SOCIETE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
ALBERT CAMUS- « LA PESTE »
La
Peste. Roman de Albert Camus
(présenté par Tayeb Bouguerra) . Enag Editions, Alger 2012
(livre de poche) , 250 dinars, 349 pages
L’histoire se passe à .................Oran.
Les années 30-40. Quartier eupropéen. Immeuble du
centre-ville. Un médecin......qui rencontre, tôt le matin, dans l’escalier, le cadavre d’un ......rat.
Il y en aura d’autres. La peste est là, mais personne n’y croit
, chacun ne voyant que « midi à sa porte » . Et pourtant, elle
est bien là. Le roman est publié en 1947
juste après la seconde guerre mondiale, donc écrit certainement à partir de 45.
Comme dans « L’Etranger » (1944) , le premier
roman , qui y voyait un (seul) Arabe ,sans nom .....assassiné,
dans « La Peste », il n’y en a aucun. Même pas un pestiféré, rien
qu’un seul, ne serait-ce que pour le principe, Oran se trouvant en Algérie bien
que peuplée majoritairement d’Européens . Un
racisme conscient ou inconscient, comme l’avance le préfacier ? Pas si
sûr, sa lecture étant assurément subjective.... celle d’un Algérien considérant
que tout écrit sur le pays ne doit être centrée que sur son peuple et
aucunement sur l’occupant....ce dernier ne devant avoir que le rôle de
« méchant ». C’est oublier que Camus qui, en fait, n’a été
« condamné » par nos critiques post 62 (on excusera les prises de
position et les analyses produites durant la guerre de libération nationale
comme celles de Ahmed Taleb Ibrahimi ou de Malek Haddad, analyses et critiques plus
politiques que littéraires, basées sur une « petite phrase » dite
lors d’une cérémonie pleine d’émotion (Prix Nobel), petite phrase reflétant
l’amour pour la mère (qui n’en a pas aujourd’hui comme hier ?) .
En fait, si dans « L’Etranger », il
laissait poindre, certes avec prudence (mais pouvait-il faire autrement ?)
, son horreur devant l’ « inexistence » des Arabes (lui qui a si bien
ressentit et décrit leur misère et leurs
conditions de vie au début des années 40), dans « La Peste », il
a, en fait, « décrit » et « condamné » la naissance et la
montée, et la difficulté de le combattre, du fascisme et du nazisme (la
« peste brune ») et du racisme , sous couvert , d’abord, du
pétainisme, au sein de la société européenne d’Algérie. Ne pas oublier
qu’Oran était la ville la plus
européanisée d’Algérie et les Arabes vivaient en marge et en dehors de la
cité.
L’Auteur : Né
à Drean, ex-Mondovi, (près de
Annaba, ex-Bône) en novembre 1913. Fils d’un ouvrier agricole et d’une
femme de ménage d’origine espagnole. Elevé (à Belouizdad,
ex-Belcourt) par une grand –mère autoritaire et un
oncle boucher.....il y « apprend la misère ». Lycée, football, bac en
1932, militant communiste (35-37) , études de
philosophie, petits boulots, animateur de théâtre , mariage, militant dans un
mouvement de résistance en 1942, journaliste....et ouvrages (« L’Etranger
« , « Le Mythe de Sisyphe »...) . . Mésentente avec les
surréalistes (A. Breton) et les existentialistes (J-P Sartre).Octobre 57, 44 ans : Prix Nobel....dédié à son instituteur de Cm2
« qui lui a permis de poursuivre ses études ». Mais,le
même jour, une réponse publique
« malheureuse », en liaison avec la « guerre
d’Algérie », sur le choix entre la
mère et la justice.Une attitude décrite comme
« douloureusement circonspecte et régressive » (A. Cheurfi) , « scandaleuse » selon le
préfacier.
4
janvier 1960 : il se tue dans un accident de voiture. Il avait emprunté le
véhicule à son éditeur, Gallimard . Dans une de ses poches ,
il y avait un manuscrit inachevé et .....un billet de
chemin de fer. Albert « pas de chance » ! Il a tout
« esquivé » sauf une « petite phrase » qui l’a
« effacé » de la mémoire algérienne.......puis un arbre ,sur la
route de Paris, qui l’a tué.
Extraits : « Puisque
l’ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on
ne croie pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans
lever les yeux vers ce ciel où il se
tait » (p 152), « Chacun la porte en soi, la peste, parce que
personne , non, personne au monde n’en est indemne. Et (qu’) il faut surveiller
sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction
, à respirer dans la figure d’un autre et à lui coller l’infection. Ce
qui est naturel, c’est le microbe. Le reste.....c’est un effet de la volonté et
d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter » (p 288)
Avis : Une
œuvre qui, après « L’Etranger », avait confirmé un talent remarquable
....à tous points de vue. Derrière le romancier, il y a le journaliste, le
grand reporter, l’homme engagé...... « solitaire » et
« solidaire » . Engagé auprès des siens mais
sans cécité idéologique. Seulement « partagé » avec un amour
immodéré, « aveuglé » et « aveuglant », pour celles (la maman et la terre) qui l’ont
enfanté. Je cite au passage une phrase de Carlos Fuentès :
« Je ne connais pas mon père ; seulement ma mère....Ils (les Mexicains) ne savent jamais qui est leur
père ; ils veulent connaître leur mère, la défendre ,
la racheter..... ». Doit-on lui en vouloir, aujourd’hui encore ?
N’est-ce pas trop cher payer !
C’est aussi, une œuvre qui nous marque par
sa contemporanéité.....avec toutes les (anciennes, mais) nouvelles
maladies....le choléra (choléra , dites-vous !) ,
l’incivisme, l’intolérance religieuse, le racisme, l’extrêmisme,
le terrorisme........des « pestes » aux couleurs diverses et aux
dégâts multiples
Citations : « Personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des
fléaux » (p 53) , « Il vient toujours une heure dans l’histoire où
celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort » (p
156), « Le bien public est fait du bonheur de chacun » (p 106),
« On se fatigue de la pitié quand la pitié est inutile » (p 110),
« Cette épidemie (la peste) ....chacun la porte
en soi,....parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. Et il
faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être
amené , dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d’un
autre et à lui coller l’infection.....L’honnête homme, celui qui n’infecte
presque personne, c’est celui qui a le
moins de distrcations possible .Et, il en faut de la
volonté et de la tension pour ne jamais être distrait »( p 288), « Le
bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, (qu’)il peut rester
pendant des dizaines d’années endormi
dans les meubles et le linge, (qu’) il attend patiemment dans les chambres, les
caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses , et (que), peut-être, le
jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste
réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse » (p
349)