SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANCH- ROMAN
MALEK HADDAD- « LE QUAI AUX FLEURS NE REPOND PLUS »
Le Quai aux fleurs ne répond plus. Roman de Malek Haddad (préface
de Nedjma Benachour) . Editions Média Plus, Constantine 2008 (Editions René
Julliard, Paris 1961), 650 dinars, 173
pages.
Un roman où se côtoient le passé et le tragique .. ....avec
une chaîne de relations impossibles, comme l’écrit Aragon, poète et ami de
Malek Haddad. Heureusement , pourrait-on dire, car, « c’est
dans la douleur que naît le chant ». Et quel chant que ce roman !
Un roman dont l’exil est beaucoup plus l’auteur que le cadre.
Paris, Constantine. La France, pays colonisateur ; l’Algérie pays
colonisé. La guerre qui ne dit pas encore son nom.....en tout cas à Paris .
L’histoire de deux amis, l’arabe : Khaled ben Tobbal,
écrivain et poète indépendantiste , toujours « supporté » par les
autorités coloniales, en exil à Paris.....laissant (abandonnant ?)
derrière lui Ourida (l’encore jeune et toujours belle
épouse) et les enfants. Simon Guedj, avocat , enfant
de Constantine, époux assez mal compris de la belle Monique, elle-même fervente
(un peu trop ?) admiratrice de Khaled. Monique qui ne supporte plus
« les confidences de la vulgarité générées par une intimité de plus ne
plus insupportable et usant l’amour ». Simon était devenu gros et
« petit » et Monique l’insupportait .
Voilà donc le génial, le beau et l’enigmatique
Khaled qui apparaît et c’est la découverte d’un autre homme, d’un autre monde,
d’une autre vie.
Entre-temps, la belle Ourida ne répond plus aux lettres . Elle file le parfait amour avec .......un officier
parachutiste. Khaled ne l’apprendra que plus tard, très tard, par la presse
(après l’exécution des deux « tourtereaux », l’officier para et la
femme infidèle ).
Fin d’un amour trop idolâtré. La fin d’un homme qui, peut-être
, bien que très, trop patriote n’a pas, à force de trop sacraliser ses
sentiments, et de trop respecter ceux des autres.....finira par ne choisir, une
fois encore, que la fuite en avant....dans la mort
L’Auteur : Constantinois (né le 5 juillet 1927) . Un père
instituteur. contemporain (et ami) de Kateb Yacine et
de M’hamed Issiakhem, (ils
formeront un « trio infernal » selon Mohamed Harbi) un des pionniers de la littérature nationale
francophone, auteur de quatre romans, d’un essai et de deux recueils poétiques.
Une œuvre traduite en près d’une quinzaine de langues. Durant la guerre, il
effectuera plusieurs missions (à l’étranger) de conférencier et de diplomate au
nom de l’Algérie combattante. Après l’Indépendance, il mènera une carrière de
journalisme culturel tout particulièrement dans le quotidien An Nasr (de Constantine) de 1965 à 1968. Directeur de la Culture au ministère de
l’Information et de la Culture avec le ministre M-Seddik
Benyahia (1968-1972) , puis
Ces au sein du même ministère (chargé de la production culturelle en
français). Co-fondateur et animateur de
l’Union des écrivains algériens (Sg de 1974 à 1976) . Un seul regret pour tous ses admirateurs : il avait
décidé de ne plus écrire en français...qu’il considérait désormais comme sa
douleur et son exil. Décédé à Alger le 2 juin 1978.
Extrait: « Il est étrange que peu d’amitiés aient
résisté à l’expérience conjugale. Chacun rentre chez soi. On relègue ses
souvenirs dans l’album des vieilles photographies. L’amitié devient presque une
erreur de jeunesse, un enthousiame péjoratif
, un laisser-aller de mauvais goût. Une fois marié, on n’a plus d’amis,
on a des relations » (p 101)
Avis : Dernier (et plus fameux) roman de Malek Haddad.
Triste à en mourir. La guerre, l’amour, les trahisons......un mélange assez
douloureux. Aujourd’hui, pour emprunter à l’auteur lui-même, Malek Haddad
peut « apparaître comme un écrivain
qu’alors que le siècle est à Pierre Boulez ». Heureusement, de la belle
musique !
Citations : « Lorsqu’une femme devient injuste, c’est qu’à
coup sûr elle perd du terrain » (p 23), « L’exil, c’est une mauvaise habiture à prendre » (p 27), « Un patriote ne
fait pas la patrie, mais la patrie permet les patriotes » (p 39),
« Il n’y a pas de goutte d’eau d’eau qui fasse
le vase. Il faut plusieurs gouttes d’eau pour faire débordre
le vase, c’est tout » (39), « Il n’est rien d’être un homme. Rien,
absolument rien. Mais être humain, voilà le difficile, voilà l’essentiel »
(p 43), « Une amitié qui s’effrite, c’est le passé qui tombe en ruine,
c’est le temps qui dévore la mémoire » (p 100), « Le printemps
ne dure pas très longtemps en Algérie. Sa mission consiste surtout à annoncer
l’été » (p 147)
------------------------------------------------------------------------------
Note : Le deuxième roman , présenté dans Médiatic
en date du 31 janvier 2012, est « Je t’offrirai une gazelle »,
préfacé alors par Yasmina Khadra (« son
disciple »). Media-Plus. Constantine 2008 (1ère édition :
en 1959 chez Julliard, Paris), 169 pages, 400 dinars
.Qu’écrivions nous alors ?
« C’est
certainement le plus grand écrivain francophone de son temps
. Quelle écriture, quelle sensibilité, quelle poésie…et quelle ubiquité
.Une qualité, mais aussi, en 1958, alors que la guerre de libération nationale
battait son plein, une déchirure pour un tel homme, partagé entre ce qu’il
était, ce qu’il voulait être et surtout ce qu’il devait être.
Tout cela
est retranscrit avec pudeur et netteté, dans une sorte de culpabilité qui n’ose
pas dire son nom, à travers le « héros » (en est-t-il vraiment
un ?), partagé entre sa réalité parisienne, bistrotière et germanopratine,
terne , un « univers élémentaire », passant des bras d’une allemande
jouisseuse instantanée de la vie à ceux d’une femme française, celle-ci, bien
mûre, mais qui pense ou parle trop avant
de passer à l’acte (une réalité qui est , en fait, une véritable prison, plus
ou moins dorée!), et ses rêves d’évasion
autour d’une histoire d’amour entre un routier saharien , amoureux des
grands espaces et des dunes sans entraves, et une très jeune targuie, un amour
pur comme l’air du désert, à la
recherche de liberté . L’échec assuré dans les deux dimensions !
Heureusement, et il n’est jamais trop tard pour bien faire (il y en a qui ont
bien attendu le 19 mars 1962 pour se réveiller !), il y a l’Ami qui vous
révèle une « autre réalité » , celle du combat libérateur , un combat
où le Peuple n’a que faire de poésie, de rêve et d’ histoires d’amour . Il
« se fiche de la gazelle promise , des histoires
d’harmonica, du vin rosé et du prince-barman » . Il choisit alors de ne
plus « être un bâtard » et de ne pas publier son roman. Tout en
sachant que « les amis qui pensent que les histoires de gazelles ça
n’intéresse pas un peuple qui se bat, ont peut-être raison. Peut-être à tort.
Car, en fin de compte, c’est bien pour des gazelles et des harmonicas que l’on
se bat . L’opportunité n’a toujours pas de
talent ».