrorisés » (par quoi ?lire la courte mais
pertinente analyse page 105 à 113) « deviennent des
terroristes »….que grâce à une femme, sa grand-mère, Djedda, une mémé
comme n’en fait plus.
Ce n’est pas
un roman. Ce ne sont pas des mémoires. Ce n’est pas une autobiographie. Ce
n’est pas un essai. Un savant mélange. Juste un livre de souvenirs qui nous
replonge dans notre passé. Un passé dur, très dur. Mais qui, au sein de la
famille et de la société algérienne (car, les « autres » vivaient
en-dehors et au-dessus) voyait une humanité certaine. On ne vivait pas bien,
mais la vie était bonne. Ceci dit, en dehors du problème et de la situation de
la femme qui perdurent ! Mais ça, Fadila M’Rabet sait, plus que
bien d’autres, de quoi elle parle. C’est seulement ces toutes dernières années qu’elle s’est
« réconciliée » avec le pays. On la re-découvre
(avec, « Le café de l’Imam » , puis
« La salle d’attente » , les deux aux Editions Dalimen,
en 2011 et en 2012) et c’est tant mieux pour la littérature
nationale …et pour les luttes féminines!
Avis : Se lit d’un
trait…comme un roman, un roman de la
vraie vie. Et pour les plus jeunes, ils découvriront l’engagement (en faveur de
l’émancipation de la femme) et le style décidé (limpide, allant droit au but) d’un grand auteur (ou essayiste) qui , elle, sait penser, pense encore librement et sait
écrire ; un écrivain que l’Algérie
a perdu durant près de 40 ans. De plus, Docteur en biologie, maître de
conférences et praticien des hôpitaux, ce sont les « autres » qui ont
profité de ses compétences. Misère de misère !