SOCIETE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN MUSTAPHA BENFODIL- « BODY
WRITING.... »
BODY WRITING.VIE ET MORT DE KARIM FATIMI,
ECRIVAIN (1968-2014). Roman de
Mustapha Benfodil. Editions Barzakh , Alger 2018, 800
dinars,245 pages
Années 90. Décennie noire qui deviendra assez
rapidement rouge....de sang. 2014 : Un homme meurt dans un « accident
de voiture » , percuté de plein fouet par un
« chauffard », sur la route de
Bologhine......près de la « Maison hantée »
(une zone, dit-on, maudite et contaminée par les djinns). Un de plus, tant on s’était habitué, avec le
temps et les « accidents », les disparitions et les tueries, à ne plus compter les morts et encore moins à
chercher à savoir le pourquoi du comment.
Or, il ne s’agit pas de n’importe qui. En tout cas pour son épouse, Mounia , une
photographe de presse rencontrée en avril 2002.
Lui, c’est Karim Fatimi,
un astrophysicien, de renom...militant
progressiste (un activiste, disent-ils !) et écrivain ....Presque
un extraterrestre.... « Un Petit prince faussement naïf demandant la
route de la Démocratie » . Toujours la tête dans
l’espace. Un jour , les policiers lui demandant
ses papiers , lors d’une « lecture sauvage », il leur tend, le plus naturellement du
monde ...un poème.
Pour la veuve, un long voyage commence ......à la re -découverte d’un homme
dont elle pensait tout connaître. Refaire connaissance. Savoir ce qu’elle
représentait réellement pour lui. Lui qui connaissait tout de son âme et de son
corps.....un corps sur lequel il lui arrivait d’écrire son amour pour
elle : Body –writing !
D’abord, en rangeant tout le
« bazar » de son bureau .Une très grande masse de documents
stockés dans un petit espace. De la poussière et de tout un peu. Il y a même
des tickets de train datant d’au moins 20 ans, des calendriers hors du temps,
des manuels scolaires, des dessins d’enfant, des post-it
collés partout, des poèmes, des mégots, des romans inachevés, des essais, des poèmes
. La mémoire d’une vie parallèle mais, seulement, en partie partagée.
Elle feuillette, elle lit...presque dans un état second.....mais plus elle lit , moins elle le (re) connait.
La grande découverte, le journal intime
du défunt. A lire davantage « comme
un document social, extérieur à ma peau » : son récit d’Octobre qu’il
avait vécu en tant qu’étudiant à Babez (comprenez Bab Ezzouar/Usthb).....
Un trésor d’informations....d’autant qu’il est suivi de bien
d’autres :le vécu de la religion en 92, le terrorisme islamiste et
les attentats meurtriers et sauvages, la lutte
anti-Fis et anti-terroriste implacable
(il habitait Boufarik, un lieu assez chaud) , son dépucelage presque raté, ses
amours passagères, pour la plupart ratées, la naissance de son unique fi-fille
adorée......mais aussi une vie
« cachée ».....comme ce fameux 28 novembre 1994 (les pages du journal ont disparu, déchirées) , un
« enlèvement » évoqué mais non décrit , « du pipi de chat dans
un bain de sang national ». Peut-être le moment fort, le plus
traumatisant, d’une vie déjà bien chargé de cauchemars. Ajoutez-y un début de
cancer des testicules. ....Une maladie physique ajoutée au cancer métaphypsique, de
quoi vous mener droit vers l’accident de la circulation ?
La découverte de la personnalité intime de
l’être aimé que l’on croyait connaître, mais aussi, par la suite. En fait, il
« était déjà mort au moment où elle l’avait récupéré ».
Des passages à d.é.g.u.s.t.e.r.... :
. Sur
« la déclaration de patrimoine » (p 22 à 25)...et d’autres et
d’autres, comme « nous voulons un repas complet, avec l’abolition de la
torture comme entrée, la liberté d’expression comme plat de consistance et , pour le dessert, une nouvelle Constitution » (p
128)
Bref, un homme qui veut « vivre en
citoyen et mourir en citoyen et ressusciter en citoyen si résurrection il y
a » , en conservant tous ses droits universels,
« à travers ciel , dans la République d’outre-tombe ! »
.
Sur la « galère » algérienne, celle qui continue avec un peu plus
d’épreuves chaque jour (pp 217, 218 et
219)
L’Auteur : Né
en 1968 à Relizane. Matheux de formation mais ayan,y aussi un bac lettres.
Journaliste- Grand reporter (El Watan) ,il est l’auteur d’une œuvre protéiforme : nouvelles,
poèmes (dont « Cocktail Kafkaïne », en
français et en anglais), pièces de théâtre.....et de trois romans (dont
« Archéologie du chaos amoureux » en 2007déjà présenté in Mediatic)
Extraits : « La vie est vraiment un miracle, et si un embryon pouvait tenir
un journal de son voyage intérieur vers notre monde, il sortirait au neuvième
mois avec une encyclopédie des mystères de la création dans ses mains » (p
26) , « Le musulman, croyant aller au paradis dans sa géographie
spirituelle, se retrouvera dans l’enfer de toutes les autres confessions selon
leur découpage territorial de la Vérité » (p 160), « Dieu ? je ne sais même plus qui est ce type. Depuis le temps qu’on
le supplie de nous envoyer une bombe atomique et qu’on en finisse une bonne
fois pour toutes !Ma foi, même Lui n’a rien
compris au Big Bordel Algérie ! »(p 202), « Ah ! l’Algérie,
cette « AlChérie » comme tu l’appelais, que
nous haïssons amoureusement dans une improbable passion oxymorique »
(p 217),
Avis : Mustapha
Benfodil est , certainement,
l’écrivain (pas seulement, car il l’est aussi , dans ses reportages, en tant
que journaliste) le plus déconcertant tant il « perturbe » par ses
sujets, son style et ses idées. Un roman
plastique ? Non, un livre é-(p)lastique. « Une
grande histoire ramenée à hauteur d’homme ». Il n’apporte pas uniquement des informations.
Il ne se suffit pas des descriptions de situations ou d’états d’âme. Il va au
fond des choses....une sorte de psychanalyse de ses personnages. Et, surtout,
pour le lecteur pressé, ne pas trop s’en prendre à certaines de ses façons
d’écrire...Sa lecture est un tout.....le texte, le mélange des langues, les
poèmes, les dessins....du sens partout. Encore faut-il être sensible et , surtout, vouloir se débarrasser de tous les
traumatismes collectifs « qu’on n’a pas su dire au moment où ils se sont
produits »
Citations : « Porté à une certaine échelle (le savoir extralucide ?) , le savoir devient un fardeau » (p 15), « Nekteb (j’écris)/Nekdeb (je
mens) : j’écris donc le mens, ou bien je mens donc j’écris ? »
(p 37), « L’écriture, la vraie, est un attentat à la pudeur. Elle est
fatalement rétive aux bonnes mœurs » (p 48), « Le Pouvoir est un
puissant aphrodisiaque. Il permet à des politiciens impuissants de mieux baiser
leurs peuples » (p 84), « La religion est l’exploitation de l’homme
par l’âme » (p 85), « Quand une fille s’adonne aux joies des sens,
c’est une catin ; quand un homme se livre aux mêmes jouissances, ce n’est
qu’un hédoniste » (p 85), « 5 octobre, le 5 juillet du Peuple »
(p 109), « Il ne suffisait pas de
posséder la langue pour écrire ;encore fallait-il être
« possédé » par la langue » (p 232), « Le deuxième facteur
de mortalité le plus fréquent après l’ennui : un accident de voiture
« (p 237)