Selon vous, pourquoi les consommateurs adoptent ce
comportement durant le Ramadhan ?: Tout
d’abord, il faut rappeler qu’à côté des pratiques cultuelles, il y a des
pratiques culturelles. La culture gastronomique pendant le mois de Ramadhan a
pour fondement la réponse à des besoins physiologiques pour préserver la santé
du consommateur tout en apportant les nutriments nécessaires à la résistance au
jeûne.
Ensuite, nous devons rappeler que le
système digestif est régulé par le système nerveux qui envoie les signaux de
sensation de faim aux moments où l’organisme reçoit habituellement de la
nourriture.
C’est cette sensation de faim, couplée
aux sollicitations sensorielles, visuelles et olfactives, qui va générer
l’envie à l’origine des achats, même inutiles ou inconsidérés. Le temps que le
système nerveux s’adapte aux nouveaux horaires d’alimentation, les mauvais
comportements se sont déjà installés chez de nombreux consommateurs sous
l’emprise du principe de plaisir.
Y a-t-il
un moyen de les raisonner ?: La raison
n’intervient pas dans ce processus, où le principe de plaisir prend le dessus
sur le principe de réalité. Les fonctions supérieures du système nerveux sont
écartées et les envies dominent les consommateurs qui, par ailleurs, peuvent
être très bien informés et même conscients des conséquences de leur
comportement, aussi bien sur leurs finances que sur l’environnement du fait du
gaspillage et de l’augmentation des déchets. C’est l’éducation qui joue un rôle
essentiel dans l’apprentissage de la résistance aux impulsions et leur contrôle
ainsi que de la tolérance à la frustration. De nombreux maux sont liés
à la capacité de contrôle de soi et à celle de la tolérance à la
frustration. Ces deux compétences s’acquièrent progressivement depuis la
première enfance jusqu’à l’âge adulte, celui où s’opèrent les choix structurels
de l’individu.
D’un
point de vue psychiatrique, est-il juste de parler d’addiction à la surconsommation ?: L’addition suppose la fréquence et la
durée, ce qui écarte de facto la surconsommation, qui limitée à la période du
Ramadhan. Toutefois, nous vivons une époque où l’incitation à la
surconsommation est continuelle, et cela via la publicité aussi bien dans les
médias traditionnels que dans les réseaux sociaux. De plus, concernant le Ramadhan,
au-delà de l’envie, il y a le besoin d’appartenance à une catégorie
sociale, y compris par le mode d’alimentation, mais pas seulement, puisque
cela s’étend au renouvellement des ustensiles, des équipements de la maison et
autres produits du commerce.
Les
achats compulsifs sont souvent associés à des émotions négatives, telles que la
tristesse, la colère et la peur. Dans quelle catégorie rentrent les
consommateurs algériens ?: Les
consommateurs algériens ne font pas exception. Les achats compulsifs peuvent
être structurels chez les personnes souffrant de TOC, comme ils peuvent être
réactionnels à des émotions négatives. Les douceurs mettent du baume au
cœur et ravivent l’élan vital chez une personne triste ou déprimée. La promesse
d’un bon repas calme la colère, et des adversaires se réconcilient autour d’une
table bien garnie. Quant à la peur, elle est masquée par l’action portant
l’assurance qu’il n’y aura pas de risque de manquer.
L’achat
compulsif pendant le mois sacré viendrait d’un déséquilibre entre le rationnel
et l’émotionnel. Pouvez-vous expliquer cela ?:Je
parlerai plutôt d’un «emprisonnement» dans l’émotionnel, le temps du jeûne,
chez l’acheteur compulsif. Les accès au rationnel sont bloqués,
physiologiquement parlant, pendant toute la période du jeûne. Chaque fois
que les émotions sont fortement sollicitées, le système nerveux verrouille, par
mesure de sécurité, tous les accès aux fonctions supérieures. C’est ce que nous
retrouvons dans toutes les situations génératrices d’émotions fortes, à
l’exemple de celle des candidats à un examen, même brillants, qui calent
pendant l’épreuve et qui, une fois sortis de la salle, retrouvent toutes
les réponses.