SOCIÉTÉ- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- RÉCIT KAMEL
BENYAA- « MES SOUVENIRS AU PASSÉ COMPOSÉ... »
Mes souvenirs au passé composé. Sidi Aïch : 1952-1962. Récit de Kamel Benyaa. Lazhari
Labter Editions & Edition Pixal
Communication, Alger 2015. 500 dinars, 201 pages.
Il a vécu jusqu’à l’âge de quinze ans à Sidi Aïch. Des moments fabuleux avec une adolescence heureuse mais, aussi , les pires moments de la guerre avec une enfance
malheureuse. Passer, sans transition,des
ténèbres à la clarté , par le bon vouloir de la politique et des
événements, a de quoi traumatiser. Heureusement, aussi, de
s’attacher encore bien plus à ses racines et ses souvenirs.
L’enfance malheureuse, c’est « l’état de
siège », la grève des huits jours, les
déchirures, un père recherché en cavale, la souffrance de la maman devenue,
contre son gré, cheffe de famille , les
ratissages et les maisons « visitées » par les militaires et les
harkis, les récits de torture, la peur
quotidienne sur le chemin de l’école,
des événements marquants (comme celui du « Puits Chabour » où, en septembre 1957, 35 citoyens arrêtés sont précipités dans un
puits en ensevelis sous des tonnes de terre)
9 août 64, c’est le départ sur Alger.Un autre monde, une autre vie, mais toujours
accompagné par la ville de son enfance. Une ville et une région qui lui ont
beaucoup donné et auxquelles il essaye , aujourd’hui,
de « rendre la pareille » en signe de reconnaissance pour les
instants de bonheur (réels ou imaginés) récoltés.
Bien sûr, la ville et la région, re-visitées, bien après l‘indépendance, ne sont plus ce qu’il avait vécu et gardé. Donc, une
visite douloureuse et une sensation d’être étranger chez soi. Faut-il s’en
étonner ? C’est un peu le cas de la plupart des petites villes et gros
villages du pays qui, avec l’exode rural, ont changé de fond en comble, contenu
et contenant. Démographie galopante et urbanisation débridée ont accéléré le
délabrement de l’environnement. Le chapitre (cinquième partie)
, intitulé « Le pèlerinage » (en 2010) est tellement noir (pas
noirçi mais juste) ! Tout est méconnaissable.
Tout a été tranformé au bon plaisir des appétits et
au mauvais goût des décideurs du moment.
La Soummam n’est plus ce qu’elle était et son eau, devenue rare, est, de
plus, polluée......et on aimerait bien savoir ce que sont devenues les deux
magnifiques stèles féminines sculptées par......Paul Belmondo, qui ornaient la
place centrale. Démontées, mais emmenées où ? Mal exposées dans un musée,
oubliées dans une cave , chez un particulier ou,
alors, « exportées » ?
L’Auteur : Médecin allergologue, natif de Sidi Aïch
(Bejaia) .Témoin et victime collatérale,
entre 1956 et 1960, des affres de
la guerre de libération nationale
Extraits : « La
France coloniale avait ses supplétifs parmi les autochtones. Elle les choississait minutieusement pour en faire des soutiens
indéfectibles pour la mère patrie. En contrepartie, elle leur accordait des
biens et des privilèges.......Ben Ali-Chérif était une figure emblématique de
la commune mixte. Il régnait en seigneur et par la terreur dans la région sud
de Sidi-Aich.... » (pp 58-59) , « Les
années de vie communautaire ont forgé l’esprit du Français d’Algérie qui se
confectionna un personnage narcissique moulé par la magie du pouvoir et le
climat de la colonie « (p 85), « L’armée française vaincue pendant la
Seconde Guerre mondiale a gardé une fascination vis-à-vis de son bourreau nazi
. Elle veut se hisser à hauteur de son vainqueur d’hier.Pour
cela , elle adopte et pratique ses méthodes de
tortures, ses jugements expéditifs et ses exécutions sommaires....Une revanche
sur l’histoire qui transforme l’élève humilié en tortionnaire Ss » (p 155)
Avis : Un
récit qui ne nous rajeunit pas, mais
un récit de vie comme on aimerait
en voir tant et tant ...pour réconcilier les citoyens, surtout les jeunes , avec leurs racines......et pour que les
« vieux » n’oublient pas d’où ils viennent. Excellemment écrit !
Citations :
« L’oubli est l’enfant indigne de l’ignorance et de l’ingratitude des
hommes » (p 7), « Le berceau est la première lettre du récit de
la vie et le tombeau en est le point
final » (p 16), « Les belles choses ne sont enfantées que par la
douleur » (p 44), « La saison des amours est l’été, et l’hiver
est celle de la haine. Les saisons intermédiaires sont plus mitigées, l’une et
l’autre jouant l’indifférence » (p 49), « La France a quitté
l’Algérie en laissant un héritage qui ne nous était pas destiné » (p 146),
« La dynamique moderniste créée par la révolution et par une école
performante a duré une dizaine d’années après 1962.Puis, elle s’est essouflée pour disparaître complètement devant les coups de
boutoir d’un pouvoir autoritaire et du parti unique » (p 179), « La
crise d’identité se pose de façon cruciale. L’Algérien ne sait plus qui il est.
C’est le marasme culturel dans une société en déroute » (p 182)