SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
RECUEIL DE TEXTES BOUDJEDRA RACHID- « CHRONIQUES D’UN MONDE
INTROUVABLE »
Chroniques d’un monde introuvable. Recueil de textes de Rachid Boudjedra. Editions Frantz
Fanon, Tizi-Ouzou, 2018, 200 pages, 600 dinars.
Un recueil de 37 chroniques (classées en 5
thèmes : Société/ Philosophie/ Histoire/ Littérature/ Peinture) publiées
conjointement ou séparément , entre 1975 et 2015, dans
différents journaux et périodiques algériens et étrangers.
Un régal. Aussi bien au niveau de l’écriture
et du style qu’à celui des idées. Un régal pour ceux qui sont déjà
totalement acquis au personnage (car, il ne faut perdre de vue que, depuis pas
mal de temps - sinon toujours- Rachid
Boudjedra, aimé et/ou haï, admiré ou envié,
est un « incontournable » du paysage littéraire et
culturel national....et international ) et à ce qu’il professe. Car, Boudjedra, en
dehors de ses romans, pour la plupart à succès, son talent ne laissant pas
indifférent, est ,
aussi (surtout ? en ces temps de communication de masse), un
« écrivant » de première. Il est arrivé à combiner le génie de
l’écrivain au talent de journaliste (chroniqueur et critique) .Il a su mélanger ,harmonieusement, ses connaissances philosophiques
(celle-ci englobant bien des sphères : sociologique, politique,
culturelle, psychologique, scientifique....) aux réalités de la vie
quotidienne...une réalité dans laquelle il est resté plongé en permanence. On
le croise bien souvent, au marché, en « Kachabia » et un couffin
traditionnel à la main, faisant ses
courses.
Revenons au livre : Tout y
passe !Tout se lit avec facilité tant la pensée boudjedréenne, que l’on
croit compliquée alors qu’elle seulement complexe car multiple donc trop riche, est volontairement « couchée »
sur papier pour être facilement comprise, rapidement, par (presque ) tous.
Certes, il faut seulement le connaître
pour l’accepter..ou le rejeter....mais sans haine.
Société : Dix-sept chroniques. La plus grosse part du
gâteau : La vie, le malaise artistique et culturel, la nouvelle
mythologie algérienne, la sociologie en lambeaux, les femmes, la langue, les
querelles liguistiques, la modestie, ....
Un texte qui retient l’attention, la mienne
en tout cas :le malaise artistique et culturel.
Pour l’auteur, la vie artistique algérienne est profondément marquée par la
manière dont on a enseigné la littérature, la peinture ou théâtre. « Non
seulement cet enseignement a été catastrophique mais aussi prédateur
.... » Et, seule « la musique savante aux origines séculaires (toutes
les formes de l’andalou, du malouf et du châabi) a échappé au saccage pour des
raisons évidentes et historiques .. »
Philosophie : Six chroniques. Du court. Du lourd : Le courage
d’El Halladj (« Il a cardé la conscience religieuse de l’époque et chamboulé
les concepts des théologiens paresseux ») , l’avant-gardisme d’Abou Alaâ
Al Maâri (« le fondateur de l’existentialisme et de la philosophie du
pessimisme dès la fin du IIIè siècle de l’Hégire ») , la vie et la mort
d’Ibnou Al Moukaffaâ (l’auteur de « Kalila oua Dimna », un livre dont
« on a essayé de vider sa substantifique moelle politique , philosophique
et esthétique , pour le simplifier et en faire un livre pour enfants ») ,
la transgression (et le délire en littérature) , Mouhiaddine Ibnou Arabi, le
théoricien rigoureux et patient « qui va revivifier l’Islam »,
......et , pour ne pas déroger à la règle, l’érotisme en Islam.
Histoire : Six chroniques : La littérature et la guerre, le piège
colonial, le néo-colonialisme....
Littérature : Six chroniques : La mythomanie du texte
littéraire, la modernité des Mille et une Nuits (le chef d’œuvre de l’humanité
et selon Proust le premier roman qui ait jamais été écrit... « le livre de la subversion totale et de l’émancipation
absolu....un livre qui remet en question déjà
l’histoire ».... « le livre du tout et
du rien. Le livre du plein et du vide.
En un mot, un livre absolu ! ») , le roman,
entre objectivité et subjectivité, le livre en fragments détachés (une sorte de
petite confession intime de l’auteur)....
Enfin, la Peinture avec deux chroniques : Les Algéroises selon
Picasso (un peintre « qui avait un sens politique aigu de l’histoire et
une vision humaniste du monde ») et
La passion maghrébine ou le Ferdaous selon Henri Matisse (un peintre sur lequel
les arts musulmans ont exercé l’influence la plus profonde sur sa pratique
picturale).
L’Auteur : Né
en septembre 1941 à Ain Beida (Aurès). Etudes en mathématiques et en
philosophie.1959, il rejoint le Fln. 1962 : Licences....Enseignant au
lycée de Blida et à l’ Université, militant politique
(Pca puis Pags) romancier,
journaliste-chroniqueur, poète, dramaturge, « personnage contrasté et
extrêmement sensible, suscitant la polémique » (A. Cheurfi) .....une
œuvre considérable (en français et en arabe) ,
traduite dans le monde entier. Premier ouvrage publié en 1969 : « La
Répudiation » (écrit en réalité en 1965).....durant « l’ère du
soupçon à l’égard du langage poétique, du récit complexe ......Il régnait
une sorte d’islamisme frotté, paradoxalement , de
jansénisme..... J’étais mis au ban des traîtres qui ont
« répudié ! » leur pays »... »
Extraits : « Il est notable qu’actuellement dans notre pays, chacun est à
recherche- difficilement- d’un projet politique qui ne cesse de nous échapper
par rapport à une société en mutation et en difficulté auto-conflictuelle et
quelque peu ébranlée par sa fascination pour la modernité et son attirance
pour le passéisme » (p 17), « S’il y a (..) un malaise très palpable
dans le pays, c’est parce que , dès le départ, l’enfant, l’adolescent et le
jeune n’ont aucune orientation pour cultiver chez eux le sens esthétique, le goût
du beau » (p 22), « Tous les faux semblants, les reculades, les
jongleries et la mauvaise foi flagrante des hommes politiques face à
l’histoire ne changeront rien au fait que « l’homme est un loup pour
l’homme » (Hobbes) . Et il le restera encore longtemps. Très, trop,
longtemps ! »( 147),
Avis : C’est tout
Boudjedra, le vrai, l’intellectuel, le philosophe à la précision mathématique....et
dont chaque écrit a du « sens ».....comme il l’entend, bien sûr. Un livre
de chevet qui aidera à mieux comprendre sa et n(v)otre
vie. Incontestablement, le plus grand de nos écrivains ........même s’il
n’est pas (toujours) le plus aimé. Il est vrai qu’être admiré lui suffit !
Citations : « La société algérienne actuelle a tendance plus que la précédente
à fonctionner d’une façon superstitieuse et à remplacer l’attitude strictement
religieuse par une attitude empreinte de religiosité ! Là est la
différence. Toute la différence. Peut-être-contradictoirement- la rançon de la
modernité ? » (p 31), « Eviter les explications, c’est créer un
mythe » (p 36), « Une mentalité ne se démantèle pas en quelques
années, quand elle a mis quatorze siècles à se cristalliser, à se durcir et à
se scléroser » (p 41), « L’intellectuel est un humaniste qui
fonctionne dans l’incompatibilité totale avec
le pouvoir politique en place quelle que soit sa philosophie ou son
idéologie » (p 51) , « Pour créer , il faut casser et concasser la
langue et créer son propre dictionnaire, son propre lexique. Et, c’est ce qui
fait le vrai écrivain et qui le différencie de l’ « écrivant »
(p 73) , « Le dévoilement de la sexualité dans la littérature algérienne
est en train de devenir une nécessité parce qu’il s’agit de sortir au jour et à
la clarté cette part de nous si enfouie » (p 117), « En faisant
« bouger » les choses, les hommes et les stéréotypes, la littérature
donne une lecture de l’inconscient et du conscient collectifs à travers la
remise en cause des faits sociaux les plus têtus et les plus répandus chez tous
les peuples. C’est cela la subversion de la littérature » (p 125),