SOCIETE- ETUDES ET ANALYSES- HIRAK 22 FEVRIER- REFONDATION/EXPRESSION
PUBLIQUE - CONTRIBUTION NABNI MAI 2019
Les
chantiers de la refondation.Chantier #3 :De la liberté de rassemblement et de manifestation :
Se
réapproprier l’espace public reconquis le 22 février 2019.
Mesures pour
consacrer la liberté de se rassembler et de manifester pacifiquement : Création
d’«Espaces d’Expression Populaire Libre» et pérennisation du ‘’Vendredire’’.
Cette
contribution de NABNI s’inscrit dans le cadre du cycle de
propositions « Les Chantiers de la Refondation ». Nous traitons dans
ce troisième chantier du thème de la Liberté de rassemblement public et de
manifestation. Nous y proposons de constitutionaliser ce droit de manière
claire et sans ambiguïté. Nous appelons aussi à ce que chaque ville
institue un «Espace d’Expression Populaire Libre», où les citoyens serontlibres d’exprimer leurs points de vue et de
débattre à tout moment. Nous proposons également de pérenniser le « Vendredire » en décrétant que les parcours, places ou
avenues des manifestations du Hirak dans les
villes de plus de 200.000 habitants, soient transformées en zones
piétonnes le vendredi. Nous proposons enfin que chaque 4ème vendredi du
mois de février soit décrété Journée citoyenne des libertés démocratiques.Journée de mémoire et de célébration du début
la transition politique. Mais surtout, journée de nouvelles revendications pour
davantage de libertés démocratiques.
La journée
historique du 22 février 2019 a vu le Peuple reconquérir l’espace public
dans toutes lesrégions du pays. Les jeunes ont
bravé la peur et la répression1 et ont permis à un mouvement historique de
naitre, qui se réappropria la rue pacifiquement, tous les vendredis, ainsi
que d’autres jours de lasemaine. Avant cela, les
manifestations étaient légalement interdites dans la capitale, et interdites,
de fait, sur le reste du territoire. Ce Chantier propose quatre mesures pour ne
plus jamais retourner àl’avant-22 février, et pour pérenniser et célébrer cette
reconquête de l’espace urbain par le Peuple :
I.
Constitutionaliser et protéger le droit de rassemblement public et de
manifestation pacifique.
L’Article 48
de la Constitution de 1996 (amendée trois fois depuis) consacre, en
théorie, les libertésd’expression, d’association et
de rassemblement. L’Article 49 vient en théorie garantir le droit de
manifestation pacifique, mais soumet ce droit à une loi sensée l’encadrer. En
pratique, c’est ce cadrelégal qui a été utilisé
pendant des décennies pour interdire les manifestations et les rassemblementspublics (demande d’autorisation à la Wilaya,
interdiction totale dans la capitale, etc.).
Nous
proposons que dans la nouvelle Constitution ou dans le prochain amendement constitutionnel,l’Article 49 soit remplacé par un Article
plus explicite et plus engageant en termes de libertés demanifester
pacifiquement, en s’inspirant des constitutions les plus claires et les
plus protectrices en la
1 Pour
certains, dès le 16 février, et même avant. Nous rendons hommage à ces
pionniers anonymes.
matière, par exemple, celles du Royaume Uni, de la
Suisse, de la Tunisie, de l’Allemagne, de l’Afriquedu
Sud ou du Mexique.2 Une nouvelle formulation, inspirée de ces pays,
prendrait la forme suivante :
Le droit de
réunion, de rassemblement et de manifestation pacifique dans l’espace publicest garanti pour tous. Chaque citoyen ou groupes de
citoyens est libre d’exprimer son pointde vue
publiquement, de se réunir et de manifester dans l’espace public, sans
autorisation ni notification préalable, tant que cela est fait de manière
pacifique et non violente, sansatteinte aux droits
humains, aux libertés et à l’intégrité physique et morale d’autrescitoyens,
y inclus les agents d’autorité et de sécurité publique. Aucune restriction
ne pourraêtre imposée dans l’exercice de ces droits,
autres que celles garantissant la sécuritépublique,
la prévention d’activités criminelles ou l’interdiction de port d’arme.
II. Des
« Espaces d’Expression Populaire Libre » dans chaque ville du pays.
En
s’inspirant du « Speakers’ Corner » (Espace des Orateurs)
institué à Londres en 1872 et de son histoire (voir ci-dessous), nous proposons
que chaque ville du pays délimite un endroit spécifique en son centre (par
exemple, une place, une impasse, un espace au sein d’un parc, un escalier,
etc.), quisoit institué « Espace d’Expression
Populaire Libre ». Un tel espace est apparu spontanément près de la Place
Maurice Audin à Alger, sous forme d’un escabeau avec
l’écriteau «ركــن
الخــطـباء». Ces Espaces prendraient le nom de
l’Espace du 22 février 2019. Ils seraient :
·
• Libres d’accès à toute heure de la
journée, pour y débattre, y présenter publiquement desidées,
y faire des discours et s’y concerter.
·
• Ils seraient gérés par la société civile locale
(fiches de réservation en ligne, disposition d’uneestrade
et de bancs, maintenance et nettoyage, etc.).
·
• La prise de parole y serait réservée de manière
prioritaire aux citoyens et acteurs de la société civile. Les partis politiques
et syndicats pourraient y intervenir, mais la propriété de ces espaces et la
priorité d’intervention reviendraient aux citoyens et aux acteurs de la
société civile. Une coordination avec les écoles et lycées de la ville
permettrait une participation des plus jeunes.
·
• Aucune autorisation ni notification préalable
ne devra être déposée auprès des autorités locales pour s’y exprimer.
Aucune interdiction de prise de parole, de contrôle d’identité ou decensure ne pourra avoir lieu dans ces Espaces—en
dehors de ceux dictés par un impératifindéniable de
protection de l’intégrité physique et morale des citoyens, et de sécurité
publique.
·
• La distribution de tracts, le déploiement de
slogans, d’affiches ou de banderoles y seronttotalement
libres, à l’exception de ceux qui véhiculent des messages de haine,
d’insulte, de violence ou remettant en cause l’intégrité territoriale
du pays ou les Constantes Nationales telles que définies dans les Articles
correspondants de la Constitution.
·
• Dans certaines grandes villes, si la société
civile locale, les autorités locales ou le Fonds Citoyen pour la
Protection et la Promotion des Libertés Démocratiques3 pouvait le
financer, l’Espaced’Expression Populaire
Libre pourrait même inclure des webcams urbaines, une borne WiFi,ainsi qu’un microphone
sécurisé pour que les interventions puissent être suivies en direct surInternet. Ces « Speakers’ Corner 2.0
» seraient une première mondiale.
·
• Dans certaines villes, la société civile
locale pourrait s’organiser pour que les débats puissent aboutir à des
revendications. Par exemple, un ‘’chargé du dialogue public’’ au
niveau de chaque mairie/wilaya pourrait assister aux débats du vendredi et en
rendre compte publiquement.
2 Le
site constituteproject.org compare plus de 190 constitutions par
thème (en arabe, français et anglais).3 Voir le Chantier 2, où la
proposition d’un tel Fonds a été introduite et détaillée.
Les
chantiers de la refondation – Chantier #3 2
L’histoire
du « Speakers’ Corner » situé dans une extrémité du jardin du Hyde Park à Londres, débute en 1866, quand les
manifestations appelant à l’extension du droit de vote y étaient
violemment réprimées par la police britannique. Les marches se terminaient
toujours à cet endroit avant d’êtredispersées par la
force. Un an plus tard, en mémoire de la répression, les manifestations y
reprenaient de plus belle, avant que 150.000 manifestants réussissent un jour à
faire reculer les troupes et la policequi refusèrent
d’intervenir. Le Ministre de l’Intérieur démissionna le lendemain.
En 1872, une
loi instaure la liberté de se rassembler et de s’exprimer dans cette
partie du parc,dénommée pour
l’occasion « Speakers’ Corner ». La tradition d’expression
libre et de manifestation yperdure jusqu’à
aujourd’hui, où, tous les dimanches, des orateurs s’y expriment debout sur des
chaises. D’autres victoires des libertés démocratiques y seront gagnées, en
particulier l’été 1906, quand des centaines de milliers de
femmes y manifestèrent chaque semaine pour revendiquer le droit de vote.
La
ressemblance avec ce que nous vivons depuis le 22 février est saisissante.
L’histoire du « Speakers’Corner » nous enseigne aussi
que la ‘’marche’’ vers les conquêtes sociales et
politiques n’est jamaisachevée. L’Histoire des
revendications citoyennes est ponctuée de mobilisations populaires dans despoints de rassemblement urbains où se cristallisent et
se galvanisent la force collective du Peuple.
Le caractère
exceptionnel du Hirak, est que toutes les régions du
pays y participent massivement etd’une seule voix.
Des dizaines de villes, grandes et moins grandes, sont envahies toutes les
semaines de marées humaines pacifiques. C’est un phénomène unique dans
l’Histoire. D’où l’idée de ce Chantier qui propose des « Speakers’
Corner » dans toutes les villes du pays.
III. Pérenniser
le « Vendredire » : décréter que les parcours et
points de rassemblement du Hirak dans plusieurs
villes soient institués zones piétonnes ouvertes tous les vendredis.
Les marches
du vendredi se succèdent sans se ressembler entièrement : les revendications
évoluent augré de l’évolution de la situation
politique, la réponse des autorités varie de conciliante à provocatrice (en
particulier dans la Capitale), et la colère alterne avec la joie de s’exprimer
librement. Mais on yretrouve systématiquement leur
caractère pacifique, souriant et unanime dans le rejet du système politique
actuel et de son personnel. Elles se caractérisent aussi par une mixité
extraordinaire en termesd’origine sociale des
manifestants, de leurs âges, de leurs sexes et de leurs orientations
politiques.
Afin de
maintenir cette magnifique occasion de voir notre société se retrouver, dans
toute sa diversité, à s’exprimer chaque semaine dans la rue autour d’un
idéal commun, nous proposons de pérenniser le « Vendredire
» en décrétant que les parcours, places ou avenues des manifestations
du Hirak dans les villes de plus de 200.000
habitants, soient transformées en zones piétonnes le vendredi. Nous ne
suggérons pas que tous les vendredis soient jours de manifestation, mais que
cette liberté de serassembler, de s’exprimer et
d’échanger (même sans objectif politique particulier) soit maintenue,
particulièrement les vendredis après-midi.
IV. Une
« Journée citoyenne des libertés démocratiques » : le
4ème vendredi du mois de février.
Nous appelons
à ce que le 4ème vendredi du mois de février soit célébré
comme Journée citoyenne des libertés démocratiques, commémorant le début
du Mouvement du 22 février. Une occasion de faire le point sur les acquis
réalisés, mais surtout une occasion d’identifier les nouvelles
revendications de libertés démocratiques qui resteront à conquérir.
Le Collectif
NABNI, avril 2019.