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Corruption Algérie/ Etude Ahcene Djaballah B.(I/IV)

Date de création: 15-04-2023 11:52
Dernière mise à jour: 15-04-2023 11:52
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FINANCES- ETUDES ET ANALYSES- CORRUPTION ALGERIE/ETUDE AHCENE DJABALLAH B. (I/IV)

 

CORRUPTION : 26 MILLIARDS DE DOLLARS .QUI S’EN SOUVIENT ?*(CONTRIBUTION in LE QUOTIDIEN D’ORAN, JEUDI 19 ET SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019)

 

Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH, ancien Professeur associé à l’Ecole  nationale supérieure de journalisme d’Alger, journaliste indépendant

 

« Une bande de voleurs n'est forte que par la justice qui règne entre ses membres". Alain, philosophe français.

 

Le 20 mars 1990 n'a vraiment pas été un jour de chance pour Abdelhamid Brahimi (fils de Cheikh El Mili, un des fondateurs du mouvement des Oulémas, ex-Premier ministre englouti par la tempête d'Octobre, ex-ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire, Président, à partir de 1981, de la toute puissante Commission des grands équilibres par laquelle transitaient les opérations financières à l'étranger, ex-représentant de Sonatrach aux Etats-Unis d'Amérique, ex-Wali de Constantine et il se serait alors opposé au "coup d'Etat" militaire du 19 juin 1965 , ex-Officier de l'Aln, etc…). Une journaliste du quotidien du soir El Massa était présente lors d'une de ses conférences tenue à l'Institut des sciences économiques du Caroubier (Alger). Et, pour répondre à l'attente d'un public de plus en plus friand de "révélations", notre reporter n'a saisi que ce qui lui a paru essentiel, et qui sera publié dans l'édition du 22 mars : L'ex-Chef du gouvernement a fait état de commissions de 20% versées à des opérateurs sur les marchés contractés avec l'extérieur. En calculant sur une base de 20 ans d'importations, cela donnait le chiffre effarant de 26 milliards de dollars, soit un peu plus que le niveau de la dette extérieure du pays.

Devant l'esclandre, une mise au point a été faite quelques jours après. Elle précisait que le chiffre a été le fruit d'une gymnastique intellectuelle se basant… sur la déclaration d'un haut responsable… en l'occurrence Monsieur Mouloud Hamrouche qui, lors de journées d'études parlementaires, avait critiqué les "surcoûts des importations", qu'il évaluait à 20%. "Ce que j'ai dit", devait-il préciser par la suite, dans une interview accordée à l'Aps, "n'a rien à voir avec les accusations de détournement et de pots-de-vin".

Dans une interview accordée le 21 octobre 1990 au quotidien El Moudjahid, celui par qui le scandale était arrivé et qui, par la suite, se "réfugia" en Angleterre à partir de fin avril 1992, puis en France pour, dit-on, y enseigner "l'économie islamique", donnait plus de précisions sur sa mésaventure intellectuelle, précision qui prouvaient seulement une certaine inconscience ou légèreté des interventions publiques des hommes politiques de l'après-Octobre, soucieux, par ailleurs, de se placer ou de se replacer dans un échiquier bouleversé :

"J'ai évoqué, devant les étudiants, les conditions de la relance économique et les mesures à prendre pour lutter contre le chômage, après avoir énoncé les principes économiques et techniques et pour assurer la relance économique. J'ai dit que ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut, en outre, restaurer la confiance pour que les citoyens puissent adhérer et soutenir la politique d'austérité engagée. Ceci passe par la lutte contre la corruption.

J'ai cité la corruption externe, et pour arriver à 26 milliards, je suis parti d'un calcul de 20% sur une période de 20 ans d'importations. Je peux dire davantage. Non seulement, je maintiens l'estimation des 26 milliards mais, si je tiens compte de toutes les déperditions, outre la corruption et les surcoûts comme par exemple le manque à gagner dû au faible taux d'utilisation de nos usines et le gaspillage, la "facture" dépasserait largement ce chiffre. Peut-on accepter cette fuite sans contre-partie dans le contexte que vit notre pays ?

Deuxièmement, j'ai parlé de la constitution de milliardaires, de fortunes dans des délais très courts par les procédés illicites aggravant, par là-même, les inégalités et les tensions sociales.

Troisièmement, j'ai parlé des trafics d'influence, de la corruption générée par les pratiques bureaucratiques au plan interne à tous les niveaux et dans tous les secteurs d'activité. Donc, il faut des mesures claires et sérieuses.

Pourquoi, d'ailleurs, la presse nationale n'a retenu que la première question appelée l'affaire des 26 milliards et n'a rien dit sur les deux autres questions non moins importantes que j'ai soulevées".

Dans un article publié par Alger Républicain, en mai 1990, Larbi Chaâbouni, prenant appui sur la "bombe" lâchée par Brahimi, est parti à la découverte du monde algérien de la corruption en citant son évolution à travers des dossiers épineux :

"… La révélation de Monsieur Brahimi a fait l'effet d'une véritable bombe. Silence pesant et consternation générale. Puis, réagissant à cette accusation à la fois "diffamatoire, tendancieuse et imprécise", selon les termes du communiqué de la Fédération nationale des associations des gestionnaires du service public (Fnag), le Gouvernement de Monsieur Hamrouche, en accord avec la Présidence de la République, a publié une déclaration en date du 6 avril 1990, dans laquelle, il appuie, sans réserve, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire proposée et adoptée récemment à l'Assemblée nationale. Selon le délégué des auteurs, Falek, cette dernière est chargée de faire "la lumière", délimiter les responsabilités des uns et des autres et lever l'immunité des institutions qui ont permis la signature des contrats ayant amené des pots de vin". D'autre part, la déclaration gouvernementale rappelle que "le dispositif en place engagé dans le cadre des réformes vise, notamment en matière de commerce extérieur, la mise en place de mécanismes transparents qui permettent d'en finir, dans tous les domaines (…) avec les pratiques supposées ou réelles de manipulations occultes des hommes et des biens publics qui jettent le discrédit sur la gestion de 28 années d'indépendance et de protéger les gestionnaires contre les allégations et rumeurs démagogiques". A la Fnag, les gestionnaires du secteur public, refusant de continuer à servir de boucs émissaires, ont exigé plus de précisions, de faits concrets et d'actes délictueux, les noms des coupables et la date de signature des contrats, après avoir menacé d'introduire une action judiciaire pour la défense de leurs intérêts moraux. "Conscients des enjeux", comme il a tenu à l'affirmer dans sa lettre remise à la presse, publiée le 28 avril 1990, Monsieur Brahimi a, non seulement, lavé de tout soupçon les opérateurs économiques et les cadres gestionnaires, mais il n'a pas dévié d'un iota de sa position initiale. Ceci constitue une manière comme une autre de clarifier les responsabilités.

Mais, derrière les cliquetis des armes, par-delà les enjeux politiques réels, l'affaire des 26 milliards est-elle l'iceberg ou une partie de l'iceberg ? Tout concorde, en fait, à croire qu'elle est loin de constituer un fait isolé. C'est, tout d'abord, le sens premier que l'on donne à l'offensive de Monsieur Bélaïd Abdeslam, qui, après avoir lancé le débat sur la politique gazière sur la place publique, considère que le manque à gagner, ces dernières années, est de 40 milliards de dollars. Pas moins de 35 milliards de dollars de l'avis des experts. Dans la foulée, il cite le cas de détournement des crédits destinés au financement de Gnl 3, consentis par les canadiens, au profit de la construction de Riadh El Feth, entraînant une majoration du taux d'intérêt. "Nous n'avons rien à redouter, soutient-il dans une interview parue à Horizons, même des quelques scandales que nous avions découvert, des gens qui ont reçu des commissions".

Comme pour mieux enfoncer le clou, le Canard enchaîné publie une information selon laquelle, en 1981/82, un négociateur algérien aurait réclamé le versement d'une forte commission en Suisse, lors des négociations sur le contrat pour la fourniture de gaz à la France. Le journal satirique note que l'ancien Premier ministre, Monsieur Mauroy, a finalement refusé, après avoir sondé les experts français.

Tous ces éléments associés versent dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler le dossier noir de la corruption et accréditent la thèse d'une généralisation de ce mal aux différents niveaux du système de gestion économique. Affaires pour affaires, il y a lieu de relever la dénonciation du projet de l'Institut Pasteur (Nipa) par des députés. Selon l'un d'entre-eux, le Nipa est une affaire encombrante qui a englouti une somme colossale et pourrait être le début effectif de l'enquête sur les 26 milliards de dollars de pots-de-vin. Pour d'autres parlementaires, il est surtout question de mauvaise gestion, de corruption et de détournement.

Ce projet, datant de 1975, a abouti à un arrêt des travaux, à la suite d'un contentieux financier avec la société chargée de sa réalisation, la Sodeteg. Réévalué à trois reprises, son volume d'investissement a été porté de 110 millions de Da à 698 millions de Da. Les surcoûts engendrés, nous dit le ministre de la Santé, Monsieur Khedis, sont liés à deux facteurs essentiels : La conception du projet, ambitieux dans sa finalité (il est destiné à couvrir les besoins, en vaccins, de l'Afrique) et sa réalisation qui a souffert de l'absence de suivi et d'évaluation. Le ministre rejette toutefois, catégoriquement, l'idée de corruption ou de vol en prenant appui sur les conclusions des 7 commissions d'enquête précédentes. La seule anomalie relevée concerne l'inexistence de caution bancaire (15%) pour laquelle, le directeur général, le responsable de la comptabilité et le chef de projet, installé actuellement à Nice, ont été sanctionnés. Pour le reste, aucune trace de preuves concrètes. C'est le verdict des dossiers.

La tempête souffle également fort dans les milieux du secteur privé. Par Cnc (Chambre nationale du commerce) interposée, les accusations pleuvent et portent sur des cas de surfacturation, d'importation d'équipements anciens à la place du neuf, des licences d'importation de complaisance au bénéfice d'élus siègeant dans des commissions. C'est ce que semble retenir l'Apn qui a décidé d'instituer une commission d'enquête sur la gestion de la Cnc.

Trois années seulement après sa création, la Cnc, dépendante du ministère du Commerce, est violemment contestée. L'enjeu : la répartition de l'enveloppe budgétaire pour l'importation des équipements et des matières premières, évaluée à 6 milliards de Da pour des besoins réels de l'ordre de 20 milliards de Da. Ces restrictions sont à l'origine de frictions et de pratiques douteuses, selon certains.

Parmi les cas litigieux, le promoteur du projet d'intégration Kmd souffle à cor et à cri qu'il est l'objet d'un "délit d'initié" commis au profit de son concurrent immédiat, la boutonnerie Brahmia qui se trouve être la propriétaire d'un élu, président de la Commission des investissements (il serait, aussi, parent du plus haut fonctionnaire du ministère de l'Economie, version 1990).