SOCIETE- ETUDES ET ANALYSES- ETUDE SUR NOTION
« LE BLED »/IMA (FRANCE)
© Le Monde, mardi 24 octobre 2023 (et
« imarabe.org »)
L’ Institut
du monde arabe (IMA) a lancé, vendredi 20 octobre, une offre de podcasts
particulièrement riche. L’ambi- tion ? « Elargir l’accès aux mondes
de la pensée et de la création des mondes arabes », selon
Mathieu
Gousse, responsable rencontres, éditions et désormais
podcasts de l’institut culturel parisien.
Pour cet ancien
éditeur de l’Institut français d’archéologie orientale basé au Caire, il s’agit
tout à la fois de prolonger à l’IMA son expérience en rendant conférences et
rencontres audibles (elles seront éditorialisées et traduites,donc écoutables, en arabe) et de produire
soit à l’IMA (doté de son propre studio), soit depuis les pays du monde arabe
des pod-
casts
autour notamment de la philosophie, de l’histoire de l’art, de la musique, mais
aussi des séries documentaires.
Synonyme d’au revoir et d’exil
Pour leur première série, « Un bled à soi », Mathieu
Gousse et sa collaboratrice Zoubida Debbagh se sont
appuyés sur le savoir-faire d’Alexandre Plank,
cofondateur de l’association Making Waves, et en ont
confié la réalisation à Fabienne Laumonier et Mehdi Ahoudig. L’une à Bobigny, l’autre à Marseille, ils ont fait
parler des femmes et des hommes de toutes les génértions,
leur demandant ce que ce mot « bled » – qui signifie « pays » en arabe et a
pris la signification, clairement péjorative, de « trou », selon Le Robert – leur
évoquait.
C’est émouvant de les entendre tour à tour évoquer
leur histoire. Une histoire qui se tapit dans ce mot synonyme d’au revoir et
d’exil. Un mot qui porte et amène la confusion (épisode 3). « Le bled, c’est
ici, en Seine-Saint-Denis, si je suis honnête, dit l’un. Et quand je
vais
là-bas, je me la pète, si je suis honnête. On est tout le temps im-migré – ici, là-bas. » Un autre : « Le bled, c’est jamais là où tu es. C’est dur à vivre, en vrai. » Pour
cette femme, impossible en revanche de penser « bled » quand elle évoque la
ville de Fès, au Maroc :
« Cest une grande ville
impériale, une capitale culturelle, c’est pas un bled.
Quand je parle de bled aujourd’hui, je parle de mon bled natal, en
Franche-Comté. »
Il y a parfois les désillusions quand le bled a été
élevé au rang de fantasme. Ainsi de cette femme qui, à 26 ans, et alors qu’elle
s’était enfin décidée à y aller voir, ose dire : « C’était chargé, ce voyage. Pas
lumineux. Et j’ai compris pourquoi ma mère avait voulu partir. » Dernier
épisode, beaucoup diront : « Le bled, c’est le pays des ancêtres. C’est là où
tes morts sont enterrés. »
« Un bled à soi » donne à entendre des récits
singuliers qui racontent aussi une histoire collective : celle, encore
largement à vif, de la colonisation. En choisissant de ne nommer personne – les
paroles s’enchaînent, se croisent, se font écho et se complètent –, c’est un
chœur de « blédards » que Fabienne Laumonier et Mehdi
Ahoudig ont fini par former
autour
de la musique du chanteur et compositeur Bachar Mar-Khalifé et de quelques
compositions de Samuel Hirsch.(...................)