COMMERCE- BIBLIOTHEQUE D’AL MANACH-
ROMAN BOUZIANE BEN ACHOUR – « SABRINEL »
Sabrinel. Roman
de Bouziane Ben Achour. Anadar Editions, Oran
2018, ???? dinars,
209 pages
Roman d’amour ? Roman d’aventure ?
Tout simplement le roman d’une vie.........dure et triste ....à en mourir.
Dure, car elle raconte (de manière assez
réaliste, pour ne pas dire bien crue) toutes les difficultés rencontrées par un
jeune , né en pleine guerre de libération, le père éloigné dans un camp de
concentration, n’ayant pas fréquenté assez longtemps l’école (encore faut-il
préciser que ceux qui la fréquentent bien longtemps rencontrent, eux
aussi, bien des problèmes), sommé par sa mère – qui « débordait de sens
pratique avant de déborder d’instinct maternel » - de se frotter
rapidement au monde (c’est-à-dire devenir un « bras à trimer ») ,
ayant le sentiment d’être de trop.....se retrouve à quinze ans faisant le
travail d’un jeune homme de vingt ans, avec des employeurs « peu
regardants sur le nombre d’années, mais excessivement exigeants sur le
rendement ».
Il est vrai que le prénom dont il avait été affublé (rejeton
d’un premier lit et arrivé avant terme) n’était ni courant ni couru: Saber
Inel (« Celui qui sait
attendre...gagne »). Bref , un prénom prétentieux .....et
qui, inconsciemment, laisse le Destin « travailler » à sa
place....jusqu’à cessation de la vie. En fils obéissant au cordon, il va suivre
à la lettre ce qu’allait lui dicter le destin.
La frontière algéro-marocaine
étant bouclée, il va devenir « arracheur-rouleur de fils barbelés »,
un « passeur chevronné .....un métier qui fait autorité », un
« courtier des frontières »,
facilitant le travail des trabendistes et des contrebandiers
. Un spécialiste recherché et chouchouté par les « barons » , ce qui lui permet de bien vivre.
Un premier mariage qui échoue
rapidement ; l’épouse étant infidèle à sa « roue de secours
temporaire ». Des secondes épousailles , un mariage...d’amour (devant le cadi
seulement). La fille d’un « moudjahid » assurant avoir été ancien
premier « aide de camp du Colonel Lotfi ».......un personnage suffisant , pervers et haïssant tous ceux qui ne sont pas ou ne pensent pas
comme lui.
Patatras ! Les frontières sont
rouvertes. La catastrophe, car plus besoin d’ « arracheur-rouleur de
fils barbelés » et de « passeur ». Plus de ressources financières...... plus
d’argent......des dettes auprès d’ « amis » qui ne vous veulent
pas que du bien.........plus de femme aimante car devenu un « raté sans
recours incapable de chercher pitance ailleurs» ....et plus de logement.
Une vie de chien qui s’annonce.
Le
seul ami qui reste est un ancien « pafiste »,
Jaja Al Yabess, licencié de la police en raison de sa trop grande proximité
( ?) avec les « passeurs », « marqué par les
frontières » , grand buveur de pastis (« il
avait un serpentin à la place du gosier » ) et gros fumeur de kif,
fréquentant les cimetières.....Plus paumé que lui, tu meurs !
Une histoire somme toute banale: celle de
l‘échec social d’une bonne partie de la jeunesse qui, « trompée » par
ses aînés ou mal orientée ou abandonnée, vit l’instant présent
, presque déshumanisée, à la recherche de la réussite matérielle à tout
prix, de la jouissance physique, et oublieuse, dans la foulée , du minimum de
valeurs élementaires. Plus dure est la chute !
Une histoire tragique, racontée par l’auteur
« comme si vous y étiez », à sa manière, celle qui mélange hamonieusement l’écriture classique, celle journalistique
et celle ......du théâtre. Avec, bien souvent des pointes d’humour. On rit
jaune, mais on rit....un peu .
Aussi, une histoire qui pose le problème de plus en plus lourd (pour les
populations des deux côtés plus que pour les Etats eux-mêmes), de la frontière terrestre algéro-marocaine , fermée depuis si longtemps.....sur des coups de
tête et qui semble durer par entêtement. Voilà qui exacerbe ,
en « ces lieux où la rapine était manifeste », « les petiteses de l’homme, ses faims inapaissables,
son opportunisme imbattable et ses coups
foireux... »
Enfin, une histoire qui brise des tabous,
comme celui de l’homosexualité féminine, que l’auteur nous présente (et
décrit)...... en termes choisis, car on a vu bien pire ailleurs. Heureusement ? Chacun –selon ses
penchants -appréciera.
L’Auteur : Journaliste (« La République
», « El Djoumhouria »,
« El Watan » (Chef de bureau régional) et, actuellement, directeur du quotidien « El Djoumhouria »/Oran) , romancier (une dizaine de titres
dont , aux éditions Anep, en 2016, « Kamar ou le
temps abrégé ») , dramaturge (plus
d’une quinzaine de pièces dont « Yamna » en 2015, produite par le Tr de Tizi Ouzou et mise en scène par
Sonia, et « Hbil Soltane »
en 2018 ,produite par l’association El Murdjadjo
d’Oran) , essayiste (trois essais sur la musique) , Prix Mohamed Dib 2012......
Extraits : « Socialement , je n’avais prévu aucune espèce de protection
publique car je n’ avais jamais cotisé à la Sécu. En fin de compte, j’ai
réalisé que j’étais porteur d’une fausse richesse. Tout pour la façade et rien
derrière » (p 73), « Avec ou sans sueur, l’argent légiférait, faisait
loucher, creusait les différences : tout obéissait au billet de banque,
même les faiseurs de loi » (p 103), « Le passeur n’a pas pour
vocation de juger les consciences. Il fait ce que lui ordonne sa conscience à lui.Le passeur ne marche sous la bannière d’aucun parti car
sa fonction est, avant toute chose, un service public de la
contrebande... » (p 138
Avis : Ouvrage
quelque peu déprimant. De la mal-vie, du mal-être.De
la vie matérialiste. De la vie ratée .....Très (Trop ?) réaliste. Du vrai,
du dur !
Citations : « Quand on appartient à la sphère des gens qui grandissent pour
rien, on n’anticipe pas, on ne doit pas inventer un citoyen de demain mais
produire un travailleur d’aujourd’hui » (p 11), « Un homme
aujourd’hui, c’est comme une voiture qu’on peut, à l’occasion, essayer »
(p 45), « L’isolement est maladie vengeresse, il ne vous laisse
aucune issue, vous bouffe l’espace » (p 58), « C’est dur d’accueillir
la défaite après la fringale » (p 59)