SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
MALEK HADDAD- « L’ELEVE ET LA LEÇON»
L’élève et la leçon. Roman de Malek Haddad (préface de Mouloud
Achour) Editions Média Plus, Constantine 2008 (Editions René Julliard, Paris
1960), 650 dinars, 160 pages.
Un homme. Une femme. Un père, Idir Salah. Sa fille
Fadila. Lui est médecin ,
installé, depuis bien longtemps en Provence. Bien « intégré ».
Traumatisé par les effets de la 2è guerre mondiale qu’il a vécue. Déjà se
sentant bien vieux, « à cheval sur deux époques, sur deux
civilisations » et aux certitudes inébranlables mais fragiles.
Elle, étudiante, aime Omar , un étudiant en
médecine. Ils s’aiment et un enfant est attendu. Elle n’en veut pas ....elle le
voudrait .....mais l’Algérie est en guerre contre l’occupant et Omar est
recherché en raison de ses activités politiques .
Le père acceptera-t-il de faire « partir » l’enfant, car signe d’une révolte qu’il a vécue. La demande, il la comprend, mais il ne
comprend pas l’insulte ( !), lui qui se voyait déjà grand-père et presque
beau-père. C’est, en fait, là, le nœud de la problématique de l’engagement
social et politique (lui qui avait abandonné femme et enfant après sept années
de vie commune)
Temps de guerre. Temps de fureur. Temps des choix. Temps de
sacrifices !
Mais, aussi , conflit de générations.
L’une , « périmée », vivant dans un monde
« sécurisé », prisonnière de la « pénombre » , avec des
« états d’âme » romantiques ou dépassés, qui continue à se poser et à
poser des questions. L’autre , la nouvelle qui cherche
, d’abord et avant tout, et à tout prix, à se libérer en libérant le pays de
l’occupant colonialiste.
L’Auteur : Constantinois (né le 5 juillet 1927) . Un père
instituteur. contemporain (et ami) de Kateb Yacine et
de M’hamed Issiakhem, (ils
formeront un « trio infernal » selon Mohamed Harbi) un des pionniers de la littérature nationale
francophone, auteur de quatre romans, d’un essai et de deux recueils poétiques.
Une œuvre traduite en près d’une quinzaine de langues. Durant la guerre, il
effectuera plusieurs missions (à l’étranger) de conférencier et de diplomate au
nom de l’Algérie combattante. Après l’Indépendance, il mènera une carrière de
journalisme culturel tout particulièrement dans le quotidien An Nasr (de Constantine) de 1965 à 1968. Directeur de la Culture au ministère de
l’Information et de la Culture avec le ministre M-Seddik
Benyahia (1968-1972) , puis
Ces au sein du même ministère (chargé de la production culturelle en
français). Co-fondateur et animateur de
l’Union des écrivains algériens (Sg de 1974 à 1976) . Un seul regret pour tous ses admirateurs : il avait
décidé de ne plus écrire en français...qu’il considérait désormais comme sa
douleur et son exil. Décédé à Alger le 2 juin 1978.
Extrait: « Tu es malheureuse parce qu’il serait
anormal, voire indécent d’être heureux quand on est Algérien, ou tout
simplement quand on a du cœur. Je connais des Algériens qui sont heureux. Mais
ceux–là sont des amnésiques........... Ils ont le geste sûr des complexes
ignorés. Ils ont le verbe haut et ne doutent de rien ,
les malheureux !Voyez d’ailleurs les ânes comme ils sourient......Même en
français, ils sont contents de braire » (p 53)
Avis : Malek Haddad, un maître de l’écriture.
Construction claire mais parfois difficile d’accès. Il faut apprendre à le
connaître pour l’apprécier. Troisième roman. Pas le plus simple. Pas le plus
clair.
Citations : «Le malheur réunit bien plus que la
joie » (p 33), « Les veillées
sont plus chaudes lorsque l’hiver menace » (p 33) , « Rien ne vaut
un orphelinat pour raconter la nostalgie des familles « (p 33), « Le
bonheur est un accident » (p 33), « C’est un phénomène typiquement
algérien : l’intellectuel musulman appartient à toute la communauté »
(p 104), « Je hais l’Histoire parce que l’Histoire complique tout .
Dans sa forme subalterne, servile et servante, la politique essaie, tente,
pauvre petite gamine, de la conduire par le bout du nez» (p 127)
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Avis : Doit se lire (même si vous l’avez
déjà lu) pour en vouloir encore beaucoup plus à l’auteur d’avoir été
« récupéré » par le système en devenant (haut-)
fonctionnaire, puis d’avoir arrêté d’écrire des romans en français à partir de
1968 , à cause d’une « histoire de langue arabe », car il aurait
produit des textes encore plus magnifiques. « Il est mort de ne pouvoir
écrire » écrit le préfacier . Et, ceci, en
fin de compte, a arrangé beaucoup plus la littérature franco-hexagonale et ses
auteurs qui n’avaient donc plus de grand
concurrent. N’a-t-il pas fallu 178 ans (132 ans de colonialisme et 46 ans
d’Indépendance pour qu’un écrivain Algérien (et Arabe au sens géographique du terme ) entre à l’Académie française (Assia
Djebbar en 2005) ?
Phrases à
méditer : « Le drame du langage est
là : c’est un mur », « J’ai vouvoyé, on m’a dit : tu . Je suis un
Arabe, c’était devenu un métier », « Le destin ,
quand il porte un képi, il faut s’en méfier deux fois. Ou alors être très fort
pour lui déplaire et le plus fort pour lui désobéir », « Je t’aime.
En arabe, c’est un verbe qui dépasse l’idée », « Il faut mourir dans
son lit pour avoir l’idée de prier » et « On ne dit pas d’un chrétien
qu’il fait du christianisme lorsqu’il est vraiment croyant ? Parce que les
chrétiens dans l’ensemble ne se prennent pas pour Jésus-Christ »