SOCIETE- ETUDES ET ANALYSES- INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES
2024/ETUDE MIT BOSTON II/II)
Les dix technologies de rupture qui vont
s’imposer en 2024
© René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
La septième innovation concerne les
systèmes géothermiques améliorés. L’énergie géothermique constitue une
ressource propre et illimitée, mais elle reste sous-utilisée en raison de défis
techniques à surmonter. Cependant, les progrès des techniques de forage
permettent désormais d’exploiter plus profondément et plus efficacement la
chaleur de la Terre, marquant ainsi un bond significatif dans la production
d’énergie propre. Une centrale géothermique de nouvelle génération, développée
conjointement par Google et Fervo Energy, a commencé
à envoyer de l’électricité sans carbone au réseau du Nevada. Ce projet d’une
puissance de de 5 mégawatts, appelé Project Red, fournit désormais de
l’électricité directement à Las Vegas. Contrairement aux centrales
géothermiques conventionnelles, qui exploitent la chaleur trouvée près de la
surface de la terre, Fervo utilise des techniques de
forage avancées pour accéder à des ressources plus profondes ou plus difficiles
à atteindre que les sources chaudes ou les geysers.
Aux États-Unis, l’énergie géothermique ne fournit
qu’environ 3 700 MW d’électricité, soit 0,5 % de la production totale
d’électricité aux États-Unis. Mais, selon le département américain de
l’Énergie, la géothermie pourrait fournir potentiellement 90 GW d’énergie ferme
et flexible au réseau américain d’ici 2050, soit plus de 10 % de la
consommation électrique américaine. Le projet de Fervo
utilise des techniques de forage horizontal et des outils de détection à fibre
optique issus de l’industrie pétrolière et gazière. Sur le site géothermique,
deux puits atteignent 2,5 km de profondeur, puis se connectent à des conduits
horizontaux. En juillet, Fervo a annoncé qu’elle
avait réalisé avec succès un test de puits à grande échelle dans le Nevada, qui
a confirmé la viabilité commerciale de sa technologie qui permet d’exploiter de
la vapeur à 200 degrés. Pour augmenter la capacité géothermique des États-Unis,
le gouvernement fédéral s’est fixé pour objectif de réduire le coût de
l’électricité provenant des systèmes géothermiques améliorés à 45 dollars par
mégawattheure d’ici 2035, soit une baisse de 90 % par rapport aux prix
actuels.
La huitième innovation concerne les
pompes à chaleur double flux, capables à la fois de chauffer et de refroidir
bâtiments et habitations. Les pompes à chaleur actuelles
reposent sur la compression et ont fait de gros progrès, avec l’arrivée de
pompes à puissance variable et de réfrigérants à bas point d’ébullition. Mais
demain, un nouveau type de pompe à chaleur pourrait révolutionner la production
propre d’énergie : les pompes à chaleur électrocaloriques
à semi-conducteurs. Ces pompes ne nécessitent aucun fluide frigorigène et
promettent des rendements plus élevés, de l’ordre de 85 %, au lieu de 50 % pour
les pompes à compression. La généralisation de ces pompes à chaleur de nouvelle
génération, couplées aux énergies renouvelables, pourrait permettre à terme de
diminuer de moitié, à niveau de chauffage ou de climatisation égal, la
consommation des bâtiments qui représente 40 % de l’énergie utilisée dans le
monde et 40 % des émissions humaines de CO2.
J’en arrive maintenant aux deux
dernières innovations de ce classement 2024 du MIT, le premier traitement par
édition génomique et les nouveaux médicaments amaigrissants. La technologie CRISPR
vient de réaliser une avancée majeure, avec le premier traitement d’édition de
gènes approuvé pour la drépanocytose. Si ce nouveau traitement a reçu cette
autorisation de l'Agence de santé britannique, c’est parce que la drépanocytose
est une maladie courante : elle concerne environ 30 000 personnes en
France et 300 000 naissances chaque année à travers le monde. Une unique
mutation génétique entraîne une déformation des globules rouges : au lieu
d’être arrondis, ils prennent une forme de faux. En premier lieu, cela conduit
à leur destruction et donc à une anémie. Par ailleurs, ces globules rouges,
plus rigides, se déplacent moins bien dans les petits vaisseaux sanguins, et
obstruent les organes, provoquant d’intenses douleurs.
Les seuls traitements disponibles consistent en des
transfusions sanguines qui permettent de remplacer les cellules anormales, mais
ce traitement n’est pas curatif et doit être renouvelé tous les 15 jours. Quant
à la greffe de moelle osseuse, c’est une intervention lourde, qui nécessite
d'avoir un donneur compatible. Ce nouveau traitement nommé Casgevy,
développé par la société CRISPR Therapeutics, a été
testé avec succès chez des patients atteints par cette maladie. Les résultats
cliniques sont vraiment spectaculaires : la plupart des patients n'ont
plus de crise douloureuse et n’ont plus besoin de recevoir des transfusions de
globules rouges. Mais surtout, il n'aurait donc fallu que onze ans entre la
découverte de cet outil, qui a valu le Nobel de chimie à Jennifer Doudna et
Emmanuelle Charpentier, et la première thérapie opérationnelle utilisant
CRISPR-CAS9.
Enfin, dixième et dernière innovation
retenue par le MIT, les nouveaux médicaments amaigrissants, très prometteurs,
comme le Mounjaro et le Wegovy,
qui se sont révélés particulièrement efficaces, non seulement dans la gestion
du poids, mais aussi dans la réduction potentielle des risques de crises
cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux liés au surpoids. Ces nouvelles
molécules, qui sont proches d’une hormone impliquée dans la régulation de
l’appétit, le glucagon-like peptide 1 (GLP-1), appartiennent à une nouvelle
classe de médicaments utilisés depuis quelques années contre le diabète de type
2. Ils ressemblent chimiquement à une hormone impliquée dans la régulation de
l’appétit, le glucagon-like peptide 1 (GLP-1). Les essais cliniques ont monté
que ces nouveaux médicaments sont d’une efficacité sans précédent et permettent
de perdre jusqu’à 15 kg, après un an de traitement. Alors qu’on estime que deux
milliards d'adultes (39 % de la population mondiale) sont à présent en
surpoids, dont 650 millions sont obèses (13 % de la population mondiale), on
voit à quel point cette nouvelle génération de médicaments constitue une vraie
révolution thérapeutique et peut contribuer à surmonter ce défi sanitaire
mondial que représente le surpoids et son cortège de pathologies associées.
Ces dix technologies retenues par le MIT sont appelées
à révolutionner le secteur numérique, le domaine de l’énergie et du climat et
les sciences médicales et biologiques. Il est frappant de constater que la
majorité de ces innovations de rupture n’auraient pas été possibles si elles ne
s’étaient pas appuyées sur des recherches théoriques et fondamentales souvent
réalisées il y a plusieurs décennies. C’est pourquoi il est si important, si
nous voulons continuer à réaliser des avancées majeures qui transformeront et
amélioreront la vie des hommes, que nous sachions raisonner sur le temps long
et investir dans des projets et programmes de recherche à très long terme, sans
en attendre de profits immédiats. A cet égard, la révolution quantique en cours
nous montre que les ruptures théoriques finissent toujours par se traduire par
des progrès techniques décisifs…