SOCIÉTÉ- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-NOUVELLES
LEÏLA ASLAOUI HEMMADI- « RAISON GARDER »
Raison garder. Recueil de nouvelles de Leila Aslaoui-Hemmadi. Editions Media-Plus, Constantine, 2018, 800
dinars, 171 pages
Onze nouvelles. Des vérités sur le quotidien et, pour faire « passer la pilule » (car
la vie quotidienne est évidemment parsemée de difficultés ; les roses
étant rares sur le chemin), de l’humour. Pas
l’humour gros et gras,poussant
au rire déplacé, mais un humour discret
, presque imperceptible mais soulageant, ne serait-ce qu’un instant assez
court, les esprits des lecteurs ayant subi les dérives du phénomène
bureaucratique.
Onze nouvelles qui racontent (en fait cela
ressemble étonnemment à des reportages agrémentés de
fiction.....pour rendre encore plus réel le problème.....comme dans le (bon) cinéma) la vie de tous les jours du citoyen
...de la classe moyenne. En fait , celui qui va
souffrir le plus car, durant des années ,avant sa retraite par exemple , il
s’était habitué à voir ses problèmes plus ou moins réglés grâce ou en raison de
(à ) sa position professionnelle.Ou, par madame et/ou
les enfants.
La couleur est d’ailleurs annoncée avec la
première nouvelle : un ancien haut-fonctionnaire, très lève-tôt (de par
son éducation et son respect pour ses fonctions longtemps exercées) , nouveau retraité, mais « pas en retrait »,
toujours fier de son Dpri (Discipline, Ponctualité,
Rendement, Intégrité) se retrouve
,brutalement, plongé dans l’univers bureaucratique, celui des services de
l’état-civil d’une Apc.... . Un calvaire. Seule la
rencontre avec un ancien condisciple de fac’, devenu élu du peuple, lui
permettra d’obtenir i.m.m.é.d.i.a.t.e.m.e.n.t ses
« papiers » .Désormais, il sait que « au quotidien, tu
peineras.....les enfants duperas et..... des adultes,
te moqueras »
Le reste est tout aussi instructif : le nikab devenu
l’oxygène des jeunes filles dans une « baladyia
islamia » ainsi qu’ une arme pour se venger des
« hypocrites » ; le
« mariage à tout prix » de la fille unique (pharmacienne) avec......
un portier de supérette, devenu le chouchou de la future
belle-maman ; le juge trop tolérant
(mais pas chez lui et encore moins avec
son épouse ) et « expéditif » ;
le rôle et le poids du « Sms » dans les
relations sociales ; l’absentéisme ;
la pension alimentaire ; le monde de la nouvelle « bourgeoise » à travers le comportement de deux femmes
issues de lieux innommables ; le
« lobby » des habitants de cités « sales » ; le mariage « raté »....d’une jeune
fille tombée sous le charme d’un « guide » se disant « authentique
musulman ».
Pour moi, la plus .....reposante
(sic !) est celle consacrée aux « morts (qui) rient aux
éclats »..... Les confessions et
observations post-mortem de quelqu’un ayant subi un « court-circuit électrique de la
boîte cranienne » ; en fait, la bonne « recette » pour ne pas (ou plus) avoir peur de la mort !
L’Auteure :
Née à Alger, licenciée en Droit et diplômée en Sciences Po’ (Université
d’Alger). Magistrat, ministre de la Jeunesse et des Sports, puis de la
Solidarité nationale, démissionnaire pour exprimer son désaccord avec les pourpalers Pouvoir/ex-leaders du Fis en 1994. Son époux, Reda, chiriurgien –dentiste , est
assassiné en son cabinet en octobre 1994. Plusieurs ouvrages
, des prix....et une oeuvre, « Bahidja », adaptée au théâtre en 2017 par Ziani Chérif-Ayad
Extraits :
« Rire pour pouvoir affronter un monde qui déboussole et désoriente. Rire
pour ne pas désespérer. Rire pour survivre......Rire pour ne pas pleurer »
(Note de l’auteure, p 10), « Pourquoi les femmes de mon pays sont-elles
devenues des « hadjate » et des « yemma », des « khalti » ?
Pourquoi donc les hommes sont tous des « khouya »
(frères) ou, pire, des « chriki » (associé ) ?»(p 27) ,
« Face à la complicité entre une mère et sa fille, l’homme le plus averti
et le plus vigilant est totalement démuni » (p 78)
Avis : De
la bonne littérature....au bonheur des dames. Se lit d’un seul trait, et
parsemé de piques humoristiques....mais avec
délicatesse.
Citations : « L’acte
d’écriture ne revêt aucun sens s’il n’est pas partagé » (p 10) , « Avec Dieu, j’avais compris ,depuis fort
longtemps, qu’il y avait toujours moyen de s’arranger » (p 47),
« Pour être admiré et flatté dans mon pays, il faut être mort. Mort »
(p 61), « Le populisme fait
dégringoler à une allure vertigineuse, les « affreux » bourgeois.
Tandis qu’il permet à ceux qui crèvent d’envie de devenir des bourgeois de
grimper. Grimper jusqu’à oublier d’où ils viennent et qui ils sont. Ou, plutôt, qui ils étaient » (p 83), « Dame
justice ne badine pas avec la ponctualité. Tôt , on la
dérange. Tard, on l’offense .....Dame justice est la seule de s’arroger le
droit d’avoir une notion élastique du temps» (pp 86-87),