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D’ALMANACH- ROMAN YAMINA MECHAKRA- « ARRIS »
Arris. Roman de Yamina Méchakra. Kalima Editions (1ère éd. Marsa, 1999 ,et roman traduit en arabe), Alger 2023, 135 pages ,
1 000 dinars.
Arris
( nom d’une ville des Aurès mais aussi le prénom du
fils de l’héroïne de « La grotte éclatée »). Un tout jeune enfant ,presque encore bébé, est arraché
(« enlevé » à l’hôpital, là où on avait promis à sa maman
de le lui rendre après guérison) , à sa mère, une veuve alors dépassée par la
misère et des conditions de vie impossibles, par la maladie de son enfant et
les coûts exorbitants des soins médicaux. Hospitalisé, il est adopté par un
riche couple d’étrangers. Un autre monde. Des parents adoptifs (britanniques....ce qui aurait été différent s’ils avaient
été français) aimants. Une autre vie, aisée et brillante. Une autre culture, aristocratique .Une autre religion.
Mais
le passé -douloureux- est là, enfoui dans le labyrinthe de la mémoire.....Il n’est saisissable qu’à travers des
comportements incompréhensibles pour les autres et la mal-vie d’Arris.
Marié à Nassa, il ne veut pas avoir d’enfant et tout
son amour est porté sur Cilia , une chienne (comme celle qu’il avait lorsqu’il était
enfant).
Bien
plus tard, il reviendra au village natal désormais déserté......et retrouvera
enfin sa mère.......qui n’a fait que l’attendre.....jusqu’à
sa mort. En l’enterrant, il va ,peut-être ,
retrouver ses origines. Peut-être ?
Un
récit de douleurs nées d’ une séparation brutale, non
acceptée. Un récit qui aurait dû prendre , selon les
propres dires de l’auteure , 400 pages. Un récit qui épouse des préoccupations contemporaines.
Dernier roman de Yamina Mechakra c’est , en fait, un roman sur l’identité
questionnant de façon pertinente, comme nous le faisons tous aujourd’hui
et encore plus au lendemain de l’indépendance la notion de
civilisation......et ses liens étroits avec la violence .
L’Auteure : Née en 1949 dans le nord des Aurès. Docteur en
médecine psychiatrique. Très engagée, écrivain indépendantiste, défendant une
révolution culturelle permettant d’achever la décolonisation. Venue très tôt à
l’écriture mais ne publiera son premier roman, « La grotte éclatée » (préfacé par Kateb Yacine) qu’en 1979.Décédée en
2013.
Extraits : « Ils n’ont pas
suffisamment de charbon.Ils
se chauffent avec une miette de soleil » (p9), « L’homme s’ingénie
depuis des millions d’années à s’immortaliser.Il a
choisi la pierre pour marquer son passage ici-bas » (p 80), « Je
croyais aux héros /Aujourd’hui, je sais. Il n’y a pas de héros qui ne soit
martyr. Chacun de nous l’est à sa manière.Esclave
ou libre » (p 82), « Deux frères vivaient ensemble, mais ne
s’aimaient guère (.......).Puis vint le jour du fratricide. L’un des frères , pressé de voir disparaître l’autre, prit la
résolution de le tuer. Face au cadavre de son frère qui lui renvoyait sa propre
image, il creusa le tombeau dans un tronc d’arbre,
y enfouit son frère et ne quitta plus l’arbre.Il
veillait nuit et jour et l’entourait de grands soins. Il venait de découvrir l’amour.... » (pp 114-115)
Avis :Une lecture chargée d’une
intense émotion. La douleur de la séparation et une attente qui dure....qui dure.Jamais une
relation mère-enfant n’a été aussi bien (psy-) analysée et (d-) écrite.
Citations : « La mort n’est
qu’une suite d ’expressions du corps et de l’esprit, qui surviennent
nécessairement à la suite de mutations de tous ordres.....mutations
d’ordre individuel ou collectif, marquant la vie d’un être jusqu’au-delà du
tombeau » (p17), « Les prières sont les mêmes, , c’est l’amour
du prochain, le respect de la vie. Nous prions tous le même Dieu, sauf
que l’organisation n’est pas la même » (pp 37-38), « Mais qu’est-ce
qu’en fait une civilisation ? Un jeu : une civilisation en chasse une
autre » (p38), « La terre , ça se
travaille éternellement .Elle ne donne que si tu lui donnes .Dieu fera le
reste » (p71),
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