SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
RACHID BOUDJEDRA- « PRINTEMPS »
Printemps. Roman de Rachid Boudjedra. Barzakh Edtions, Alger 2014, 301
pages, 950 dinars
Quel livre ! Du Boudjedra comme on n’en avait pas lu depuis bien longtemps (en fait , je le relis et le présente pour la seconde fois pour
se sortir un peu d’une atmosphère littéraire assez morne) . Décidemment, le talent littéraire (prouvé,
cela s’entend) se bonifie avec le temps….et « flamboie » quand
il retombe …….en jeunesse.
Une histoire boudjedréenne comme il se doit. La
femme, des femmes, l’indépendance, la solitude, l’amour ,
le sexe, encore du sexe, l’ angoisse, la liberté, la vie, la mort….
Déjà, rien que le corps de l’histoire est ,en lui-même, toute une
philosophie de vie : Une jeune femme
, Teldj, née en hiver 84 dans les Aurès enneigés ,
enseignante universitaire (donc autonome financièrement) , intellectuelle (car
elle pense ), libre (elle n’aime pas les hommes …qui, dans son enfance, à
l’âge de sept ans, ont tenté de la violer et les terroristes islamistes ont
«égorgé » au sein de la clinique où elle travaillait, sa mère , une sage
-femme ; l’égorgeur étant un résident devenu par la suite professeur et doyen paradant ) et libérée
(elle aime les femmes, jeunes et mignonnes de préférence ) , sportive ,
ancienne championne olympique du 400 m haies (un parcours d’obstacles très
difficile en raison des haies multiples et de la nécessaire précision des
gestes, conjuguée à la rapidité ) avec, aussi, pour autre spécialité, la course de vitesse....et très belle et mordue
de Chine où il y a séjourné en tant qu’enseignante . Pas facile de la rattraper et encore moins
de l’attraper !
L’auteur ne manque pas de multiplier des digressions explicatives parfois
pour ce qui concerne les personnalités ou les périodes historiques citées …….et des digressions
critiques pour expliquer, à sa manière et selon ses idées politiques. Qui ne
les connaît , tant sa franchise est proverbiale
et claire, défenseur d’une révolution collective et pourfendeur des « printemps
arabes » - dont l’Octobre 88 d’ Algérie-
derrière lesquels il n’y voit que complots et autres manip’extérieurs
. Tout y passe : le
pays, le système , l’actualité nationale et internationale,la
gouvernance, les gouvernants, les dérives
…. , ce qui rend parfois difficile le suivi et compréhension de l’histoire principale.. Dans tout cela, ne mâchant pas ses mots, l’islamisme, le
terrorisme, le capitalisme, le « système », le machisme, tous en prennent pour leur grade !
Boudjedra ? Romancier, bien sûr. Mais
aussi, sociologue, psy’, historien,
politologue ......Une véritable Encyclopédie vivante et en perpétuel
mouvement. Ça va, ça vient, ça repart, ça revient. La jouissance littéraire, la
vraie, la grande, c’est ça .Peut-être ?
L’Auteur : Est-il encore nécessaire de la
présenter ? Né en 1941 à Ain Beida, ayant étudié la philosophie et les mathématiques.Poète, romancier, essayiste, scénariste,
auteur d’une œuvre plus que considérable, traduite dans le monde entier
Avis : Surtout ne le manquez pas. Difficile à lire (c’est
du Boudjedra, pardi ! avec ses mots, ses petites
(ou très longues) phrases qui se mélangent, s’enlacent, se pénètrent, ses
échappées, ses mots excessifs et ses jugements tranchants, mais à lire, car
c’est une de ses plus belles œuvres, peut-être la plus aboutie, qui montre aussi que Rachid Boudjedra reste le plus grand, le plus fort , le meilleur de
la littérature nationale …et plus (+).Avec « la Répudiation » ,on a
eu les mémoires romancées d’un jeune
homme, d’un homme en devenir .
Aujourd’hui, on a les mémoires (sous forme de roman et une histoire-alibi) d’un
homme-citoyen accompli
Extraits : « Mon
pays est si douloureux….mon pays c’est une histoire effroyable et une
géographie interminable. Mon pays souffre de la malédiction coloniale,
cinquante ans après son indépendance. Encore aujourd’hui,….Mon pays, c’est une
plaie ouverte !Une malédiction post-coloniale » (p 104), « Un homme qui s’immole
c’est horrible ! Mais pas suffisant » (p 105), « Lorsque ce sont
les autres qui fabriquent vos propres concepts, c’en est fini. Foutu. C’est
la mort. Ce que nous sommes : des non-êtres.
Des absents. Des fantômes » (p 146), «Les Arabes ,
eux aussi, ont été d’horribles colonisateurs en Espagne, en Italie, en
France, et ailleurs. Ils ont été parmi les premiers esclavagistes dans
l’Histoire de l’Humanité. C’est qu’ils ont commencé tôt les Arabes, dès le XIVè siècle. Mais , eux aussi ont
perdu toutes leurs colonies » (p 183), « Il n’y a pas un
peuple, un pays , un état, une nation qui n’ait été un jour raciste, guerrier,
colonialiste, esclavagiste et impérialiste ! Cruellement. Sadiquement. A
commencer par les Arabes et les musulmans » (p 272)
Citations : « L’Histoire
est répétitive, têtue et incorrigible » (p 73), « L’Histoire est une
saloperie (…). Faite plus par des salauds qui la confisquent que par les
peuples qui la paient de leur vie….Les peuples sont pauvres. Les peuples sont
naïfs. Les peuples sont souvent trop dociles, trop passifs ! Incultes.
Crédules. Veules aussi !Lâches aussi ! » ( p 106), « Une dépression individuelle ne fait pas une
révolution collective » (p 106),
« Lorsque ce sont les autres qui fabriquent vos propres concepts,
c’en est fini. Foutu. C’est la mort. C’est ce que nous sommes : des non-êtres. Des absents. Des fantômes... » (p 146),
« Un pays (l’Algérie) trop grand et trop petit.Trop
riche et trop pauvre. Trop naïf et trop malin. Trop généreux et trop avare. Qui
s’aime et qui se trahit. Qui se fascine et qui se répugne. Qui souffre et
qui ne souffre pas .
Passionné et indifférent. Placide. Brûlant. Glabre. Glacial. Passsionnant, quoi ! » (p 164), « Il arrive
toujours un moment dans l’Histoire des hommes où tout devient crucial,
essentiel, vital, indispensable ;et qu’il n’y a
alors qu’une seule façon de s’en sortir : la mort. C’est-à-dire une sorte
de mort dans les deux sens : que l’on donne et que l’on reçoit » (p
246)