SOCIETE- BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH-ROMAN/ESSAI DE DJAMEL LACEB- « TALELAT. MYSTÈRES DE « LA
MAIN DU JUIF »
Talelat.Mystères de « la Main du Juif ». Roman-Essai de Djamel Laceb. Editions Frantz Fanon, Boumerdès, 2023, 181 pages,
1 000 dinars
Ni roman, ni essai, mais les deux,
ce qui est tout de même une performance pas toujours réussie ailleurs. En fait,
l‘auteur n’a pas voulu raconter une histoire mais plutôt
raconter le quotidien d’une « population unique », de par sa
culture, ses travers, ses peines et ses espoirs.... , de raconter un monde
« sur la route de l’absence », avec des cimes qui s’évacuent chaque
jour un peu plus « avec des partants qui emportent avec eux les dernières
coutumes d’une culture ancestrale non pour les perpétuer, mais pour les
corrompre dans des bourgs informes ».
Bien sûr ,
il y a , hélas, plusieurs « populations uniques » en Algérie
qui empruntent ce chemin, avec , peut-être des mentions particulières pour
certaines d’entre-elles.
L’auteur, donc, raconte
, en fait , le quotidien , triste mais vivable et bien (ce qui ne veut
pas dire obligatoirement bon) vivant d’un lieu et d’une population attachée
à sa terre, à sa langue et à ses us et coutumes, bonnes et (ou) mauvaises. Une
terre devenue ingrate car trop abandonnée (sauf le « Grand Parking
national » et ses singes , très, trop bien
gardés) , une langue riche mais complexe, des traditions parfois gênantes mais
nécessaires.....poussant au départ vers des ailleurs pourtant
incertains. On a donc, au final , un
roman-essai parsemé d’informations puisées dans des lectures et autres
sources dont la tradition orale n’est pas des moindres. Sans oublier un penchant pour l’histoire de l’Egypte antique ainsi
que pour la Mythologie.
Au départ du récit, il y a , au milieu de l’immense et imposant
Djurdjura , « la Main du Juif » (Talelat)
, un rocher à plusieurs pointes, sorte de « paluche géante »,baptisée
ainsi par les Français, dont tout le monde , à Dawdar
(1100 mètres d’altitude) , parle avec vénération....car, semble-t-il, liée à
d’anciennes civilisations ayant enfoui on ne sait quels secrets. Il y a ,aussi, un Sphinx gigantesque que ne peuvent voir que les
initiés......soumis au silence... Des rochers
« qui parlent d’eux--mêmes », et
paraît-il, il suffit de tendre l’oreille et de regarder dans la bonne
direction. Tout un mystère bien gardé (et transmis par bribes) par
des personnages originaux : Dda Slimane, Moh Pompidou, Cheikh Mohand......
L’Auteur :Né à Souk Ahras,
inspecteur d’administration dans l’Education nationale, conseiller au Haut Commissariat
de l’Amazighité ,lauréat du grand prix Assia Djebbar pour son roman « Nna
Ghni » et il a publié un recueil de chroniques
(2019), « Escapades en terre amazighe »
Extraits : « Un sudiste comme son
nom l’indique travaille au sud du pays. Il en existe deux catégories : les
chanceux et les misérables.Les premiers sont dans les
sociétés pétrolières algériennes et perçoivent des salaires mirobolants tandis
que les seconds sont les esclaves des sous-traitants » (p 38), « Dans
le monde des mânes et des i↋essasen,
le pays du Djurdjura est l’équivalent de la Chine.Un
pays surpeuplé d ’esprits et d’âmes » (p 48), « Le chiffre cinq
est le chiffre de l’équilibre, du centre, il est associé à la vie et aux
saisons car depuis la nuit des temps, les amazighs comptent cinq saisons »
(p 63), « Personne ne sait pourquoi les singes s’appellent Messaoud et les
chacals Mhand, mais une chose est sûre : ils se
reconnaissent » (p 66), « Dans notre région,il
y a deux façons de trouver quelque apaisement : le grand plongeon dans les
cuves ou bien se faire tatouer sur le front et sur les chevilles les trois
marques de l’obéissance et de la prosternation » (p 84), « C’est dans
les magasins que sont commentées toutes les nouvelles colportées, tous les
ragots ; mais le plus grand,c’est le« sénat » ».L’établissement
tient sa réputation du fait qu’il est fréquenté par les phénomènes des
environs....On parle quand on sait quelque chose, on parle aussi quand on ne
sait rien . Au « sénat », il faut parler, parler ;au
moindre silence, vous cessez d’exister et alors , le sujet de discussion,c’est vous » (pp
87-88 ), « Un cassé est un homme qui, ayant tenté
sa chance en ville, revient brisé par le chômage, la misère ou autre
vicissitude de la vie.Un cassé n’avoue jamais son
état ;il est facile de déceler l’amertume du vaincu.Les
villageois les appellent aussi les « revenants » parce qu’ils ont la
démarche et l’existence légères : comme s’ils avaient honte d’être
présents parmi les vivants » (p111)
Avis : Bien écrit. Style fluide. De l’humour
plein les pages.De la
critique et de l’auto-critique. On en arrive à oublier que de roman il n’y en
presque point, mais beaucoup d’analyses psycho-sociologiques d’une région et de
sa population.A lire ...avec
compréhension car l‘auteur a l’air d’adorer sa région maternelle.Un
critique a écrit que « c’est un roman étincelant qui ré-interroge avec une originalité déconcertante les lieux
de la culture berbère et les mystères d’une langue qui a résisté aussi bien aux
bourrasques du temps qu’aux accidents de l’Histoire. »
Citations : « Éduquer use toutes les
facultés, au point de faire des maîtres au mieux des dadais, sinon des
démons » (p 15), « La rêve commun des habitants d’un pays crée
l’image du pays » (p 51), « Pour parler des gens, il faut les
aimer et moi j’en suis à me demander s’il faut leur pardonner d’abord »
(p93), « Au pays le plus dépensier du monde, les économistes ne pouvaient
que chômer » (p113)