SOCIETE-
BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ESSAI MALEYKA FREDJ- « LA DÉCOLONIALE »
La décoloniale. Mémoires-Essai de Maleyka Fredj. Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2023, 152
pages, 800 dinars
Pour l’auteur, aucun
enfant de la communauté émigrée ne peut sérieusement dire qu’il n’a pas été affecté
par sa condition d’appartenance à une minorité et cela, à tel point « que
nous avons fini par fabriquer, plus ou moins consciemment, trois sortes
d’individualités issues de ce qu’on pourrait appeler le triple syndrome du
« décolonial ».
On a donc trois
camps : celui des « ébranlés » (vivant dans la dénégation totale
de l’identité parentale, avec une volonté farouche d’imiter le
« modèle » français. Très souvent
agressifs et virulents.
Il y a les
« affectés »....des funambules qui cherchent
un équilibre entre l’affection et le rejet, luttant contre les influences
agressives des deux bords.
Il y a les « accablés »,
le groupe le plus fragilisé par l’environnement. En butte au racisme et à
l’intégrisme, leur souffrance est telle qu’ils ont perdu tout sens de la
mesure, que ni l’école ni la famille n’ont su leur inculquer
.
Notre auteure se situe
parmi les « affectés »....et c’est cet état
d’esprit qui l’ a poussé à remonter le temps et surtout à explorer le
territoire de ses parents et de sa famille....en Algérie. Elle s’y installe
tout un moment (par la suite elle s’y installera définitivement) , et y commence même des études supérieures...Mais tout
cela ne lui suffit pas puisqu’elle se lance dans une sorte d’auto-psychanalyse
lui permettant, enfin, de se situer aussi exactement que possible au sein
des deux sociétés -française et algérienne- composant sa personnalité et sa
vie. Une confession presqu’intime qui nous la rend si proche.....et
qui nous permet de mieux comprendre -leur vie mais aussi leurs souffrances
visibles ou tues- nos frères et sœurs émigré (e)s, bi-nationaux
ou non....tout particulièrement celles et ceux issus de la deuxième et
troisième génération. Et, les nouveaux
« harragas » exclus !
L’Auteure :Née à Reims (France) en 1961 de parents algériens. Diplômée en Droit.
Plusieurs fois cheffe d’entreprise en France
.....et en Algérie ; ici surtout pour mener une quête sur elle-même et sa
famille.
Table des matières :Préface (de Raphaël Confiant)/Les désenfantés /Ma
définition/ Legs et filiation/ Les égarés/ Terre en vue.... !
Extraits : « Le plus terrible pour un être dans l’enfance est ce que
l’on nomme aujourd’hui les « micro-agressions » . Elles ne
s’accompagnent ni de cris ni d’insultes ni de coups mais minent au jour le jour
les personnes qui les subissent. D’où venez -vous ? (Préface, p 7) , « J’avais la pureté de l’enfance innocente
jusqu’au jour où je suis rentrée à l’école. La différence, c’est l’école
française qui me l’a enseignée. La discrimination je l’ai découverte....Tu
viens d’où ?(note : question de « Mme Jacob, une
maîtresse au triste tablier gris ») » (p 16), « Dans une
société où chaque chose doit être définie, on me forçait à prendre position en
me déclarant française d’origine algérienne, algérienne de nationalité
française, française musulmane de deuxième génération, immigrée, arabe, kabyle,
berbère, pied-noir, juive, musulmane, indigène. J’en avais invariablement la
tête embrouillée » (p 41), « J’imagine le calvaire des trois cents
jours que dura la bataille de Verdun. Sans aucune formation militaire, ces
jeunes hommes (note : Les Nord- africains musulmans), naïfs et
pourtant hardis, comprirent trop tard qu’ils allaient servir de bouclier » (pp 65-66), « Pour la France, est bon musulman
celui qui ne l’est plus. Est bon africain celui qui méprise l’Afrique. Et
enfin, est bon Français celui qui prénomme ses enfants selon son calendrier ou
sans référence à ses origines. Nous devons nous effacer, gommer notre
différence qui est notre originalité » (p 133), « La colonisation
n’est pas terminée. Elle vit sous d’autres formes selon l’évolution des
consciences. Plus sournoise, elle est autant dangereuse car elle utilise non
plus la violence physique mais la manipulation des consciences. Elle va jusqu’à
utiliser ses dominés comme ses meilleurs défenseurs » (p 146), « J’ai
la chance de savoir d’où je viens. J’ai la chance de pouvoir vivre en Algérie.
De renouer avec ma chair en foulant cette terre, la terre de ma mère, la terre
de mon père et de mes aïeux » (p 147
Avis :Enfin, un (petit) livre qui relève beaucoup
plus du recueil de souvenirs que de l’essai. N’empêche, on y retrouve des
faits, mais aussi beaucoup de réflexions.....critiques
qui vont droit au but et sans détours....Sur ce qu’elle est, ce qu’elle pense ,
sur sa famille, et son père, sur l’Algérie....un pays qui l’habite. En fait, un
petit « grand » livre.....qui mérite
amplement d’être traduit en arabe et en tamazigh.
Citations : « Sa portée (note :
L’Histoire) est si capitale que les Etats s’en servent comme arme de
guerre » (p 45), « La qualité , comme la version de
l’Histoire, dépendent de celui qui la racontait » (p 45), « Je
comprends une langue (note : l’arabe) que je ne parle pas et je
parle une langue (note : le français) que mes parents ne comprennent
pas » (p111), « S’il est une valeur suprême dans toute société
organisée, soit-elle réduite et isolée, c’est sans aucun doute celle de la
transmission » (p 113), « L’inhumation est une des premières
institutions humaines et, à travers la mise en terre, se joue l’histoire d’une
personnes et la révérence d’une vie » (p 126), « Pour rester libre,
il faut tuer la peur » (p 138), « Je savais que cette histoire
avec l’Algérie, nous ne pouvions l’écrire en commun car nos mémoires sont
différentes .C’est à la France de laver son Histoire » (p 139), « La
plus grand risque dans la vie est de ne pas en prendre « (p141)
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