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D’ALMANACH- RÉCIT DOROTHÉE MYRIAM KELLOU- « NANCY-KABYLIE... »
NANCY-KABYLIE.....Récit de Dorothée -Myriam Kellou. Casbah Editions, , Alger
2024, 215 pages, 1 300 dinars
Dorothée-Myriam Kellou ne connaissait pas grand-chose à l’Algérie, son
autre pays qui rime trop souvent avec nostalgie et oubli. Mère française, père
algérien (un réalisateur de cinéma) , elle est un
mélange de deux cultures comme son prénom composé en témoigne. Quand elle se
présente, elle dit qu’elle est « française-algérienne ».
« Française trait d’union algérienne, précise-t-elle. J’aime l’équilibre
qu’apporte ce trait d’union. Il est confortable, mais il sépare. Et si je le
remplaçais par un astérisque ? (…) Je suis française*algérienne. » Et
pour le reste ?
Le père, Malek Kellou, réalisateur de télévision – devenu français, il y a
une trentaine d’années –, semble encore captif d’un passé lointain et
douloureux. Ce père, né en 1945 au temps de l’Algérie française, ne l’a
jamais raconté à ses enfants. Ce n’est pas par pudeur, déni ou volonté de leur
cacher le passé : sa mémoire a fait le vide, cherchant à mettre de côté
les horreurs vécues pendant la guerre d’Algérie (1954-1962).
Habitée par l’ Algérie, racontée , par morceaux épars, par
son père, enfant de Mansourah (Kabylie) , qui a oublié son arabe et son
kabyle, mis à part quelques mots, elle part à la conquête de la
« partie manquante » de l’histoire familiale,
Auparavant, elle a
tout fait pour être armée . Séjournant en Palestine,
en Egypte et aux Etats Unis, elle apprend la langue arabe (scolaire et dardja), pour en maîtriser les subtilités. Ne se contentant
pas des récits de son père, enfant de la guerre de libération nationale, avec
tout ce que cela comporte comme traumas, elle se documente sur tout ce qui
touche à la période coloniale, ce qui lui permet de découvrir tous ses aspects
sombres, dont les dépossesion, les centres dits de
« regroupement », la pratique de la torture et des viols ...Tout
particulièrement en écoutant les récits (plutôt les silences) de parents mais
surtout en s’abreuvent aux œuvres de Franz Fanon et d’Edward Said. Séjournant en Algérie, elle découvre le passé
du pays mais aussi le présent (entre autres la
période du « Hirak ») côté cour et côté
jardin, côté passionnant et côté désillusions.
L’Auteure : Née en France , de père d’origine algérienne et de mère française,
journaliste (collaboratrice régulière au journal Le Monde, et
réalisatrice dont le film « A Mansourah, tu nous as séparés », prix
Etoiles de la Scom, 2021 et le postcast
« L’ Algérie des camps » pour France Culture
Extraits : « Nous aimons célébrer , ensemble, nos
« origines » .Nous les mystifions, parés de nos oripeaux.Ça
déplait aux commentateurs des grandes chaînes d’info. Ils nous accusent de
« communautarisme » (p 52), «L’arrachement ?
Ce mot recouvre aussi une autre définition, plus positive:
en architecture, l’arrachement, ce sont les pierres qui servent à
reconstruire. Pourrai-je rebâtir la mémoire à l’endroit de la
ruine ? »( p 70), « J’ai retrouvé, dans un rapport de 1957,
une définition de cette « zone interdite » : « Une zone
interdite est en fait une zone dans laquelle : 1 )le séjour et le
passage des habitants sont interdits ; 2) les forces de l’ordre ouvrent le
feu sans sommation, qu’il s’agisse de feux aériens, terrestres ou navals »
(p 113), « Méfions-nous de la mémoire officielle, en Algérie aussi,
elle est pleine de blancs et de trous noirs qui arrangent ceux qui préfèrent
l’amnésie » (p 132), « L’oubli (note : en
France)n’arrange pas qu’à l’extrême droite. A droite ,
à gauche aussi » (p 149), « J’aime ces Algéries
(au pluriel) que je découvre, mais voilà qu’il me faut renoncer à mes
illusions, l’Algérie (au singulier) n’est pas un paradis » (p 197)
Avis : Un livre « très
personnel » qui mérite amplement le Prix littéraire de la Grande Mosquée
de Paris 2024.Écrit clairement, simplement, sereinement.Malgré tout, l’Algérie dans la peau.
Citations : « La nostalgie,
c’est contempler un passé heureux dans un miroir brisé dont il ne reste que de
petits morceaux tranchants » (p 13), « Qu’il est bon d’étudier l’histoire
pour ne pas se laisser berner » (p 23), « Les insultes sont la clé
d’entrée dans une langue. La langue verte, la langue libre et crue, qui se joue
du vice et de la méchanceté.Celle qu’on n’ose pas
dire, et que l’on retient sans effort » (p 26), « Les archives
militaires (note : françaises) ne racontent pas l’histoire du point
de vue des colonisés.Il faut lire entre les lignes
pour y déceler la silhouette de nos pères.Tendons
l’oreille à nos aînés encore vivants.Eux
savent : l’oppression coloniale, la ségrégation, la hiérarchie
raciale » (p 141), « Comme me l’a dit un jour un ami,
« La France ne nous a pas civilisés, elle nous syphilisés » (p 179)