SOCIETE- OPINIONS ET POINTS DE VUE -
JUIFS ET EUROPEENS EN ALGERIE- AMIN ZAOUI
(c) Amin Zaoui/Liberté, août 2019
Que se serait-il passé si les juifs algériens
et les Européens d’origine algérienne étaient restés ?
Pourquoi l'Algérie n'est-elle pas devenue
un pays comme l'Afrique du Sud, au nord du continent ?
L’Afrique du Sud a souffert des pratiques les plus sévères du colonialisme :
l’apartheid. Mais au bout d’une décennie, ce peuple martyrisé est parvenu à
enterrer le passé et réaliser un modèle de coexistence sociale, basé sur le
pluralisme, la diversité et le vivre-ensemble. Cela lui a permis de réaliser un
sursaut sans précédent sur les plans politique, économique, social et
culturel.
Aucun pays africain n'a vécu ce que l’Afrique du Sud a connu dans ses relations
avec le colonialisme, à l'exception de l'Algérie.
Mais pourquoi l'Algérie ne s'est-elle pas transformée en une autre Afrique du
Sud, au nord du continent ?
La classe politique éclairée qui a pris le pouvoir en Afrique du Sud après la
chute de l’apartheid a choisi une véritable réconciliation, loin du populisme,
pour construire un nouvel État avec toutes les composantes ethniques,
religieuses et culturelles. En Algérie, la classe politique qui a confisqué le
pouvoir après la guerre de libération n'a pas pu et n'était pas capable
politiquement, de créer une telle réconciliation. Pour la raison évidente que
cette classe politique algérienne qui s’est trouvée maître de la maison n'était
pas cultivée. Elle était dominée par une mentalité paysanne traditionnelle avec
une sensibilité religieuse conservatrice. Aussitôt elle a étouffé tous les
courants politiques garants de la diversité. Pourquoi l'Algérie n'est-elle pas
devenue un pays comme l'Afrique du Sud, au nord du continent ? Ceux qui réussissent
à diriger le mouvement de libération ne sont pas nécessairement les qualifiés
pour diriger la période de la construction d'un État national, et c'est le cas
du pouvoir algérien. La direction de la guerre de libération a sa logique qui
est complètement différente de celle de la construction d’un nouvel État
indépendant. Pourquoi l'Algérie n'est-elle pas devenue un pays comme
l'Afrique du Sud, au nord du continent ? C’est parce que le pouvoir politique
algérien, dès les premières années de l’indépendance, n’a pas été en mesure
d’instaurer une réconciliation juste et durable entre les composantes
ethniques, religieuses et humaines qu’elle a héritées de la période coloniale.
La première de ce capital humain est la composante européenne, c’est-à-dire les
Algériens d’origine européenne. Au fil du temps, après plus d’un siècle de
colonisation, cette composante s’est transformée en un pouvoir économique,
agricole et urbain. Elle n’a cessé de réclamer une indépendance vis-à-vis
de la métropole. Sur le plan littéraire, basé sur cette accumulation
culturelle, artistique et linguistique, le mouvement indépendantiste appelé
“Les Algérianistes” prônait l'indépendance littéraire
vis-à-vis de la littérature des salons parisiens. Après la Seconde Guerre
mondiale, un autre mouvement littéraire est né, “L'école d'Alger”, qui a
enfanté de grands écrivains tels Albert Camus, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun,
Roblès et d’autres. La violence sanglante perpétrée après la déclaration
du cessez-le-feu a fait perdre à l’Algérie indépendante un énorme capital
de savoir-faire dans la gestion de l'agriculture, de l'administration, des
villes et des institutions de l'État en général.
La révolution algérienne n'était pas l'œuvre des Algériens musulmans
uniquement; de nombreux Européens d'origine algérienne y avaient participé,
dont plusieurs étaient tombés au champ d’honneur, d’autres emprisonnés et
torturés.
En l’absence d’une véritable réconciliation, l’Algérie a perdu de cette
composante humaine : les Européens d’origine algérienne.
Pourquoi l'Algérie n'est-elle pas devenue un pays comme l'Afrique du Sud, au
nord du continent ? L'Algérie a perdu une autre composante humaine, les juifs
algériens qui vivaient sur cette terre depuis des millénaires. La population
autochtone composée de musulmans et de juifs vivait en toute harmonie sociale
et religieuse. Ils portaient les mêmes vêtements, mangeaient la même
nourriture, montaient les mêmes montures, chantaient les mêmes chansons et
jouaient la même musique.
Le décret Crémieux d'octobre 1870, qui a donné le droit à la
nationalité française aux juifs indigènes, a créé la première fracture au
milieu de la population autochtone.
Que se serait-il passé si les juifs algériens étaient restés dans le pays après
l'indépendance ? Cette question dérange, parce que nous avons produit un
citoyen qui craignait les questions, se contentant des réponses
prêtes-à-porter. L'histoire nous a appris que là où vivent les juifs, la
société est en dynamisme. La gestion intelligente des affaires publiques et
privées par les citoyens juifs algériens était incontestable en économie, art,
agriculture, commerce, finances, artisanat, médias... Comme dans les
rangs des musulmans autochtones, il y avait des harkis, dans les rangs des
“juifs”, on a trouvé également des harkis. Il n’y a pas de différence entre un
traître musulman et un autre juif, comme il n’y a pas de différence entre un
combattant juif et un combattant musulman. La religion n’est pas un facteur
déterminant dans l’amour d’une patrie, c’est l’engagement politique pour
l’indépendance qui détermine le patriotisme.
De nombreux juifs algériens ont rejoint les rangs de la révolution contre le
colonialisme français, dont plusieurs sont tombés en martyrs. Le cas de Fernand
Yveton, guillotiné le 11 février 1957 par l’armée
coloniale, en est un exemple. Par peur du pluralisme politique et linguistique,
de la diversité ethnique et religieuse, l’enseignement officiel de l’histoire
nationale plaçait les juifs algériens ainsi que les Algériens d’origine
européenne du côté du mal. Ainsi, la nouvelle génération a été soumise au
lavage de cerveau, par les programmes scolaires, par les discours du pouvoir
politique, par les discours des partis islamistes, par les charlatans
prédicateurs. Pour tous ces facteurs et d’autres, l’Algérie ne pourrait et ne
pourra jamais se transformer en un pays ressemblant à l’Afrique du Sud.