COMMERCE –ENQUETES ET REPORTAGES- COMMERCE INFORMEL –SUD ALGERIEN
© Liberté, lundi 26 janvier 2015/Hafida Ameyar (Extraits)
La collecte, destinations de transit et prix des produits à la frontière algéro-malienne ont été les principaux thèmes abordés dans cette étude qui recommande de proposer des solutions autres que sécuritaires pour régler le problème.
Alors que la frontière algérienne avec le Mali est fermée officiellement, depuis le 14 janvier 2013, la contrebande des produits fait rage, entraînant des flux importants. C’est l’une des conclusions dégagées par l’étude sur “la normalité de l’informalité : une estimation du commerce informel entre le Mali et l’Algérie” qui vient d’être terminée et qui a été présentée, hier, au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) sis à Bouzaréah (Alger). Première du genre, l’enquête quantifiant le travail informel entre notre pays et le voisin malien a été réalisée par quatre experts, à savoir Gaël Raballand, doctorant en économie et diplômé en sciences politiques et en droit public international (France), expert senior auprès de la Banque mondiale ; Sami Bensassi, docteur en économie de l’université de Nanterre et maître de conférences à la Birmingham Business School (Angleterre) ; Anne Brockmeyer, diplômée de sciences politiques et doctorante en économie à la London School of Economics (Angleterre) et Matthieu Pellerin, diplômé en sciences politiques et en intelligence économique, chercheur associé au programme Afrique subsaharienne. Dans son exposé, M. Raballand a qualifié le travail collectif de “document de travail”. “Une des activités économiques importantes au Mali est le commerce. C’est un phénomène séculaire. Mais, on remarque qu’on n’a pas d’estimation sur le commerce informel. Ce travail permet d’avoir une idée sur la pauvreté au Nord-Mali, mais il permet également de mieux connaître l’impact sur la gouvernance et sur la sécurité”, a-t-il souligné.
“La farine et les carburants sont les plus profitables”
Plus loin, le conférencier a donné une idée du travail mené sur le terrain par l’équipe, en 2014, sur une période de “2 ou 3 mois”, au Nord-Mali. Dans ce cadre, il a parlé d’entretiens effectués par des consultants auprès de “personnes exerçant dans l’informel”, de “vendeurs et de revendeurs”, ainsi qu’auprès des autorités maliennes. “En général, ces personnes parlent assez librement de leur commerce, parce qu’elles voient celui-ci comme tel et non pas comme des produits de la contrebande”, a signalé l’intervenant. Ce dernier a, en outre, informé de l’usage de “l’image satellite” pour mieux suivre les mouvements des camions 4X4 transportant les produits. Côté algérien, l’étude se serait limitée aux seules informations transmises par les services des douanes.
Dans leurs résultats, les experts font état de la présence de 180 camions par semaine. Ils révèlent aussi que 35 camions transportaient de la farine, 30 camions des pâtes, 25 camions de la semoule, 20 camions d’autres produits (huile, jus, sucre, lait en poudre...), de même que 30 camions livrant les carburants, 30 camions de dattes et 5 camions d’appareils électriques/électroménagers. D’après l’invité du Cread, 20 camions ont concerné Tombouctou, 35 camions Kidal, 35 autres Gao, 30 camions Bamako et 60 camions le Niger et le Nigeria.
L’analyse des profits, quant à elle, montre que tous les biens vers le Mali (transit ou destination finale) généraient “un profit hebdomadaire de 617 600 000 FCFA ($ 1,3 million), soit une marge moyenne de 29%”. À ce propos, il est noté que “les marges les plus élevées” sont pour les biens à destination de Bamako (43%) et du Niger/Nigeria (30%). Côté biens à proprement dit, il est observé que “la farine et les carburants sont les plus profitables”.
Il est à souligner que l’enquête sur l’informel à la frontière algéro-malienne a permis aux experts d’“estimer” le chiffre d’affaires hebdomadaire du commerce au Nord-Mali, et ce, “en collectant des données sur les volumes transitant, les destinations de transit et les prix de vente des différents produits dans les différentes villes”.
À ce sujet, le chiffre d’affaires hebdomadaire du commerce au Nord-Mali est évalué, en 2014, à environ 1,36 million de dollars. Prenant en compte les importations maliennes, de l’ordre de plus de 50 millions dollars annuels, les concepteurs de l’étude observent “une baisse d’environ 2/3 depuis 2011, pic du commerce entre le Mali et l’Algérie”.
Les règles sur le troc incitent à la corruption au Sud algérien
Ce qui est loin des déclarations officielles concernant 2011, faites par les Algériens, qui avaient annoncé 1,02 million de dollars d’exportation, et par les Maliens, qui, eux, avaient avancé un montant de 1,89 million de dollars d’importation, “soit respectivement 0,6% et 1,2% du volume de commerce informel estimé”.
Les rédacteurs de l’étude sont convaincus que le commerce informel “est très important en termes d’approvisionnement du Nord-Mali” et permet à ces régions de “bénéficier de prix plus faibles que s’ils provenaient du sud du pays”. Plus encore, selon eux, les activités informelles expliquent “pourquoi le niveau de pauvreté est si faible, notamment à Kidal”. Dans leur conclusion, les auteurs de l’étude retiennent l’idée de “paradoxe”. Ils y relèvent “un commerce informel économiquement très important pour le Nord-Mali (pour la réduction de la pauvreté et la création d’emplois, surtout à Kidal)”, qui génère, néanmoins, des “rentes”. Cette situation contribuerait à rendre “les institutions déficientes” et accroîtrait “la dépendance vis-à-vis de l’Algérie”. Selon eux, le commerce informel, plus important que le commerce officiel, représente “un facteur contribuant à la vulnérabilité de l’État malien au Nord, car Bamako ne peut être que dépendant des décisions prises à Alger”. Ils estiment aussi que la politique de répression contre ce type d’activités est “difficile” et aura “des effets négatifs” sur la population au Nord-Mali. Mais, précisent-ils, “le laisser-faire” n’est pas non plus la solution, d’autant que “les instances de contrôle font partie de la collusion et peuvent avoir un impact sécuritaire négatif”. Dans leurs recommandations, les initiateurs de l’étude demandent à l’Algérie de “revoir les règles sur le commerce de troc (qui ne sont pas respectées)” et qui, dans l’état actuel des choses, “sont des incitations à la corruption dans le sud du pays”. Ils proposent, en outre, la publication d’“une revue sur la politique de subventions dans le Sud”, en appelant les dirigeants à “un dialogue officiel renouvelé avec le Mali”, pour revoir l’approche actuelle fondée sur la fermeture de la frontier, car celle-ci constituerait “une opportunité pour la contrebande”.
Pour le Mali, il est demandé de “différencier le traitement des commerçants informels” et de trouver une solution autre que “sécuritaire” pour éviter d’“aliéner la partie des commerçants prête à déclarer les biens importés”.
Il est, en outre, suggéré de changer d’approche pour “la gestion de la frontière”, en impliquant “un peu plus les communautés locales” et en abandonnant “l’objectif de recettes au profit de déclarations sans droits”.
H. A.
Alors que la frontière algérienne avec le Mali est fermée officiellement, depuis le 14 janvier 2013, la contrebande des produits fait rage, entraînant des flux importants. C’est l’une des conclusions dégagées par l’étude sur “la normalité de l’informalité : une estimation du commerce informel entre le Mali et l’Algérie” qui vient d’être terminée et qui a été présentée, dimanche 25 janvier 2015, , au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) sis à Bouzaréah (Alger). Première du genre, l’enquête quantifiant le travail informel entre notre pays et le voisin malien a été réalisée par quatre experts, à savoir Gaël Raballand, doctorant en économie et diplômé en sciences politiques et en droit public international (France), expert senior auprès de la Banque mondiale ; Sami Bensassi, docteur en économie de l’université de Nanterre et maître de conférences à la Birmingham Business School (Angleterre) ; Anne Brockmeyer, diplômée de sciences politiques et doctorante en économie à la London School of Economics (Angleterre) et Matthieu Pellerin, diplômé en sciences politiques et en intelligence économique, chercheur associé au programme Afrique subsaharienne. Dans son exposé, G. Raballand a qualifié le travail collectif de “document de travail”. “Une des activités économiques importantes au Mali est le commerce. C’est un phénomène séculaire. Mais, on remarque qu’on n’a pas d’estimation sur le commerce informel. Ce travail permet d’avoir une idée sur la pauvreté au Nord-Mali, mais il permet également de mieux connaître l’impact sur la gouvernance et sur la sécurité”, a-t-il souligné.
“La farine et les carburants sont les plus profitables”
Plus loin, le conférencier a donné une idée du travail mené sur le terrain par l’équipe, en 2014, sur une période de “2 ou 3 mois”, au Nord-Mali. Dans ce cadre, il a parlé d’entretiens effectués par des consultants auprès de “personnes exerçant dans l’informel”, de “vendeurs et de revendeurs”, ainsi qu’auprès des autorités maliennes. “En général, ces personnes parlent assez librement de leur commerce, parce qu’elles voient celui-ci comme tel et non pas comme des produits de la contrebande”, a signalé l’intervenant. Ce dernier a, en outre, informé de l’usage de “l’image satellite” pour mieux suivre les mouvements des camions 4X4 transportant les produits. Côté algérien, l’étude se serait limitée aux seules informations transmises par les services des douanes.
Dans leurs résultats, les experts font état de la présence de 180 camions par semaine. Ils révèlent aussi que 35 camions transportaient de la farine, 30 camions des pâtes, 25 camions de la semoule, 20 camions d’autres produits (huile, jus, sucre, lait en poudre...), de même que 30 camions livrant les carburants, 30 camions de dattes et 5 camions d’appareils électriques/électroménagers. D’après l’invité du Cread, 20 camions ont concerné Tombouctou, 35 camions Kidal, 35 autres Gao, 30 camions Bamako et 60 camions le Niger et le Nigeria.
L’analyse des profits, quant à elle, montre que tous les biens vers le Mali (transit ou destination finale) généraient “un profit hebdomadaire de 617 600 000 FCFA ($ 1,3 million), soit une marge moyenne de 29%”. À ce propos, il est noté que “les marges les plus élevées” sont pour les biens à destination de Bamako (43%) et du Niger/Nigeria (30%). Côté biens à proprement dit, il est observé que “la farine et les carburants sont les plus profitables”.
Il est à souligner que l’enquête sur l’informel à la frontière algéro-malienne a permis aux experts d’“estimer” le chiffre d’affaires hebdomadaire du commerce au Nord-Mali, et ce, “en collectant des données sur les volumes transitant, les destinations de transit et les prix de vente des différents produits dans les différentes villes”.
À ce sujet, le chiffre d’affaires hebdomadaire du commerce au Nord-Mali est évalué, en 2014, à environ 1,36 million de dollars. Prenant en compte les importations maliennes, de l’ordre de plus de 50 millions dollars annuels, les concepteurs de l’étude observent “une baisse d’environ 2/3 depuis 2011, pic du commerce entre le Mali et l’Algérie”.
Les règles sur le troc incitent à la corruption au Sud algérien
Ce qui est loin des déclarations officielles concernant 2011, faites par les Algériens, qui avaient annoncé 1,02 million de dollars d’exportation, et par les Maliens, qui, eux, avaient avancé un montant de 1,89 million de dollars d’importation, “soit respectivement 0,6% et 1,2% du volume de commerce informel estimé”.
Les rédacteurs de l’étude sont convaincus que le commerce informel “est très important en termes d’approvisionnement du Nord-Mali” et permet à ces régions de “bénéficier de prix plus faibles que s’ils provenaient du sud du pays”. Plus encore, selon eux, les activités informelles expliquent “pourquoi le niveau de pauvreté est si faible, notamment à Kidal”. Dans leur conclusion, les auteurs de l’étude retiennent l’idée de “paradoxe”. Ils y relèvent “un commerce informel économiquement très important pour le Nord-Mali (pour la réduction de la pauvreté et la création d’emplois, surtout à Kidal)”, qui génère, néanmoins, des “rentes”. Cette situation contribuerait à rendre “les institutions déficientes” et accroîtrait “la dépendance vis-à-vis de l’Algérie”. Selon eux, le commerce informel, plus important que le commerce officiel, représente “un facteur contribuant à la vulnérabilité de l’État malien au Nord, car Bamako ne peut être que dépendant des décisions prises à Alger”. Ils estiment aussi que la politique de répression contre ce type d’activités est “difficile” et aura “des effets négatifs” sur la population au Nord-Mali. Mais, précisent-ils, “le laisser-faire” n’est pas non plus la solution, d’autant que “les instances de contrôle font partie de la collusion et peuvent avoir un impact sécuritaire négatif”. Dans leurs recommandations, les initiateurs de l’étude demandent à l’Algérie de “revoir les règles sur le commerce de troc (qui ne sont pas respectées)” et qui, dans l’état actuel des choses, “sont des incitations à la corruption dans le sud du pays”. Ils proposent, en outre, la publication d’“une revue sur la politique de subventions dans le Sud”, en appelant les dirigeants à “un dialogue officiel renouvelé avec le Mali”, pour revoir l’approche actuelle fondée sur la fermeture de la frontier, car celle-ci constituerait “une opportunité pour la contrebande”.
Pour le Mali, il est demandé de “différencier le traitement des commerçants informels” et de trouver une solution autre que “sécuritaire” pour éviter d’“aliéner la partie des commerçants prête à déclarer les biens importés”.
Il est, en outre, suggéré de changer d’approche pour “la gestion de la frontière”, en impliquant “un peu plus les communautés locales” et en abandonnant “l’objectif de recettes au profit de déclarations sans droits”.